De votre longue dissertation, les sciences cognitives démontrent que nous sommes très autonomes comme sujets même parfois malgré nous, par rapport à l'hétéronomie postulée notamment par l'école de Pierre Bourdieu...

Ce que montrent les sciences cognitives et les neurosciences, c'est que nous sommes d'une certaine façon " multidéterminés " par les bassins culturels que nous fréquentons. C'est ce que Bourdieu appelle les " habitus ", ce qui relève du bien, du mal, du vrai, du faux, mais aussi par l'inné, le patrimoine génétique. Tout cela se mélange. Mais le paradoxe est que cette multidétermination (et ce que ne voient pas les défenseurs du déterminisme comme Pierre Bourdieu et encore moins Bernard Lahire, qui prétend être son disciple) implique des arbitrages. Ceux-ci sont assez bien circonscrits avec des instances plus impliquées que d'autres comme le cortex pré-fontal. Il permet de créer des rétrojugements. Mais le cerveau reste un organe extrêmement complexe. Le résultat de ces instances d'arbitrage c'est que les décisions sont relativement imprédictibles. Donc, on ne peut pas prédire selon le modèle déterministe notamment les activités de haut niveau (je ne parle pas des activités réflexes). Les neurosciences ne montrent cependant pas que nous avons un libre-arbitre, ce serait du domaine de la métaphysique. Ce que nous prétendons, c'est que dans l'état actuel de la connaissance, les modèles déterministes sont inadéquats.

Pierre Bourdieu est mort en 2002. Il a donc pu largement se confronter aux neurosciences... Peut-on dire qu'il " retombe sur ses pattes " en disant que le déterminisme déclencherait des structures neuronales enfouies à la manière de ressorts et provoqueraient certaines liaisons synaptiques plutôt que d'autres ?

Ce ce que certains " Bourdieusiens " ignorent c'est que Bourdieu n'était pas du tout déconnecté des neurosciences. Il s'intéressait à Jean-Pierre Changeux, spécialiste du cerveau de son temps et d'aujourd'hui encore... Effectivement, Bourdieu le fait de manière allusive et on va plus loin que lui à ce point de vue : nous incorporons la culture. L'incorporation relève en effet d'une structure biologique neuronale. Par exemple, si vous entendez 100 fois le même type d'argument culturel, vous aurez plus de chance de l'endosser que si vous l'entendez 5 fois. Dans un premier temps, donc, Bourdieu nous paraît tout à fait compatible avec les neurosciences mais le problème c'est que, d'une part, le modèle qu'il propose (de quelle manière nos croyances rejaillissent sur notre organisation neuronale : c'est ce qui intéressent les sociologues), si on s'intéresse aux activité de haut niveau, implique que ces activités jaillissent en quelque sorte comme des ressorts. Quels que soient les termes qu'il utilise, ces termes relèvent toujours de " mécanismes ". Or nous pensons que c'est tout à fait inapproprié. Mais [Bourdieu] a en quelque sorte voulu faire rentrer dans sa théorie à lui un certain nombre de découvertes des neurosciences.

Darwinisme neural

Finalement, certains neuroscientifiques qui disent que le génome définit la structure du cerveau puis une sélection s'installe en fonction du milieu et commande certaines liaisons synaptiques plutôt que d'autres, se rapprochent des sociologues comme Bourdieu ?

Oui. C'est ce qu'on appelle la théorie du Darwinisme neural ou neuronal. Il semblerait que tout cela agisse par essai-erreur, tout simplement. L'expérience va en effet creuser certains sillons neuronaux et pas d'autres. Dans le cerveau, toutefois, il y a une part innée qui " factualise " des propositions culturelles que l'on rencontre au cours de sa socialisation. Mais il manquait quelque chose pour que la théorie ne soit pas " naïve ". Car, encore une fois, elle ne tient pas compte du fait que nous implémentons les propositions culturelles ou morales parfois concurrentielles. Donc, la théorie ne tient pas compte des conflits intra-individuels. La moindre décision que nous prenons dans la vie de tous les jours sans nous en rendre compte met en balance des possibilités d'action très importantes qui sont en concurrence, qui nécessitent des arbitrages. Les modèles déterministes sont à notre avis inadéquats pour rendre compte de la vie psychique.

Une partie seulement de la sociologie qui porte une forme d'intimidation morale veut contraindre la discipline à être plus politique que scientifique.

Donc (page 176) affirmer comme Pierre Bourdieu qu'il y a une " complicité ontologique entre les structures mentales et les structures objectives de l'espace social " revient à externaliser la cognition humaine, ce qui n'est possible qu'en ignorant la compétition intra-individuelle qui caractérise notre vie mentale.

Absolument. L'obsession déterministe fait perdre de vue un point essentiel, c'est ce qui passe à l'intérieur du cerveau ensuite. On perd de vue que le cerveau est une machine à imaginer des possibles y compris contre-factuels.

Vous dites toutefois que les neuroscientifiques ne s'abandonnent pas à l'innéisme (ndlr : le tout inné)...

C'est sûr ! C'est une erreur que commettent beaucoup de sociologues. Ils pensent que les neuroscientifiques sont innéistes. Il y en a bien sûr. Il ne faut pas nier l'importance fondamentale de l'inné. C'est relativement bien démontré dans l'état actuel de la connaissance. Mais on sait que l'inné et l'acquis cachent des processus biologiques extrêmement complexes. Ce n'est pas vrai que les neurosciences ont une théorie générale autour de l'inné. Elles intègrent parfaitement l'hybridation entre l'inné et l'acquis.

Quelques exemples pratiques : le mot arivo qui n'existe pas est testé sur des enfants, la plupart l'écrivent " ariveau ". Expliquez...

Ce sont des exercices qui montrent que lorsqu'on demande à des enfants d'écrire des mots qui n'existent pas comme arivo (qui peut s'écrire ô, o, eau, au,), on s'aperçoit qu'ils respectent certaines règles implicites de la langue. Derrière un " m " ou un " c ", on trouvera davantage la graphie " au ". Ils ne peuvent pas connaître la règle et pourtant ils l'appliquent. Ce qui veut dire que nous implémentons sans nous en rendre compte des règles. Il n'y a pas besoin que la règle soit écrite. Nous sommes statistiquement influencés par elles. Par exemple, comme nous avons nettement plus d'information sur les victimes d'inondation que celles des maladies cardiovasculaires, nous allons multiplier les premières et minimiser les secondes. On retrouve donc cette technique d'échantillonnage.

Sur l'imprédictibilité et la prise de décision et même sur le poids du hasard, vous donnez l'exemple de la radio du thorax...

Même lorsqu'on est face à des experts, les radiologues. Si on leur présente la même radio à 30 jours d'intervalle, il n'y a pas de réponse psychique homogène. Le même radiologue peut donner une réponse et son contraire à 30 jours d'intervalle. Attention, il y a une certaine reproduction des réponses statistiquement. Mais ce qui est fascinant c'est que cette reproduction n'est pas égale à 100%. Il y a une variabilité de la réponse psychique même face à une extrême expertise face à la même radio ! J'insiste : il s'agit du même expert.

Ville "criminogènes"

Dans votre livre, vous faites la différence entre Annecy et Saint-Denis et leur taux de criminalité. Saint-Denis est la ville la plus criminogène de France et Annecy une ville bourgeoise au bord d'un lac. Les conclusions jettent un pavé dans la mare du déterminisme. Mais pourquoi ?

Le type de déterminisme un peu simpliste proposé généralement, c'est de dire, comme Emile Durckeim, que certains milieux sont " criminogènes ". Donc, certaines banlieues en France sont criminogènes. En réalité, quand on regarde le taux de criminalité dans la ville la plus criminogène de France qu'est Saint-Denis et Annecy beaucoup plus calme, il y a une différence statistique en matière de crimes mais pas si énorme. En fait, l'immense majorité des gens dans ces deux villes ne s'abandonnent pas à la délinquance. Ce qui veut dire que le modèle déterministe disant que le milieu social pèse sur la délinquance, c'est un lien causal faiblement descriptif. Il y a en réalité une forte imprédictibilité de la manière dont les conditions sociales vont déterminer la chute en délinquance ou non. Si on prend en revanche la population normale et qu'on examine les taux de délinquance, il est juste un peu plus fort dans certaines villes. Si on prend les modèles, ils sont peu explicatifs finalement.

Dans les dernières émeutes qui ont eu lieu à Bruxelles, on commence à en savoir plus sur l'origine des casseurs. Il semblerait qu'ils soient davantage des " non-Bruxellois ". Mais l'origine ethnique relève du tabou de toute façon. Ce serait l'origine sociale et les difficultés économiques qui expliqueraient tout. Dans Le Figaro, sur l'origine de la délinquance, vous expliquez que cela pourrait être tout autant ethnique que social...

Disons qu'en France, M. Lagrange est un sociologue qui a insisté sur la dimension culturelle de la tentation délinquante. Notamment la dimension paternaliste dans la famille. En réalité, ces questions sont hautement complexes et dépendent de plusieurs variables. La question n'est pas tellement d'éclairer quelles variables sont les plus importantes... Des études sur le sujet seraient intéressantes. Ce qui est le plus intéressant, c'est qu'on ne peut pas le faire. En réalité, il y a une interdiction d'étudier l'influence de certaines variables, comme celle de la culture ethnique. Rien ne dit qu'on trouverait quelque chose. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'on ne le fait pas. Tout simplement parce que ce qu'on pourrait y trouver serait inconséquent du point de vue moral. La discipline sociologique qui est une discipline scientifique, si elle accepte de subordonner ces jugements concernant le vrai et le faux à la notion de bien et de mal, c'est un symptôme inacceptable pour une science. Les médecins sont bien placés pour le savoir : un médecin sait bien qu'il ne peut pas subordonner un diagnostic, vrai ou faux, à la notion de bien ou de mal. Si les médecins raisonnaient comme ça, vous imaginez les catastrophes que ce serait ? Une partie seulement de la sociologie qui porte une forme d'intimidation morale veut contraindre la discipline à être plus politique que scientifique.

Vous faites, vous, partie de la sociologie analytique...

Oui. Il s'agit d'une sociologie qui défend la neutralité politique sur ce type de sujet. Il faut regarder tous les types de variables même ceux qui seraient " politiquement " problématiques. Ce n'est d'ailleurs pas avoir le moindre a priori douteux que de prendre en compte toutes les variables. Quand on a une situation problématique, on se donne tous les moyens de la résoudre. On ne se bande pas les yeux.

* " Le danger sociologique ", PUF (avec Etienne Géhin). ISBN 978-2-13-075024-6

De votre longue dissertation, les sciences cognitives démontrent que nous sommes très autonomes comme sujets même parfois malgré nous, par rapport à l'hétéronomie postulée notamment par l'école de Pierre Bourdieu...Ce que montrent les sciences cognitives et les neurosciences, c'est que nous sommes d'une certaine façon " multidéterminés " par les bassins culturels que nous fréquentons. C'est ce que Bourdieu appelle les " habitus ", ce qui relève du bien, du mal, du vrai, du faux, mais aussi par l'inné, le patrimoine génétique. Tout cela se mélange. Mais le paradoxe est que cette multidétermination (et ce que ne voient pas les défenseurs du déterminisme comme Pierre Bourdieu et encore moins Bernard Lahire, qui prétend être son disciple) implique des arbitrages. Ceux-ci sont assez bien circonscrits avec des instances plus impliquées que d'autres comme le cortex pré-fontal. Il permet de créer des rétrojugements. Mais le cerveau reste un organe extrêmement complexe. Le résultat de ces instances d'arbitrage c'est que les décisions sont relativement imprédictibles. Donc, on ne peut pas prédire selon le modèle déterministe notamment les activités de haut niveau (je ne parle pas des activités réflexes). Les neurosciences ne montrent cependant pas que nous avons un libre-arbitre, ce serait du domaine de la métaphysique. Ce que nous prétendons, c'est que dans l'état actuel de la connaissance, les modèles déterministes sont inadéquats.Pierre Bourdieu est mort en 2002. Il a donc pu largement se confronter aux neurosciences... Peut-on dire qu'il " retombe sur ses pattes " en disant que le déterminisme déclencherait des structures neuronales enfouies à la manière de ressorts et provoqueraient certaines liaisons synaptiques plutôt que d'autres ?Ce ce que certains " Bourdieusiens " ignorent c'est que Bourdieu n'était pas du tout déconnecté des neurosciences. Il s'intéressait à Jean-Pierre Changeux, spécialiste du cerveau de son temps et d'aujourd'hui encore... Effectivement, Bourdieu le fait de manière allusive et on va plus loin que lui à ce point de vue : nous incorporons la culture. L'incorporation relève en effet d'une structure biologique neuronale. Par exemple, si vous entendez 100 fois le même type d'argument culturel, vous aurez plus de chance de l'endosser que si vous l'entendez 5 fois. Dans un premier temps, donc, Bourdieu nous paraît tout à fait compatible avec les neurosciences mais le problème c'est que, d'une part, le modèle qu'il propose (de quelle manière nos croyances rejaillissent sur notre organisation neuronale : c'est ce qui intéressent les sociologues), si on s'intéresse aux activité de haut niveau, implique que ces activités jaillissent en quelque sorte comme des ressorts. Quels que soient les termes qu'il utilise, ces termes relèvent toujours de " mécanismes ". Or nous pensons que c'est tout à fait inapproprié. Mais [Bourdieu] a en quelque sorte voulu faire rentrer dans sa théorie à lui un certain nombre de découvertes des neurosciences.Finalement, certains neuroscientifiques qui disent que le génome définit la structure du cerveau puis une sélection s'installe en fonction du milieu et commande certaines liaisons synaptiques plutôt que d'autres, se rapprochent des sociologues comme Bourdieu ?Oui. C'est ce qu'on appelle la théorie du Darwinisme neural ou neuronal. Il semblerait que tout cela agisse par essai-erreur, tout simplement. L'expérience va en effet creuser certains sillons neuronaux et pas d'autres. Dans le cerveau, toutefois, il y a une part innée qui " factualise " des propositions culturelles que l'on rencontre au cours de sa socialisation. Mais il manquait quelque chose pour que la théorie ne soit pas " naïve ". Car, encore une fois, elle ne tient pas compte du fait que nous implémentons les propositions culturelles ou morales parfois concurrentielles. Donc, la théorie ne tient pas compte des conflits intra-individuels. La moindre décision que nous prenons dans la vie de tous les jours sans nous en rendre compte met en balance des possibilités d'action très importantes qui sont en concurrence, qui nécessitent des arbitrages. Les modèles déterministes sont à notre avis inadéquats pour rendre compte de la vie psychique.Donc (page 176) affirmer comme Pierre Bourdieu qu'il y a une " complicité ontologique entre les structures mentales et les structures objectives de l'espace social " revient à externaliser la cognition humaine, ce qui n'est possible qu'en ignorant la compétition intra-individuelle qui caractérise notre vie mentale.Absolument. L'obsession déterministe fait perdre de vue un point essentiel, c'est ce qui passe à l'intérieur du cerveau ensuite. On perd de vue que le cerveau est une machine à imaginer des possibles y compris contre-factuels.Vous dites toutefois que les neuroscientifiques ne s'abandonnent pas à l'innéisme (ndlr : le tout inné)...C'est sûr ! C'est une erreur que commettent beaucoup de sociologues. Ils pensent que les neuroscientifiques sont innéistes. Il y en a bien sûr. Il ne faut pas nier l'importance fondamentale de l'inné. C'est relativement bien démontré dans l'état actuel de la connaissance. Mais on sait que l'inné et l'acquis cachent des processus biologiques extrêmement complexes. Ce n'est pas vrai que les neurosciences ont une théorie générale autour de l'inné. Elles intègrent parfaitement l'hybridation entre l'inné et l'acquis.Quelques exemples pratiques : le mot arivo qui n'existe pas est testé sur des enfants, la plupart l'écrivent " ariveau ". Expliquez...Ce sont des exercices qui montrent que lorsqu'on demande à des enfants d'écrire des mots qui n'existent pas comme arivo (qui peut s'écrire ô, o, eau, au,), on s'aperçoit qu'ils respectent certaines règles implicites de la langue. Derrière un " m " ou un " c ", on trouvera davantage la graphie " au ". Ils ne peuvent pas connaître la règle et pourtant ils l'appliquent. Ce qui veut dire que nous implémentons sans nous en rendre compte des règles. Il n'y a pas besoin que la règle soit écrite. Nous sommes statistiquement influencés par elles. Par exemple, comme nous avons nettement plus d'information sur les victimes d'inondation que celles des maladies cardiovasculaires, nous allons multiplier les premières et minimiser les secondes. On retrouve donc cette technique d'échantillonnage.Sur l'imprédictibilité et la prise de décision et même sur le poids du hasard, vous donnez l'exemple de la radio du thorax...Même lorsqu'on est face à des experts, les radiologues. Si on leur présente la même radio à 30 jours d'intervalle, il n'y a pas de réponse psychique homogène. Le même radiologue peut donner une réponse et son contraire à 30 jours d'intervalle. Attention, il y a une certaine reproduction des réponses statistiquement. Mais ce qui est fascinant c'est que cette reproduction n'est pas égale à 100%. Il y a une variabilité de la réponse psychique même face à une extrême expertise face à la même radio ! J'insiste : il s'agit du même expert.Dans votre livre, vous faites la différence entre Annecy et Saint-Denis et leur taux de criminalité. Saint-Denis est la ville la plus criminogène de France et Annecy une ville bourgeoise au bord d'un lac. Les conclusions jettent un pavé dans la mare du déterminisme. Mais pourquoi ?Le type de déterminisme un peu simpliste proposé généralement, c'est de dire, comme Emile Durckeim, que certains milieux sont " criminogènes ". Donc, certaines banlieues en France sont criminogènes. En réalité, quand on regarde le taux de criminalité dans la ville la plus criminogène de France qu'est Saint-Denis et Annecy beaucoup plus calme, il y a une différence statistique en matière de crimes mais pas si énorme. En fait, l'immense majorité des gens dans ces deux villes ne s'abandonnent pas à la délinquance. Ce qui veut dire que le modèle déterministe disant que le milieu social pèse sur la délinquance, c'est un lien causal faiblement descriptif. Il y a en réalité une forte imprédictibilité de la manière dont les conditions sociales vont déterminer la chute en délinquance ou non. Si on prend en revanche la population normale et qu'on examine les taux de délinquance, il est juste un peu plus fort dans certaines villes. Si on prend les modèles, ils sont peu explicatifs finalement.Dans les dernières émeutes qui ont eu lieu à Bruxelles, on commence à en savoir plus sur l'origine des casseurs. Il semblerait qu'ils soient davantage des " non-Bruxellois ". Mais l'origine ethnique relève du tabou de toute façon. Ce serait l'origine sociale et les difficultés économiques qui expliqueraient tout. Dans Le Figaro, sur l'origine de la délinquance, vous expliquez que cela pourrait être tout autant ethnique que social...Disons qu'en France, M. Lagrange est un sociologue qui a insisté sur la dimension culturelle de la tentation délinquante. Notamment la dimension paternaliste dans la famille. En réalité, ces questions sont hautement complexes et dépendent de plusieurs variables. La question n'est pas tellement d'éclairer quelles variables sont les plus importantes... Des études sur le sujet seraient intéressantes. Ce qui est le plus intéressant, c'est qu'on ne peut pas le faire. En réalité, il y a une interdiction d'étudier l'influence de certaines variables, comme celle de la culture ethnique. Rien ne dit qu'on trouverait quelque chose. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'on ne le fait pas. Tout simplement parce que ce qu'on pourrait y trouver serait inconséquent du point de vue moral. La discipline sociologique qui est une discipline scientifique, si elle accepte de subordonner ces jugements concernant le vrai et le faux à la notion de bien et de mal, c'est un symptôme inacceptable pour une science. Les médecins sont bien placés pour le savoir : un médecin sait bien qu'il ne peut pas subordonner un diagnostic, vrai ou faux, à la notion de bien ou de mal. Si les médecins raisonnaient comme ça, vous imaginez les catastrophes que ce serait ? Une partie seulement de la sociologie qui porte une forme d'intimidation morale veut contraindre la discipline à être plus politique que scientifique.Vous faites, vous, partie de la sociologie analytique...Oui. Il s'agit d'une sociologie qui défend la neutralité politique sur ce type de sujet. Il faut regarder tous les types de variables même ceux qui seraient " politiquement " problématiques. Ce n'est d'ailleurs pas avoir le moindre a priori douteux que de prendre en compte toutes les variables. Quand on a une situation problématique, on se donne tous les moyens de la résoudre. On ne se bande pas les yeux.* " Le danger sociologique ", PUF (avec Etienne Géhin). ISBN 978-2-13-075024-6