Le Collège Belgique organisait, en mai dernier, un séminaire scientifique dédié aux victimes des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, en partenariat avec le Certificat d'université en évaluation des atteintes à la santé (ULB) et porté par la Pre Claude Tomberg. L'occasion de mettre en lumière l'état des connaissances et des recherches liées à ces traumatismes, tant sur les victimes que sur les personnes intervenues pour leur porter secours.
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Le 22 mars 2016 à 7h58, deux détonations retentissent à l'aéroport de Zaventem ; à 9h11, une troisième survient dans les sous-sols de la station de métro Maelbeek. Trois bombes viennent d'exploser dans ces lieux très fréquentés à une heure de grande affluence. Les victimes sont nombreuses, polytraumatisées par la pression dégagée par le souffle (blast), blessées par des projectiles, brûlées par l'extrême chaleur dégagée par l'onde de choc supersonique due au blast. Les traumatismes psychiques sont également importants, chez les personnes qui étaient sur place au moment des détonations mais également chez les personnes qui sont intervenues pour secourir les victimes et qui ont dû agir dans un contexte cataclysmique. Commence alors un long parcours pour les blessés, qui comprendra notamment l'évaluation de leurs atteintes physiques et psychiques et leur réparation. Plusieurs victimes des attentats sont présentes dans la large assemblée venue pour l'occasion dans les travées de l'Académie royale de médecine. Mais c'est Myriam Gueuning, victime de l'attentat de Zaventem, qui s'exprime au nom de tous. D'emblée, elle montre le témoignage vidéo glaçant d'un chauffeur de taxi à la recherche de son fils, 25 minutes après l'explosion de la seconde bombe à l'aéroport de Zaventem. Impossible de ne pas être choqué. " Il est primordial de savoir que cette tragédie est toujours en cours", embraie Myriam Gueuning. " On ne soulignera jamais assez son ampleur et les conséquences profondes qu'elle a eues sur les victimes. Dans les années qui ont suivi les attentats, de nombreux survivants sont tombés malades, certains sont décédés ou se sont suicidés. Une jeune fille de 23 ans a été euthanasiée", rapporte celle qui a été la confidente de plus de 300 victimes. " En rencontrant les familles, en écoutant leurs préoccupations, leurs histoires et leurs réactions, il m'est vite apparu qu'elles étaient et sont encore confrontées à un énorme manque d'informations et de soutien au niveau financier, social, administratif, juridique et médical. Pour certains, l'angoisse mentale est plus difficile à supporter que les blessures physiques." Peu de personnes font face à une explosion. Pour comprendre les lésions liées au blast, il faut se tourner vers la littérature qui se constitue peu à peu dans le domaine de la médecine militaire. Un brin de physique pour comprendre. " L'explosion provoque une onde qui se déplace à une vitesse phénoménale et qui crée une différence de pression liée au type d'explosifs utilisé. L'onde se déplace dans le milieu dans tous les sens, se réverbère selon l'environnement et provoque une série d'expositions à des ondes de pression qui se succèdent", explique le lieutenant-général Pierre Neirinckx, aide de camp du Roi, et autorité médicale de la Défense. Le type d'explosion diffère selon trois éléments: l'explosif utilisé, la victime et le lieu. " Il y a bien sûr différents types d'explosifs avec des différences de puissance et de masse. Ils vont donc générer, selon leur quantité, une intensité d'onde de pression plus ou moins grande. La position de la bombe joue également un rôle: est-elle posée au sol? Vient-elle du ciel comme c'est le cas lors d'un bombardement?" La victime, en fonction de sa masse, de sa taille, de la surface exposée et du type de protection dont elle dispose, sera plus ou moins exposée au souffle de l'explosion. Enfin, l'environnement est primordial. Une bombe qui explose en milieu fermé ou en milieu ouvert n'a pas les mêmes effets. Le souffle d'une explosion provoque quatre types d'effets connus. Les effets primaires sont liés au passage de l'onde à travers le corps. Il s'agit de saignements (principalement des hémorragies massives), des explosions des organes creux, des contusions et des lacérations des organes pleins, des fractures, des amputations traumatiques et des lésions cérébrales fermées. Viennent ensuite les effets secondaires du souffle. La projection potentielle de débris ou d'éclats par l'explosion peut provoquer diverses complications (plaies pénétrantes, hémorragies massives, contamination des plaies). " Certains effets vont poser des problèmes pendant des mois. Une des victimes des attentats a par exemple mis un an et demi, si pas deux ans, à guérir d'une infection multirésistante aux antibiothérapies", témoigne le Dr Neirinckx. Les effets tertiaires concernent les effets liés à la projection du corps d'une victime dans l'environnement. Plusieurs risques sont liés, parmi lesquels des traumas fermés, des empalements, des plaies pénétrantes liées à la projection dans l'environnement et des syndromes d'écrasement. Enfin, les effets quaternaires englobent les effets liés à la chaleur et aux fumées. " Cela concerne les brûlures cutanées mais aussi les brûlures d'inhalation et l'inhalation de poussières ou de toxiques, comme l'asbeste, dont nous ne connaîtrons les conséquences que dans quelques années." Dans l'état actuel des connaissances, divers effets restent mal documentés. C'est le cas des effets cellulaires d'une explosion. " Difficile, par exemple, de faire le lien entre la perte de l'odorat et une explosion", explique le lieutenant-général.En outre, il faut prendre en compte les aspects neurologiques complexes causés par le blast. " L'impact psychosomatique de l'explosion fait partie intégrante de l'explosion. Il faut le savoir et le prendre en compte. Il peut s'agir d'un syndrome post-concussion, d'un syndrome de stress post-traumatique (SSPT ou PTSD en anglais), de troubles sensoriels divers, ou encore de troubles cognitifs et comportementaux." Le trauma cérébral modéré (TCM) génère, côté militaire, un certain nombre de réflexions. " Beaucoup de soldats ont vécu de multiples explosions. Autant de traumas qui ont fait l'objet d'études au niveau de l'Otan. Les conclusions partielles de ces études: principalement, il faut standardiser ce que l'on entend par traumatisme cérébral et ses effets. De nouvelles recherches sont nécessaires pour améliorer le diagnostic (imagerie médicale) et les orientations thérapeutiques." Pierre Neirinckx conclut en insistant: " TMC et SSPT sont deux entités imbriquées. Il n'y a pas de distinctions claires entre le physique et le psychologique. Cela coexiste et il faut les prendre en compte de manière égale. Ce n'est qu'en intégrant ces deux parts que nous arriverons à une prise en charge globale des victimes." Si la médecine doit évoluer, d'autres sciences doivent également le faire pour mieux évaluer et prendre en charge les victimes. L'expertise médicale, qui se base sur le Barème officiel belge des invalidités (Bobi) n'a, par exemple, pas évolué depuis des décennies et nécessite d'être modernisée, relève Jean-Pol Pironet, président de l'Office médico-légal, le service qui s'occupe des expertises médicales concernant les militaires, la police et les victimes de guerre, de violences intentionnelles et d'un acte de terrorisme. Le parcours des victimes, qui doivent souvent passer par plusieurs expertises médicales, pourrait, dans certains cas, être simplifié par la mise en place d'une expertise médicale unique. " Cet événement est un pas en avant pour une meilleure évaluation des victimes", déclare Léon Oldenhove de Guertechain, président de la Commission pour l'aide financière aux victimes d'actes intentionnels de violence. " Tous les récits des victimes que j'ai entendus - la commission a ouvert un peu plus de 1.650 dossiers relatifs à des dossiers d'attentats terroristes - font état de plaintes au sujet des expertises. Cela concerne d'abord le nombre élevé d'expertises, parfois inévitables quand il s'agit de plusieurs spécialités différentes. À terme, cela devrait se simplifier. Le travail est en cours. Cela concerne ensuite le résultat des expertises. La plupart des victimes ont eu l'impression que leur dommage n'a pas été pris en considération de manière suffisante. Il y a une frustration légitime de la part des victimes, mais les experts sont confrontés à des phénomènes encore nouveaux. La science est encore en pleine évolution dans de nombreux domaines." Ce que corrobore le lieutenant-général Neirinckx. "Le premier réflexe scientifique est de toujours se poser des questions. Il faut se poser des questions sur les séquelles qui ne sont pas encore objectivables et quelles portes il faut laisser ouvertes pour prendre en compte la problématique du patient. Il faut standardiser l'approche pour qu'elle soit cohérente. L'expertise médicale unique, dans certaines conditions et certains événements, se justifie. C'est une des pistes. Ensuite, il faut travailler l'enregistrement des données qui doit se faire de manière automatique. Enfin, tous les hôpitaux ne sont pas capables de faire de l'imagerie médicale d'un patient blasté, à l'heure actuelle. Il faut un centre d'expertise qui couvre ces maladies particulières qui nécessitent d'autres approches, parce qu'il y a de nombreuses choses que nous ne maîtrisons pas encore." " Il y a un renouvellement complet de la nomenclature au niveau de l'Inami. On ne peut, dans le domaine de l'expertise médicale, se baser sur des textes dépassés. De plus, il manque de médecins d'assurance et de médecins experts aptes à établir de telles invalidités. 70 postes sont ouverts et sont manquants", conclut le Pr Georges Casimir, secrétaire perpétuel de l'Académie royale de médecine. " On doit former des jeunes. Il faut qu'ils puissent se baser sur des textes mis à jour. Il serait utile et important qu'une réunion comme celle que nous avons aujourd'hui suscite au niveau du législateur la volonté de réformer ces textes, avec la nécessité de prendre le temps de le faire avec des personnes compétentes et les universités."