A côté de l'amélioration en biologie moléculaire, de la médecine de précision et des stratégies thérapeutiques, la course informatique ne s'arrête pas non plus. Une application française fonctionnant via l'internet améliore la personnalisation de la prise en charge des patients.
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La médecine personnalisée connait de nouveaux développements. Dans le cas du cancer du poumon qui touche plusieurs dizaines de millions de personnes et à qui on attribue un million de morts par an dans le monde, le suivi est essentiel. "Or, constate Fabrice Denis, un chercheur à l'Institut Interrégional de Cancérologie au Mans (France), il n'existe pas de standards pour le suivi de ces patients." Par ailleurs, comme c'est souvent le cas, les récidives ne surviennent pas forcément au moment d'une visite programmée, ce qui a pour conséquence de retarder la détection de cette récidive grevant encore un peu plus les chances de survie des patients ou en tout cas ne leur permettant pas de bénéficier de la thérapie optimale qu'ils devraient recevoir. Vers une vraie médecine personnalisée Fabrice Denis et ses collègues ont mis au point une application Web permettant de recueillir des données très simples mais très utiles pour le dépistage d'une récidive. L'application permet au patient ou à ses proches d'envoyer un rapport hebdomadaire reprenant 12 signes ou symptômes cliniques importants comme la fatigue, la toux, de la dyspnée, une anorexie, une perte de poids, etc. Les utilisateurs peuvent recourir aussi à un formulaire en texte libre, s'ils le désirent. Les données sont envoyées en temps réel et sont analysées. L'algorithme mis au point permet de classer les signes et symptômes et de les associer. Cela permet à l'ordinateur d'identifier des récidives potentielles et d'envoyer un email vers le personnel soignant ayant en charge ce patient. Ce personnel soignant prend alors contact avec le patient et lui propose une consultation. Dans deux études prospectives préalables, la sensibilité avait atteint 86 à 100%. C'est pourquoi les chercheurs français ont mené une étude randomisée multicentrique de phase 3. Ils ont inclus 133 patients atteints d'un cancer du poumon dont 121 (âge médian=65 ans) ont pu participer à l'étude. Les caractéristiques démographiques des patients étaient similaires. Les patients présentaient un cancer du poumon à petites cellules (SCLC) ou non-à-petites-cellules (NSCLC) non progressif de stade II a à IV : 90% de stade III/IV. Le statut de performance allait de 0 à 2. Le traitement par TKI ou une thérapie de maintenance était autorisée. Les visites planifiées étaient les mêmes dans les deux groupes : tous les 3/6 mois ou plus selon la décision du médecin. Il s'agit d'une étude ambitieuse puisque l'objectif primaire était de comparer la survie globale de patients utilisant l'application Web (n=60) et celle de ceux qui ne l'utilisaient pas (n=61). Dans un second temps, les chercheurs ont voulu connaitre les différences en termes de statut de performance, la survie sans progression (PFS) et la qualité de vie. Arrêt prématuréL'étude a dû être arrêtée au moment de l'analyse intérimaire en raison de l'efficacité démontrée de l'application. En effet, la survie à un an atteint 75% chez les patients ayant utilisé, eux ou leurs proches, l'application Web contre 49% dans l'autre groupe. Or le taux de récidives était similaire dans les deux groupes : 51% dans le groupe contrôle et 49% dans le Web-App. La survie médiane a atteint 19 mois dans ce groupe contre 12 mois dans l'autre, soit une amélioration absolue de 7 mois. "Nous avons constaté une mortalité trois fois moindre dans le groupe avec la Web-App", explique F. Denis. Par ailleurs, et c'est lié, les patients ayant utilisé l'application ont été jugés dans 77% des cas comme en très bonne forme au moment de la récidive contre 33% dans l'autre groupe. Cela leur a permis de bénéficier plus souvent d'une optimalisation du traitement : 74% vs 33% (p<0,001). "Par ailleurs, constate Fabrice Denis, le groupe Web-App a dû recourir 2 fois moins souvent à l'imagerie que leurs homologues du groupe contrôle." Le ressenti du patient est également important, car il n' a plus de sentiment d'abandon à la maison entre deux visites. De plus, cela ne semble pas non plus surcharger l'oncologue comme on aurait pu le craindre. En moyenne, cela n'a pris que 15 minutes par semaine à chaque oncologue pour suivre 60 patients.Si ces résultats sont encourageants, l'étude présente quelques faiblesses dans sa méthodologie. Les patients n'ont pas été stratifiés en fonction des traitements préalables à leur introduction dans l'étude. La distinction entre les pathologies (SCLC vs NSCLC) fait également défaut. La réussite d'un tel projet dépend aussi de la bonne volonté du patient. Néanmoins, il s'agit d'une initiative très intéressante qui mérite d'être approfondie dans le cancer du poumon et dans d'autres pathologies, cancéreuses ou non. RéférenceDenis F et al. Overall survival in patients with lung cancer using a web-application-guided follow-up compared to standard modalities: Results of phase III randomized trial. ASCO 2016 Abstract #LBA9006