Figure atypique du rock alternatif anglais des années 2000, Damon Gough alias Badly Drawn Boy, lequel se cache autant sous son nom que son éternel bonnet, revient après dix ans de silence. "Banana Skin Shoes" est un neuvième album convaincant, varié, signe d'un retour aux origines pour ce fan anglais de Springsteen qui a retrouvé le goût des compositions dans un monde qu'il juge... en décomposition
...
L e journal du Médecin:Dix ans pour produire un nouvel album, c'est très long? Damon Gough: Paradoxalement, c'est sans doute celui que j'ai conçu le plus rapidement. Mais il y eut tant de choses auxquelles j'ai du faire face durant ces dix dernières années. Notamment ma rupture en 2012 avec Claire ma compagne de 15 ans et mère de mes enfants âgés aujourd'hui de 19 et 18 ans. à l'époque, ce fut littéralement la fin du monde ; la raison en fut la pression à laquelle j'étais professionnellement soumis, entre 2000 et 2012 j'ai conçu huit albums et... deux enfants (il sourit). Comme pas mal d'artistes, je buvais, afin de faire face à cette pression, notamment des tournées, et traverser toute cette période sans pause. J'étais obsédé par le travail. Après cette rupture, j'ai continué à boire. Heureusement, j'ai rencontré ma femme, qui m'a progressivement fait changer mes habitudes. En 2015, je suis devenu totalement sobre. J'ai alors commencé à ramasser les morceaux de mon existence, à composer en regardant le monde... qui s'est mis à son tour à se décomposer. Je souhaitais revenir avec un album important, qui démontre le triomphe d'un individu sur la tragédie. Banana Skin Shoes marque une nouvelle ère pour vous? Oui. Débarrassé d'une addiction tout en étant à nouveau père (j'ai un fils de trois ans), tout semble désormais en place pour un nouveau départ, plein d'espoir, espoir que j'espère transmette à travers ce disque. Ce Cd présente une panoplie de rythmes divers: funky, house, bossa-nova... Vous explorez cette fois différents univers musicaux... C'est le cas depuis le premier album, mais d'une façon plus expérimentale à l'époque. Au fil des années, je me suis davantage consacré à l'écriture des chansons. Mais avec ce cd, je voulais également rappeler mes influences originelles. J'ai également retravaillé des morceaux non terminés datant de l'époque de mon premier disque pour ensuite poser les mots, qui viennent toujours après. Ce n'est pas le cas je suppose avec le morceau Tony Wilson Said qui évoque cette figure du Manchester de la fin des années 80 et que la musique reflète? Cette chanson célèbre la figure de Tony Wilson, qui fut producteur, ouvrit l'Hacianda à Manchester et lança Joy Division, New Order et les Happy Mondays à l'époque... Tony fut un mentor pour les gens de ma génération ; il a maintenu cette scène en vie. Je l'ai d'ailleurs rencontré à plusieurs reprises. C'est quelqu'un d'ouvert et d'enthousiaste, notamment lorsque j'ai débuté mon propre label en 1997. Il est mort il y a quelques années et je n'ai jamais eu la chance de le remercier. Être à ce point fan de Bruce Springsteen, est-ce une chance ou une malédiction en tant que compositeur? Ce n'est pas parce que quelqu'un vous inspire que vous désirez l'imiter. À part une ou deux chansons peut-être, ce ne fut jamais le cas avec Bruce. Il me fascinait durant mes années d'adolescence, au point de faire partie intégrante de ma vie. Entre 1'âge de 14 et 18 ans c'était la seule musique que j'écoutais. Beaucoup d'autres groupes et artistes m'ont influencés par la suite: des Beastie Boys aux Flaming Lips en passant par Guided by Voices ou le John Spencer Blues Explosion... la plupart étant des artistes américains de rock alternatif. John Spencer Blues Explosion est un groupe qui a changé ma vie le jour où en 94 j'ai assisté à l'un de leurs concerts. À l'époque, je faisais partie d'un groupe au sein duquel je trouvais ma contribution trop minime. Le lendemain de ce concert, j'ai quitté le groupe et débuté ma carrière solo. John Spencer semblait vivre sa vie sur scène, paraissait totalement dédié à sa musique: il m'a vraiment convaincu de suivre ma voie. Évoquons votre englishness. Vous avez sorti un album intitulé "Born in the UK". C'est l'une des composantes de votre musique et de votre personne? Inévitablement. Être originaire du Nord de l'Angleterre vous donne de surcroît un sens de l'humour assez typique, que l'on peut associer à des artistes comme Morrissey ou Artic Monkeys. Cette Brithisness est dans mon sang, elle fait partie de mon héritage. Lorsque cet album est sorti voici 14 ans, je désirais savoir ce que cela signifiait. Les Anglais ont un rapport particulier à l'identité, exacerbé plus encore par le Brexit. Reste que mélanger les langues, les cultures et multiplier les échanges avec les pays d'Europe, rend les choses plus intéressantes, et me paraît porteur d'espoir et d'optimisme. Nous entrons dans une période où il nous sera plus aisé d'être britannique ou anglais, ce qui à mes yeux est connoté négativement à cause du nationalisme, et du racisme qui y est souvent inévitablement associé. Il n'y qu'à voir ce qui se passe aux États-Unis. Nous avons perdu trois ans avec le Brexit, qui doit encore être résolu. C'est une tragédie: raison pour laquelle je chante sur Is this a dream? Welcome to the tragedy...