...

Depuis plusieurs décennies, les chercheurs se sont échinés à trouver une cause biologique à l'éjaculation précoce. Sans succès. Aussi celle-ci estelle considérée comme une dysfonction sexuelle reflétant une incapacité à satisfaire une attente culturelle que nous dicte la société (conduire sa partenaire à l'orgasme par le coït). Toutefois, il existe des facteurs de risque, dont en particulier une sensibilité élevée à certains systèmes de neurotransmission. Il est acquis que la sérotonine est impliquée dans l'éjaculation prématurée. Le circuit dopaminergique et certains récepteurs à l'ocytocine le seraient également, mais la preuve formelle n'en a pas encore été apportée. Par ailleurs, un taux élevé de testostérone favoriserait la rapidité de l'éjaculation.Comme nous l'indiquions dans notre article de la semaine dernière, l'éjaculation précoce secondaire, celle qui se produit après une période de fonctionnement sexuel normal, peut être induite par des problèmes érectiles ou liée à certains facteurs médicaux (une prostatite, par exemple) ou pharmacologiques (entre autres, le sevrage de certaines substances).Le stress et l'anxiété ont été corrélés avec l'éjaculation précoce, qu'elle soit primaire - le sujet a toujours souffert d'un délai éjaculatoire bref et insatisfaisant - ou secondaire. Néanmoins, il est difficile de démêler l'écheveau : la rapidité de l'éjaculation est-elle provoquée par l'anxiété ou est-ce l'inverse ? Selon le sexologue Pascal de Sutter, professeur à la faculté de psychologie du l'UCL, les deux phénomènes s'entretiendraient l'un l'autre. Une chose est certaine : le système nerveux sympathique (SNS) est le chef d'orchestre neurologique de l'excitation. Or, dans des circonstances normales, c'est la montée de cette dernière au-delà d'un certain seuil qui déclenche le réflexe éjaculatoire, lequel est irrépressible, incontrôlable. Capable d'activer le SNC, l'anxiété, en particulier celle qui découle de la crainte d'un échec sexuel, est délétère pour le contrôle de l'excitation." Les différentes réactions sensorielles, motrices, attentionnelles et neurophysiologiques mises en oeuvre dans l'excitation sexuelle se renforcent (...) mutuellement pour précipiter le réflexe éjaculatoire comme si, dans sa dynamique naturelle, l'excitation se nourrissait d'elle-même sur un mode exponentiel ", lit-on dans Lut- ter contre l'éjaculation précoce, un guide proposé en 2015 par Philippe Kempeneers, Sabrina Bauwens et Robert Andrianne aux Éditions De Boeck-Solal.Musculature contractée, spécialement au niveau des fesses et du périnée, mouvements du bassin de plus en plus rapides, saccadés et au centre de l'attention du sujet, souffle court, rythme cardiaque accéléré : voilà qui traduit chez l'homme une forte activité du SNS pendant la pénétration. L'excitation tend à s'emballer et si, incapable de maintenir ce système sous contrôle, l'homme ne la maîtrise pas, il aura tôt fait de franchir le seuil qui libérera le réflexe éjaculatoire.Les choses sont claires aux yeux de Pascal de Sutter : l'éjaculation précoce primaire résulte fondamentalement d'un problème d'apprentissage des aptitudes sexuelles. " Parmi les hommes qui ont leur premier rapport, la plupart éjaculeront très vite, dit-il. Ensuite, 70 % d'entre eux environ trouveront le "bon truc" par essais et erreurs, sans même en être conscients. Malheureusement, les autres entretiendront de mauvaises habitudes. Pour eux, il n'y aura pas de rémission spontanée. Celui qui n'a pas acquis les bons apprentissages éjaculera vite toute sa vie, sauf s'il réapprend à mieux gérer son activité sexuelle par des exercices adaptés et l'abandon d'idées erronées sur la sexualité. "Par exemple, le postulat selon lequel le coït est roi. " Ni le coït ni sa durée ne sont forcément des éléments déterminants du plaisir sexuel ", soulignent Philippe Kempeneers, Sabrina Bauwens et Robert Andrianne. De façon générale, les partenaires surestiment l'importance de la pénétration dans le plaisir de l'autre. Aussi l'homme tend-il à s'assigner une obligation de performance qui favorise l'expression du stress et de l'anxiété, alors que pour les femmes, la qualité d'une relation sexuelle n'est pourtant pas nécessairement liée à l'obtention d'un orgasme.D'autre part, le professeur de Sutter indique que l'éjaculation précoce est en partie la résultante d'habitudes masturbatoires inappropriées durant l'adolescence. De fait, les jeunes gens se masturbent le plus souvent " à la va-vite ", dans les toilettes par exemple, parce qu'ils le font dans la frustration et la culpabilité. Cette pratique caractérisée par sa rapidité conditionne leur corps et leur cerveau, faisant le lit, chez certains, de l'éjaculation précoce.L'anéjaculation et l'éjaculation retardée figurent parmi les effets secondaires possibles des antidépresseurs de la famille des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Dès lors, ces molécules ont été employées pour lutter contre l'éjaculation précoce par inhibition du réflexe éjaculatoire. Selon plusieurs études, la méthode présenterait une certaine efficacité. Mais aussi les effets indésirables propres à cette catégorie d'antidépresseurs, dont, dans la sphère sexuelle, un risque de perte de libido et de difficultés d'érection.En 2013 est apparue sur le marché la dapoxétine, un médicament dérivé des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, mais à l'action plus sélective et à la demi-vie plus courte. Premier médicament à avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché pour le traitement spécifique de l'éjaculation précoce, la dapoxétine retarderait de 3 à 4 fois la latence éjaculatoire, mais ne serait pas exempt d'effets secondaires de nature comparable à ceux des antidépresseurs, bien que moins prononcés. " La dapoxétine peut avoir un intérêt dans les cas sévères d'éjaculation précoce, estime Philippe Kempeneers, maître de conférence au département des sciences de la santé publique de l'Université de Liège et ancien président de la Société des sexologues universitaires de Belgique. Si la dapoxétine permet de retarder l'éjaculation, elle n'assure pas un meilleur contrôle de l'excitation. Par conséquent, il paraît opportun de coupler approche médicamenteuse et approche comportementale afin de profiter de l'accroissement de la latence éjaculatoire pharmacologique pour instaurer des comportements plus adaptés. "En vérité, le traitement de l'éjaculation précoce ne peut faire l'économie d'une thérapie d'inspiration cognitivo-comportementale. " Une dizaine de séances permettent de résoudre le problème de l'éjaculation précoce primaire, de loin la plus fréquente, chez plus de 90 % des hommes concernés ", assure Pascal de Sutter.Il faut désacraliser le coït, émanciper le plaisir de ses carcans en élargissant la gamme des comportements érotiques. La régulation de paramètres tels que la tension musculaire ou la respiration est également au coeur de la prise en charge thérapeutique. L'apprentissage proprement dit consiste à domestiquer la montée de l'excitation par des techniques comportementales spécifiques. Des exercices masturbatoires sont proposés dans un premier temps. L'accent y est mis sur un ralentissement du rythme et une décentralisation sensorimotrice de la région génitale, sur l'acquisition d'une respiration lente et calme (respiration dite abdominale), sur l'intégration de pauses destinées à tester et à retarder l'accès au seuil critique menant au réflexe éjaculatoire ainsi que sur la décontraction de certains groupes musculaires (au niveau des fesses et du périnée, notamment). Viendra ensuite l'application en situation coïtale.Selon Pascal de Sutter, consulter un thérapeute n'est pas toujours indispensable. La bibliothérapie, c'est-à-dire l'autothérapie par la lecture de guides spécialisés, serait couronnée de succès dans 70 % des cas. Une autre voie, l'autotraitement faisant appel à des vidéos sexothérapeutiques, est susceptible d'offrir de meilleurs résultats encore.