Éric Muraille est le 2e témoin de notre série sur les "5 ans de la pandémie Covid19", directeur de recherches au FRS-FNRS, Laboratoire de parasitologie, ULB. Le chercheur a vécu la pandémie en tant qu'expert et citoyen. Il souligne la manière dont les médias ont artificiellement mis en scène des débats contradictoires, souvent avec des personnes qui n'avaient pas forcément la compétence nécessaire. (Version longue).
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jdM : Cinq ans après le début de la pandémie, quel regard portez-vous sur la manière dont la science a été mobilisée dans la gestion du Covid-19 ? La science a-t-elle été mise à rude épreuve ou instrumentalisée ?Eric Muraille : C'est une très vaste question. Déjà parler de " la science " est très ambiguë. De quoi parle-t-on ? De la communauté scientifique ? Des institutions scientifiques ? Des journaux scientifiques ? De l'ensemble des connaissances fondamentales en sciences du vivant ? Des sciences appliquées ?La communauté scientifique et la science appliquée ont été particulièrement mobilisée durant toute cette pandémie. Je crois que c'est une première mondiale d'avoir eu autant de communication scientifique dans les médias durant une pandémie. La gestion de la pandémie par les gouvernements a également été guidée par des données scientifiques (taux d'infection, couverture vaccinale, émergence de nouveaux variants) quasiment au jour le jour, ce qui est également une première mondiale. Enfin, des outils indispensables à la gestion de la crise ont été très rapidement disponible. Le virus a été identifié et séquencé en quelques jours (pour 3 ans pour le HIV), ce qui a permis de disposer en seulement un mois de tests diagnostiques. En une année des vaccins ont été produit et validés ainsi que des traitements, alors que la durée moyenne était de 3 ans. Pour arriver à ce résultat, des techniques de vaccination et des procédures spéciales de validation ont du être développée.Les journaux scientifiques ont innovés en banalisant la mise en ligne d'articles non encore validés par les pairs. C'est une démarche qui a permis à la communauté scientifique de disposer très vite des données scientifiques mais qui a créé une certaine incompréhension dans le public qui a été exposé à des articles qui faisaient l'objet de critique ou qui étaient très vite rétracté. Il est difficile de dire si cette manière de faire était la bonne. Elle a clairement rendu des services mais a également crée une certaine confusion.On a relativement peu entendu les institutions scientifiques. Elles se sont exprimées, mais leur parole n'a souvent pas été mise en valeur par les médias qui préféraient inviter en plateau des experts pour des débats contradictoires.Il est évident que les scientifiques ont été exposé à des pressions terribles. Des conseillers scientifiques ont été menacés de morts, harcelé, soumis à des pressions de la part des gouvernements. Ce phénomène a été documenté et objectivé par les revues scientifiques. Les scientifiques qui se sont mobilisés durant la crise pour communiquer ont eu très peu d'aides de la part des universités ou des institutions scientifiques. Beaucoup ont été laissés seuls alors qu'ils donnaient beaucoup de temps et d'énergie, qu'ils subissaient eux aussi les problèmes liés à la pandémie et qu'ils devaient continuer leur travail de recherche et d'enseignement. Je ne suis pas certain que beaucoup de mes collègues seront motivé à se mobiliser dans ces conditions lors d'une nouvelle crise.La crise a révélé des contradictions majeures entre experts, notamment sur l'efficacité des mesures sanitaires (confinement, masques, vaccins). Comment expliquez-vous ces divergences et comment analyser leur impact sur la confiance du public ?E.M. : Il y a plusieurs niveaux de réponses à cette question.Tout d'abord, les fameuses " contradictions majeures entre experts " sont principalement apparues entre les chercheurs qui ont été conviés à s'exprimer dans les médias. Ces chercheurs sont loin de représenter l'ensemble de la communauté scientifique qui s'est principalement exprimés via des publications scientifiques. Les médias ont souvent essayé d'opposer des chercheurs ayant des avis très différents afin de donner l'impression d'un débat d'idée. Cette approche a mis en lumière des positions qui étaient souvent minoritaires dans la communauté scientifique. C'est quelque chose de très général, qu'on retrouve pour toute une série de " pseudo polémique scientifique ", comme celles sur l'homéopathie, l'acupuncture, les vaccins, le changement climatique etc. Sur tous ces sujets, il y a un grand consensus dans la communauté scientifique et quand vous regardez les médias on a l'impression que la communauté scientifique est profondément divisée.Ensuite, qui peut être considéré comme un " expert " durant une pandémie ? J'ai par exemple été opposé en 2022 sur un plateau TV (LN24) à Raphael Jungers, Professeur en Mathématiques appliquées UCL. Ce dernier critiquait les mesures de distanciations et le pass sanitaire. Son expertise en statistiques faisait elle de lui un expert crédible en santé publique ? J'ai également été confronté via la presse à Patrick Meyer, ingénieur de formation et spécialiste en Biologie des systèmes et bioinformatique Ulg, qui prétendait que les vaccins Covid étaient responsable de milliers de morts en Europe. Son analyse était critiquée par l'ensemble de ses collègues immunologistes et médecins de l'Ulg et elle n'a jamais été acceptée par un journal international avec comité de lecture. Patrick Meyer pouvait il être considéré comme un expert assez compétent en vaccination pour remettre en cause l'ensemble des études publiées démontrant que les vaccins Covid avait un profil de sécurité satisfaisant ?Il y a également un problème de spécialisation disciplinaire. Une pandémie virale est un phénomène complexe qui pour être compris nécessite une approche pluri/trans disciplinaire. Il faut à minima des compétences en génétique, en virologie, en épidémiologie, en vaccinologie, en immunologie et en médecine. Plus personne ne dispose aujourd'hui d'une expertise complète dans tous ces domaines car on valorise principalement la spécialisation et ces domaines sont devenus très vastes. Quand on analyse une pandémie via une seule discipline on peut arriver à des résultats très différent en fonction de la discipline. Ceci peut expliquer le fait que certains spécialistes, compétents et de bonne foi, sont arrivé à des résultats très différents de leurs collègues.Personnellement, en tant que biologiste et immunologiste, même si je travaille depuis 20 ans sur des modèles infectieux en laboratoire, je ne me considère absolument pas comme un expert en santé publique ou en gestion de pandémie. J'ai donc modestement essayé durant la crise de présenter et d'expliquer ce qui me semblait être le consensus scientifique. Avant chaque intervention, en plus d'analyser la biblio scientifique disponible, j'ai essayé d'avoir l'avis de collègues en médecine, virologie et épidémiologie afin d'être raisonnablement certain que mes propos étaient soutenus par des données fiables. J'ai également essayé de souligner les zones d'incertitudes dans mes communications.Le concept de "suivez la science" a été largement utilisé par les décideurs politiques. Pensez-vous que cela a conduit à une vision erronée de la démarche scientifique, qui est fondée sur le doute et le débat ?E.M. : L'idée que la démarche scientifique serait fondée sur le doute est trompeuse. Cette vision est héritée de l'approche de Descartes. Descartes était un rationaliste du 17ème siècle. Il bâtissait les connaissances principalement par le raisonnement. Il recommandait de questionner toutes les certitudes. Ce n'était ni un observateur ni un expérimentateur. Même si Descartes est considéré comme un " pionnier " de la science, sa méthode est plus proche de la philosophie que de la science moderne et est très éloignée de la médecine moderne qui est fondée sur les preuves et l'analyse en réseau.La médecine basée sur les preuves (EBM) qui s'est imposée à partir des années 1990 vise à collecter un maximum d'observations (approche empiriste), à réaliser des essais cliniques contrôlés et randomisés et à réaliser des analyses statistiques de l'ensemble des résultats disponibles (méta-analyses) afin d'aboutir à un consensus (https://theconversation.com/comment-la-medecine-basee-sur-les-preuves-sest-imposee-227455). Ce consensus est dépendant des données disponibles, il n'est pas dogmatique. Il est donc évident que face à un nouveau pathogènes comme le SARS-CoV-2 ce consensus va évoluer, parfois très vite. Mais il n'empêche que ce consensus existe et constitue une référence à un moment donné dans la communauté scientifique internationale. Nier ce consensus est profondément anti-science.Didier Raoult (https://www.lepoint.fr/invites-du-point/didier_raoult/raoult-renoncer-au-doute-c-est-renoncer-a-la-science-28-04-2016-2035640_445.php) et Laurent Mucchielli (https://www.youtube.com/watch?v=2LfIvHm27Q0) font partie des chercheurs très médiatisés qui ont niés ce consensus et soutenu que la science moderne reposerait principalement sur le doute et que le principe même d'un consensus serait une escroquerie. Avec le recul, il est aujourd'hui évident que Didier Raoult a fait la promotion d'un traitement non soutenu par les preuves et qu'il a entretenu le doute à propos de vaccins qui avaient été testés et validés.Le monde politique a effectivement beaucoup instrumentalisé la science. Elle a fréquemment été utilisée par les gouvernements pour justifier une prise de décision à laquelle les scientifiques n'avaient pas pris part et qui parfois était en rupture totale avec le consensus scientifique. On se souviendra par exemple de Boris Johnson au Royaume-Unis qui prônait l'immunité collective en s'appuyant sur l'avis d'un spécialiste, Patrick Vallance, alors que l'ensemble de la communauté scientifique était en faveur des confinements (https://www.lapresse.ca/international/europe/2020-03-13/coronavirus-le-royaume-uni-vise-l-immunite-collective-une-approche-controversee). Par exemple, Le rédacteur en chef de la revue médicale The Lancet, Richard Horton, a accusé Londres d'" excès de confiance ", exigeant des " mesures fermes " pour réduire les contacts sociaux entre les personnes, et des fermetures d'établissements. En 2023, Patrick Vallance a regretté d'avoir défendu l'immunité collective (https://www.theguardian.com/uk-news/2023/nov/21/uk-covid-inquiry-patrick-vallance-herd-immunity-regret).L'absence de certitude scientifique a également été utilisée par les décideurs pour justifier une absence d'action. Cette excuse est également très courante pour le changement climatique. La science ne produit pas de certitudes, elle produit des connaissances qui sont corroborées par des données disponibles.La crise a-t-elle révélé une certaine fragilité de l'expertise scientifique face aux pressions politiques, économiques et médiatiques ?On voit bien qu'en matière de changement climatique les experts ne parviennent pas à se faire entendre des gouvernements et des entreprises depuis plus de 40 ans, même en s'organisant. Donc, il est évident que lors d'une crise soudaine comme le Covid l'expertise scientifique se retrouve dans une position qui est singulièrement inconfortable.De plus, dans les médias, on n'offre souvent que quelques minutes à un experts pour expliquer un phénomène complexe alors que l'éducation scientifique de la population est très pauvre. Et on privilégie souvent la confrontation entre experts d'avis opposés.Y a-t-il eu une forme de dogmatisme ou de conformisme dans la communauté scientifique ?E.M. : Je crois qu'il y a une mécompréhension profonde de la manière dont la science moderne produit des connaissances et arrive à un consensus, tant de la part du public, des politiques, des journalistes que d'un grand nombre de scientifiques.L'enseignement des sciences hors de l'université est catastrophique. Beaucoup de jeunes, au sortir de leurs études générales à 18 ans, ne connaissent et ne comprennent pas les grandes théories décrivant le vivant ou le monde physique. Surtout, on ne leur a jamais expliqué comment ces théories ont été produites et validées. Ils s'en remettent donc à des poncifs véhicules par la littérature, les films et les médias. Donc, quand ils sont confrontés à un discours scientifique qui fait nécessairement appel à des notions scientifique de base leur capacité à le comprendre et à le critiquer est extrêmement réduite. Pour prendre un exemple concret, la plupart des gens ne connaissent pas les différences basiques entre un virus et une bactérie, alors que cette différence a des implications énormes en matière de santé publique. Si je dis par exemple que " le SARS-CoV-2 est un virus ARN disposant d'une membrane lipidique ", qui va comprendre que le fait qu'il s'agisse d'un virus le rend insensible aux antibiotiques, que le fait qu'il s'agisse d'un virus ARN implique qu'il va évoluer rapidement et que le fait qu'il a une membrane lipidique implique qu'il est sensible aux détergents et qu'il persiste sans doute peu de temps en dehors du corps ?La situation à l'université n'est guère meilleure. On y forme des spécialistes dans une discipline. En absence de tronc commun, un étudiant en science humaine ne connait rien aux théories des sciences naturelles et il en est évidemment de même pour les étudiants en sciences naturelles qui n'ont pas de connaissances en sciences humaines. Plus grave, on a très largement abandonné en science naturelle l'enseignement de l'histoire des sciences et de la philosophie des sciences. Les étudiants connaissent des théories, mais ne savent pas vraiment d'où elles viennent. On commence à tenter de remédier à ce problème en réenseignant l'histoire et la philosophie des sciences, mais il faudra des années pour que cela ait un effet.Donc, pour répondre à votre question initiale, il n'est pas surprenant que l'existence d'un " consensus scientifique " pose problème pour le public ou même pour certains scientifiques qui vont assimiler ce consensus à du dogmatisme ou du conformisme.On a vu émerger une défiance envers la science, avec des accusations de conflits d'intérêts et des débats sur la censure de certaines voix dissidentes. Selon vous, la gestion de la pandémie a-t-elle nourri un scepticisme durable envers les experts ?E.M. : Le fait que la plupart des gouvernements ont mal géré la crise, tant au niveau de la gestion de terrain que de la communication, tout en agitant la science pour justifier leur choix a effectivement contribué à décrédibiliser la science auprès du public.Mais il faut souligner le rôle des médias et des réseaux sociaux qui a été prépondérant d'après moi.Je m'intéressais bien avant la crise du Covid à des thématiques qu'on associe à des " polémiques scientifiques ", comme l'expérimentation animale et la vaccination. Ces sujets sont associés depuis des décennies à de la désinformation massive. Il n'y par exemple aucune polémique dans la communauté scientifique concernant l'importance de la vaccination en santé publique ou l'utilité de l'expérimentation animale. Mais on continue dans les médias et sur les réseaux sociaux à parler de " polémique scientifique ". Et les réseaux sociaux, qui sont la principale source d'information pour les jeunes, sont une source inépuisable de fake news et de désinformation. On n'y fait guère de différence entre les informations du CDC ou celle d'un blog anonyme.On a assisté à une exacerbation de la désinformation durant la pandémie de Covid-19. On a d'ailleurs parlé d'infodémie. Beaucoup de pseudos experts ont créé des sites web, lancé des levées des fonds via internet, parfois crée des médias alternatifs. Certaines chaines internet de désinformation ont totalisé rapidement des millions de vue. On a aussi assisté à la formation de véritable consortium de désinformateurs, organisant des congrès " scientifique " alternatif. Les réseaux sociaux offrent des outils incroyables pour populariser n'importe quelle fake news et pour starifier des individus qui n'ont que très peu d'expertise scientifique. On a vu des pharmaciens à la retraite et des chercheurs démissionnaires de l'INSERM devenir des experts du Covid en quelques semaines.Niveau dissidence, quel regard portez-vous, par exemple, sur le Pr Didier Raoult : imposteur ou quelqu'un qui, au début, a sincèrement cherché des solutions de médecine de guerre, notamment avec son cocktail azithromycine/HCQ ?E.M. : En début de pandémie, il a été le premier en France à recommander que l'on isole les voyageurs en prévenance de l'étranger. C'était une très bonne recommandation. C'est ce qu'on fait les pays qui ont le mieux contrôlé la crise, comme la Chine, la Nouvelle-Zélande, Taiwan, la Corée du Sud, l'Australie, etc. La France n'a pas suivit ses recommandations et aucun pays européen n'a opté pour cette politique de contrôle des frontières.Par contre, quand Raoult a annoncé publiquement, en pleine crise, que la partie était finie, pour reprendre son expression, et qu'il avait trouvé le remède, il a eu un comportement profondément irresponsable et totalement impardonnable pour un scientifique expérimenté. A ce stade, il était évident qu'il ne disposait pas des preuves nécessaires pour faire une affirmation pareille, surtout pas en public et via une vidéo sur YouTube.Ensuite, il a persisté dans une position totalement indéfendable en rejetant le principe même des essais cliniques contrôlés et randomisés qui auraient permis de démontrer que son traitement fonctionnait ou pas. Alors qu'il avait parfaitement les moyens de faire ces essais dans son institut.Raoult est un chercheur expérimenté de stature international. Qui dirigeait un important centre de recherche en France spécialisé dans l'étude des agents pathogènes. Son expérience professionnelle rend son comportement durant la crise totalement inexcusable. Il sera peut-être starifié par les complotistes, mais il va rester dans l'histoire de la science comme l'exemple à ne pas suivre.J'ai écrit un article assez complet sur son cas : https://theconversation.com/didier-raoult-le-postmodernisme-en-etendard-164276Quels enseignements tirez-vous de cette crise pour l'avenir ? Comment restaurer une véritable culture du débat scientifique sans tomber dans le relativisme absolu où toutes les opinions se valent ?E.M. : Le débat scientifique existe, il est permanent, mais il se pratique sur le temps long et dans les journaux scientifiques. En temps de crise, il a lieu entre scientifiques dans les universités, souvent en petit comité.L'idée que le " débat scientifique " pourrait se tenir en public, c'est-à-dire devant des gens ne disposant pas des concepts de base et non formés à la recherche scientifique, est un fantasme. Le " bon sens commun ", la simple rationalité, ne permettent pas de produire des connaissances " vraies " (des connaissances corroborées, au sens de Popper). C'est le constat de 200-300 ans d'évolution de la méthode scientifique.La science n'est pas " démocratique ", ce n'est pas une compétition d'opinions où la popularité, la séduction d'une théorie fait qu'elle s'impose. Il ne faut pas confondre débat scientifique et débat politique. Pour débattre scientifiquement d'un phénomène, il faut pouvoir présenter des données empiriques, pouvoir les analyser et les interpréter. Il faut aussi pouvoir synthétiser et hiérarchiser des centaines voire des dizaines de milliers d'études. On ne peut pas faire ça en 45 minutes de débat. Pourtant, c'est ça qui va distinguer la " simple opinion " de " l'opinion scientifique ".A ce niveau, il faut souligner le fait que les sciences naturelles et les sciences humaines s'opposent totalement sur ce qu'est la science, sur son utilité et sa valeur. Ce qui peut aussi expliquer le fait que de nombreux " experts " puissent avoir des positions totalement contradictoires.Si une nouvelle crise sanitaire de grande ampleur survenait demain, que faudrait-il changer dans la gestion de l'expertise scientifique et son interaction avec les décideurs politiques ?E.M. : Je regrette qu'il n'y ai pas eu une meilleure organisation de la communication scientifique dans les médias. On aurait beaucoup gagné à se réunir systématiquement entre experts et à parler ensuite d'une seule voix au public. Avec quelques collègues, j'ai proposé ce système à l'ULB et nous avons été une dizaine à nous réunir régulièrement en visioconférence pour discuter des informations scientifiques disponibles. Ce système aurait pu être généralisé à toutes les universités et chapeauté, par exemple, par l'académie royale de médecine ou par Sciensano.Concernant les interactions avec les décideurs politiques, il faut souligner que la meilleure manière de faire face aux pandémies est de les anticiper et de ne pas se borner à y réagir d'urgence. La Belgique, l'Europe en général, n'était pas prête. Il y aura d'autres pandémies car les conditions d'émergence de nouveaux virus pathogènes et de leur dissémination au niveau mondial n'ont pas changées.L'approche libérale, qui prévaut en Europe, n'incite pas à l'anticipation des crises ni à une réponse coordonnée des états. Durant la pandémie, l'UE n'a jamais tenté de coordonner l'action des états. Elle s'est bornée à négocier, de manière très peu transparente, l'achat des vaccins. C'est dramatiquement insuffisant. Les études rétrospectives ont bien montré que les pays qui ont eu le moins de morts sont les pays qui ont réagi très rapidement en suivant les recommandations de l'OMS (tester et isoler), qui ont adopté une communication claire et coordonnées à propos des mesures de distanciation ou des vaccins. A ce niveau la Belgique se classe dans les plus mauvais élèves. Le fait de ne pas avoir disposé d'un gouvernement nous a fait perdre beaucoup de temps.Je ne penses pas que les gouvernements aient tiré des leçons de cette crise. Le traité des pandémies proposé par l'OMS n'a pas été accepté. Aujourd'hui, la Belgique ne dispose toujours pas d'un gouvernement, ce qui veut dire qu'en cas de crise ce sera de nouveau de l'improvisation et des luttes d'égos.Comment jugez-vous votre parcours personnel pendant cette crise ?E.M. : Avec le recul, j'estime avoir fait le maximum. J'ai rédigé, souvent en urgence, des articles de vulgarisation pour expliquer et synthétiser les données disponibles sur les pandémies, l'origine des virus émergeants, les tests et les vaccins. J'ai pris sur mon temps pour répondre aux sollicitations, toujours urgente, des médias. Tout en continuant à assurer mes fonctions d'enseignement et de recherche.J'ai également participer avec des collègues à l'écriture d'articles scientifiques analysant la gestion de la crise[1].Je ne vois pas ce que j'aurais pu faire de mieux avec le peu de moyens (principalement mon temps libre) dont je disposais.Que feriez-vous différemment ?E.M. : Je m'impliquerais peut-être moins, car, comme beaucoup de collègues, j'ai l'impression que tout ce travail a eu peu d'effets concrets. J'espère me tromper sur ce point." La science a été utilisée comme un argument d'autorité par les gouvernements, parfois pour justifier des décisions contraires au consensus scientifique. ""Je ne pense pas que les gouvernements aient tiré des leçons de cette crise : en cas de nouvelle pandémie, ce sera encore de l'improvisation et des luttes d'ego."[1]https://www.nature.com/articles/s41591-020-0871-yhttps://journals.sagepub.com/doi/10.1177/17579759211035070https://www.frontiersin.org/journals/public-health/articles/10.3389/fpubh.2022.902724/full