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Il y a quelques années, nous avions abordé cette problématique qui avait fait couler beaucoup d'encre tant en Belgique qu'en France et exposé les arrêts de la Cour de cassation dont celui du 14 novembre 2014 1 qui refuse ce droit à l'enfant né (handicapé) après avoir rappelé que si le dommage peut consister en l'atteinte à tout intérêt ou en la perte de tout avantage légitime, il suppose que la victime du fait illicite se trouve, après celui-ci, dans une situation moins favorable qu'avant.Ainsi donc, il ne peut être question, selon notre juridiction suprême, de dommage lorsque les termes de la comparaison entre ces deux situations consistent, d'une part, en l'existence d'une personne née avec un handicap et d'autre part, en sa non-existence.Cette jurisprudence a été fort critiquée et la question n'apparaît pas définitivement tranchée ; les juridictions du fond n'étant pas toutes décidées à s'aligner à la jurisprudence de notre juridiction suprême.Le tribunal de première instance de Liège a ainsi encore récemment rendu une décision consacrant le droit à indemnisation de l'enfant né handicapé 2.Madame P. est suivie durant sa grossesse par le gynécologue X. À la naissance de son enfant, il est constaté qu'il est atteint du spina bifida et a par ailleurs des pieds bots bilatéraux et la hanche gauche luxée.Dépités, les parents contraints de voir leur enfant confronté quotidiennement aux désagréments causés par son handicap, subissant diverses opérations et pris en charge au niveau multidisciplinaire, intentent une action en justice.Au vu du dossier médical, ils estiment en effet que le docteur X a commis divers manquements au niveau du suivi de la grossesse qui les ont privés de la possibilité de décider d'une interruption de grossesse. Plus précisément, ils lui reprochent une faute dans la réalisation des échographies, une faute dans le dosage de l'alpha-foeto-protéine et l'absence d'investigations complémentaires après avoir constaté un retard de croissance à 26 semaines de grossesse.Ils sollicitent de ce fait l'indemnisation de leur préjudice personnel mais également de celui subi par leur enfant.Saisi de ce différend, le tribunal désigne un expert judiciaire avec pour mission d'examiner l'éventuelle responsabilité du praticien. Il ressort de cette expertise que les notes manuscrites minimalistes actées à titre de protocoles échographiques ne répondent pas à la bonne pratique médicale qui recommande une description détaillée systématique de chaque organe examiné. Par ailleurs, le docteur X n'a pas eu connaissance du protocole des résultats sanguins contributifs mais a uniquement reçu une information orale rassurante au cours d'un entretien téléphonique qui l'a induit en erreur. Selon l'expert, a posteriori, le diagnostic de spina bifida était possible compte-tenu de la valeur de l'alpha-foeto-protéine et l'absence de protocole échographique et biologique contributifs au dossier sont à mettre en relation avec une perte de chance de poser le diagnostic anténatal du spina bifida.Sur base des constats effectués par l'expert et de l'argumentation des parents, le tribunal retient une faute dans le chef du Docteur X. " Dans le cadre de la surveillance d'une grossesse, il y a lieu, pour le médecin prudent et diligent, d'examiner la situation du patient de manière globale et évolutive. Si, en l'espèce, il a bien constaté le retard de croissance à plusieurs reprises, le gynécologue ne l'a pas retenu comme signe d'appel d'une éventuelle anomalie (...) L'absence de suivi plus scrupuleux de ce retard de croissance a contribué à diminuer les chances de poser le diagnostic quant à l'existence d'un spina bifida (...). L'absence de dépistage et, par conséquent, l'absence de communication aux parents d'un test prénatal qui indique un risque accru significatif d'une anomalie du tube neural, constitue un manquement à l'obligation de moyen de la part du gynécologue. Cette négligence a empêché les parents d'envisager une interruption de la grossesse. "Après avoir relevé ces manquements, le tribunal décide, en contradiction avec la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, que le dommage des parents mais aussi celui de l'enfant doivent être indemnisés.Le tribunal s'aligne ainsi sur la jurisprudence et la doctrine qui considèrent qu'un dommage peut être indemnisé même s'il ne consiste pas en la perte d'un acquis ou en la dégradation d'un état antérieur ; qu'il peut aussi consister, comme en l'espèce, en la lésion d'un intérêt légitime.C'est ainsi que la Cour d'appel de Bruxelles avait déjà pu décider que l'enfant né gravement handicapé avait un intérêt certain et légitime à faire l'objet d'un avortement thérapeutique et " que le dommage indemnisable consiste, pour l'enfant, dans le fait d'être né avec un handicap et de devoir vivre handicapé, alors que cette situation ne se serait pas réalisée si le diagnostic correct avait été posé "3.Au contraire de la France 4, aucune disposition législative ne règle en Belgique la question dite de la " vie préjudiciable ".Si la Cour de cassation a tranché en défaveur du droit à indemnisation du préjudice moral de l'enfant né handicapé, force est de constater que la jurisprudence et la doctrine demeurent partagées.Sans doute qu'en présence d'un vide législatif, cette question continuera à opposer les partisans de l'intérêt de l'enfant à obtenir une indemnité à ceux qui jugent qu'une telle indemnisation sous-tend qu'il eut été préférable que l'enfant ne vienne pas au monde plutôt que de naître handicapé ce qui serait socialement inacceptable.