Pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, nous disposons actuellement d'un vaste arsenal d'antirhumatismaux modificateurs de la maladie ou DMARD (disease-modifying antirheumatic drugs), qui permettra de trouver pour la majorité des patients une approche pharmacologique efficace. La prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde va toutefois bien plus loin que les seuls médicaments. Le Pr Patrick Verschueren, rhumatologue à l'UZ Leuven, fait le point avec nous sur ses grands principes.
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Lorsque la polyarthrite rhumatoïde (PR) est diagnostiquée et traitée à temps, les médicaments conventionnels synthétiques (csDMARD) permettront d'aider efficacement 70% des patients, précise d'entrée de jeu le Pr Verschueren. C'est avec le méthotrexate en association avec une brève cure de corticostéroïdes - qui permet de reprendre plus rapidement le contrôle sur le processus pathologique - que nous avons actuellement la meilleure expérience. Lorsque cette approche ne permet pas d'obtenir une réponse suffisante, il faudra se rabattre sur un autre médicament. Dans notre pays, nous commençons dans ce cas par tester un second csDMARD, le plus souvent le léflunomide ; ce n'est en effet qu'en cas d'échec de deux csDMARD, administrés successivement ou en combinaison, qu'un remboursement est prévu pour les traitements dits ciblés. Cette approche est donc légèrement différente de celle recommandée par l'Eular ( European League against Rheumatism), qui permet de passer immédiatement à une thérapie ciblée en seconde intention, du moins chez les patients avec un profil de risque défavorable - comprenez, en présence de facteurs rhumatoïdes, d'une atteinte articulaire prenant la forme d'érosions ou d'une maladie très active(1). Les thérapies ciblées recouvrent d'une part les DMARD biologiques (bDMARD), de l'autre les médicaments synthétiques ciblés (tsDMARD). Dans le premier groupe, nous disposons aujourd'hui de plusieurs options remboursées telles que les inhibiteurs TNF, les inhibiteurs IL-6 et les inhibiteurs des lymphocytes T et B. Tous ces médicaments biologiques sont administrés par injection sous-cutanée ou intraveineuse, en respectant pour chaque spécialité un intervalle de temps bien précis entre deux doses. Il s'agit d'anticorps qui circulent dans le sang, où ils bloquent l'action des cytokines ou se lient à certains récepteurs cellulaires de façon irréversible, ce qui explique leur action relativement prolongée. Les tsDMARD recouvrent la famille des inhibiteurs de la Janus kinase (inhibiteurs JAK), de petites molécules synthétiques à prendre quotidiennement sous forme de comprimés qui inhibent les kinases présentes à l'intérieur des cellules. Il existe plusieurs types de JAK (JAK 1, 2, 3 et Tyc2) qui fonctionnent par paires et qui, une fois activées, régulent la transmission des signaux à l'intérieur de la cellule par le biais de toute une série de molécules messagères, dont des cytokines mais aussi des facteurs de croissance. Leur action biologique est donc plus large que celle des médicaments biologiques. L'inconvénient est que ceci risque aussi de dérégler malencontreusement des processus homéostatiques, comme par exemple la signalisation de l'interféron, qui joue un rôle important dans nos défenses contre les virus. En Belgique, nous disposons de quatre inhibiteurs JAK remboursés. Le tofacitinib a une action sélective contre JAK1/JAK3, le baricitinib contre JAK1/JAK2, l'upadicitnib et le filgotinib contre JAK1. Les directives de l'Eular placent au même niveau les différents types de médicaments biologiques et les inhibiteurs JAK et ne proposent pas d'algorithme permettant de donner la préférence à un produit plutôt qu'à un autre. Pour faire leur choix, les rhumatologues en sont donc réduits à se fier à leur jugement clinique. Ils prendront par exemple en considération la présence d'autres problèmes de santé qui plaident en faveur d'un médicament donné, mais aussi le prix et le remboursement. Le Pr Verschueren souligne qu'il est extrêmement important que le choix se fasse toujours en concertation avec le patient et avec son accord. Les inhibiteurs JAK présentent l'avantage d'une prise orale et d'un mécanisme d'action qui leur assure un effet plus rapide et autorise un usage plus souple. L'effet immunomodulateur disparaît en quelques jours à peine après l'arrêt de la prise, ce qui peut leur donner un avantage sur les médicaments biologiques à l'action plus longue face à certaines complications infectieuses. Les inhibiteurs JAK aussi ont toutefois leurs défauts. Leur action plus large peut ainsi notamment provoquer des complications telles qu'une anémie ou une leucopénie. Une étude de suivi portant sur le tofactinib, l'inhibiteur JAK pour lequel nous avons le plus de recul, a également observé chez les patients à haut risque une incidence accrue d'événements cardiovasculaires majeurs et de certains cancers en comparaison avec ce que l'on voit pour les inhibiteurs TNF. Face à ces nouvelles données, les autorités réglementaires ont recommandé de ne plus utiliser cette molécule qu'en l'absence d'autres solutions adaptées chez les patients de 65 ans ou plus, les (ex-)fumeurs, les sujets à risque de maladies cardiovasculaires et les personnes porteuses de facteurs de risque oncologique. Nous ignorons à ce point dans le temps quelle est la pertinence clinique de la sélectivité des différents inhibiteurs JAK, y compris en termes de sécurité. Certains risques ne peuvent en effet souvent être identifiés qu'après une utilisation et un suivi prolongés. Bien que le passage à un bDMARD ou tsDMARD permette d'aider la majorité des patients, certains auront encore besoin d'ajustements supplémentaires. Ceux-ci pourront parfois se faire à l'intérieur de la même classe, mais il arrive aussi qu'ils nécessitent le recours à un produit avec un mécanisme d'action différent. L'Eular recommande d'évaluer après trois mois environ si l'amélioration obtenue est suffisante. Si l'objectif visé n'est pas atteint après environ six mois de traitement, elle préconise de modifier ou d'élargir le traitement. Le Pr Verschueren souligne toutefois que modifier le traitement médicamenteux n'est pas toujours le maître-choix. Il arrive en effet qu'il subsiste chez les patients des symptômes ou des besoins non rencontrés qui ne sont pas forcément dus à une activité résiduelle de la maladie ; une fatigue ou une douleur persistantes, par exemple, peuvent parfois s'expliquer par d'autres causes qui pourraient justifier une forme d'accompagnement différente. On peut citer ainsi les interventions de kinésithérapie ou d'orthopédie, mais un encadrement social ou un suivi psychologique adéquats peuvent également s'avérer nécessaires pour aider ces personnes à se défaire des difficultés qui découlent de leur problème d'arthrite. Il reste bien du chemin à parcourir pour optimiser le traitement et l'accompagnement de ces malades. Des systèmes sont par exemple en développement pour rendre possible un meilleur suivi à distance de l'évolution de la maladie (p.ex. dispositifs portables, applis, questionnaires...) et, si nécessaire, une intervention rapide. Il est capital d'impliquer le plus possible les patients dans la prise en charge de leur propre santé. Le Pr Verschueren souligne par ailleurs que le médecin de famille est un partenaire important dans la prise en charge de la PR, puisqu'il est l'acteur le plus proche du patient et remarque donc souvent plus rapidement une évolution ou un besoin non rencontré. Un partenariat entre le rhumatologue et le généraliste est donc nécessaire pour encadrer le patient de manière optimale et répondre le mieux possible à ses besoins... ce qui va bien plus loin que l'ajustement du traitement médicamenteux.