Le développement de résistances est le principal écueil auquel se heurtent les thérapies ciblées. L'équipe du Pr Chris Marine (VIB/KULeuven) a identifié, dans le mélanome, les populations de cellules résiduelles concourant à ce phénomène et a souligné le rôle crucial joué par l'une d'elles.
Il y a une dizaine d'années, l'introduction des thérapies ciblées contre le cancer a suscité une vague d'enthousiasme vu les réponses antitumorales assez spectaculaires enregistrées. Hélas, celles-ci ne durent qu'un temps : après un certain nombre de mois, on assiste à un retour de balancier, les tumeurs reprenant vigueur quasi systématiquement. En clair, les patients développent des résistances contre la thérapie reçue.
Le mélanome est considéré comme un modèle de référence pour les thérapies ciblées. La moitié des patients qui en souffrent présentent une mutation (V600E) du gène BRAF. Raison pour laquelle l'oncogène issu de cette mutation a été bloqué spécifiquement. Les tumeurs se sont révélées très sensibles aux inhibiteurs de BRAF (BRAF V600E inhibitor), disponibles en clinique humaine depuis 2011, avant d'y devenir résistantes. Comme le rappelle Pierre Close, responsable du Laboratoire de Signalisation du Cancer au sein du GIGA (Université de Liège), le principal mécanisme impliqué dans ce phénomène de résistance est l'acquisition d'une nouvelle mutation, cette fois au niveau du gène MEK. Dès lors, on a choisi de traiter les patients en combinant un inhibiteur de BRAF et un autre de MEK. Ce protocole permet de doubler la période précédant l'apparition de résistances, mais non de les éviter.
Quatre sous-populations
Partant du principe que le développement de ces résistances résulte principalement du fait que les traitements dispensés ne tuent pas toutes les cellules cancéreuses, le laboratoire dirigé par Chris Marine, professeur à la KULeuven, codirecteur du VIB Center for Cancer Biology, a cherché à identifier et caractériser les cellules résiduelles. Tolérantes aux drogues, elles s'y révèlent ensuite résistantes, recouvrant ainsi leur capacité de proliférer. " La recherche se heurte à un problème majeur : il est éthiquement discutable de réaliser des biopsies chez des patients qui répondent à un traitement, en l'occurrence fondé sur les inhibiteurs de BRAF et de MEK, explique Chris Marine. Pour contourner cette difficulté, nous avons élaboré des modèles baptisés PDX (Patient Derived Xenografts) : lorsqu'une biopsie est réalisée chez un patient qui recevra le diagnostic de mélanome BRAF mutant, nous l'implantons chez des souris immunodéprimées en vue de créer un avatar de la tumeur humaine. "
Les souris sont alors traitées avec des inhibiteurs de BRAF et de MEK. Comme chez l'homme, les tumeurs régressent dans un premier temps, puis réapparaissent. En recourant au séquençage de cellule unique (single-cell sequencing), qui permet l'analyse de l'information génétique (ADN, ARN...) à l'échelle d'une cellule individuelle, l'équipe de Chris Marine a pu montrer, en 2018(1), l'existence de 4 sous-populations de cellules résiduelles capables d'échapper aux traitements en activant des programmes spécifiques très distincts. D'abord, des cellules souches de la crête neurale (neural crest stem cells - NCSC), des cellules mesenchymal-like, qui adoptent le profil de cellules souches mésenchymateuses, des cellules qui présentent un caractère très différencié et enfin des cellules transitoires appelées pseudostarved-like. Ces dernières apparaissent très tôt après l'initiation du traitement anti-BRAF/MEK et, si elles survivent, donnent naissance par la suite aux trois autres types cellulaires susmentionnés en optant tantôt pour un programme de différenciation, tantôt pour un programme de dédifférenciation.
Pour échapper aux traitements, les cellules tumorales doivent arrêter de proliférer. Les NCSC et les cellules mesenchymal-like sont des cellules qui se dédifférencient, à l'inverse de la sous-population des cellules qui suivent la voie de la différenciation (et se pigmentent à l'image des mélanocytes). Ces deux stratégies de plasticité cellulaire aboutissent à un résultat similaire : les cellules entrent en quiescence et deviennent tolérantes aux traitements. " À un moment, un événement les sort de leur état quiescent et les rend résistantes ", indique le Pr Marine. Cet événement peut être de nature génétique. Par exemple, une mutation dans le gène MEK sera susceptible de rendre les cellules insensibles aux inhibiteurs de MEK ou causer des amplifications du gène BRAF, dont le nombre de copies sera multiplié, insensibles aux inhibiteurs de BRAF. De surcroît, l'équipe de Chris Marine a démontré récemment que des mécanismes épigénétiques peuvent également conférer aux cellules une insensibilité face aux traitements en dehors d'une quelconque mutation génétique (publication dans Cancer Cell le 9 août 2021(2)).
Les chercheurs du VIB ont mis en évidence que la composition de la population des cellules tolérantes au traitement anti-BRAF/MEK variait au gré des modèles PDX. " Chaque tumeur est le siège d'une combinaison particulière des quatre états de tolérance, de sorte que les mécanismes de résistance peuvent varier d'une tumeur à l'autre ", précise Chris Marine. En outre, son équipe a établi que les NCSC jouent un rôle clé dans le développement de résistances d'origine épigénétique et qu'elles seraient les seules - on aurait en effet pu suspecter que les cellules mesenchymal-like fasse de même. " Cela ne nous empêche pas de chercher des méthodes pour éradiquer de concert ces deux populations cellulaires, caractérisées toutes deux par une dédifférenciation ".
La présence de NCSC est constatée dans 20 à 25% des modèles PDX. Dès lors, en clinique humaine, les essais d'administration de drogues épigénétiques (inhibiteurs de la méthylation de l'ADN, par exemple) en plus des anti-BRAF/MEK sont voués à l'échec dans 75 à 80% des cas, les cohortes de patients n'étant pas stratifiées de façon assez rationnelle. L'idée est donc de parvenir à contourner cet écueil en analysant la composition cellulaire des maladies résiduelles minimales (MRD) et, dans la foulée, de retester les drogues épigénétiques.
Voie de signalisation FAK
Comme on peut le lire dans l'article susmentionné de Cancer Cell, c'est notamment dans cette perspective que le VIB s'est investi dans la compréhension de la biologie des NCSC à travers 40 modèles PDX et a découvert une méthode pour éradiquer ces cellules souches. Un autre motif de l'intérêt porté à ces cellules est que les mécanismes épigénétiques de résistance aux traitements sont activés beaucoup plus rapidement que leurs homologues génétiques. Comme le souligne Chris Marine, une mutation de MEK ou l'amplification de BRAF dans une population cellulaire peu fournie est un événement aléatoire statistiquement rare. De ce fait, il est généralement plus tardif que l'initiation d'un mécanisme épigénétique.
Vu l'hétérogénéité des populations de cellules tolérantes aux drogues, éradiquer les NCSC ne suffira pas à faire obstacle à tous les mécanismes de résistance. Étant donné que trois populations de cellules résiduelles émanent de la classe transitoire des pseudostarved-like, les biologistes de la VIB/KULeuven avaient supposé qu'elles pourraient éventuellement être liées par des mécanismes interdépendants et, de ce fait, que l'élimination des NCSC entraînerait celle des cellules mesenchymal-like et des cellules différenciées. Mais ce n'était pas le cas.
Comment supprimer les NCSC ? Les résultats des travaux du VIB révèlent que ces cellules dépendent de la voie de signalisation de la protéine FAK (Focal adhesion kinase) pour leur croissance et leur développement. On assiste par ailleurs à une augmentation de la signalisation FAK sous l'effet d'une thérapie anti-BRAF/MEK. Les chercheurs ont pu mettre en évidence que l'exposition à un inhibiteur de FAK (déjà disponible en clinique) réduit drastiquement la population de NCSC dans les lésions de la maladie résiduelle minimale au sein des modèles précliniques PDX et en retarde également l'apparition ainsi que celle de résistances aux inhibiteurs de BRAF et de MEK. Néanmoins, l'abolition des NCSC n'est pas complète. " Nos expériences ont toutefois été menées sur des souris immunodéprimées, commente Chris Marine. Par conséquent, on ne peut exclure qu'en thérapie humaine, les cellules NCSC que l'inhibiteur de FAK n'aurait pas éliminées le seraient finalement par le système immunitaire des patients. "
Dans le mélanome, la variabilité de la composition cellulaire de la maladie résiduelle minimale nécessite le développement de thérapies personnalisées et donc de marqueurs des mécanismes de résistance, génétiques et épigénétiques. Ces informations permettraient entre autres de déterminer si, pour un patient donné, il serait efficace d'administrer une thérapie combinant des médicaments épigénétiques et des inhibiteurs de BRAF et de MEK. Vu le caractère éthiquement discutable de l'accès à des biopsies intermédiaires au cours d'un traitement anti-BRAF/MEK, les auteurs de l'article publié en août dernier dans Cancer Cell pensent que " une alternative future sera le développement de méthodes non invasives et ultrasensibles capables de capturer la composition cellulaire de la maladie résiduelle minimale à partir de biopsies liquides ".
Pour l'heure, le groupe de Chris Marine étudie les maladies résiduelles dans plusieurs types de tumeurs, dont le cancer du poumon avec mutation du gène KRAS, dont les inhibiteurs conduisent aussi à des régressions tumorales suivies de phénomènes de résistance. " La question est : y a-t-il des mécanismes de résistance communs à divers types de cancer et les mêmes thérapies épigénétiques leur sont-elles applicables ? ", s'interroge Chris Marine.
Répondeurs et non-répondeurs
Un nouveau versant des recherches de l'équipe du Pr Marine a trait à l'immunothérapie, une autre voie très prometteuse pour combattre le mélanome. Aujourd'hui, on ne dispose d'aucun biomarqueur permettant de savoir si la tumeur va répondre aux traitements initiés : anti-PD-1 ou anti-PD-1 et anti-CTLA-4. Or, la première thérapie demeure inefficace chez 50 à 60% des patients et la seconde, par ailleurs plus toxique, chez 40 à 50% d'entre eux. Grâce à des biopsies réalisées en clinique humaine avant et pendant le traitement et à l'utilisation de la technologie du séquençage de cellule unique, les chercheurs de la VIB/KULeuven s'efforcent de caractériser à la fois les cellules tumorales et les cellules immunitaires présentes dans la tumeur. En se référant aux biopsies de 20 premiers patients, ils ont déjà pu constater des différences marquantes entre répondeurs et non-répondeurs. " On voit certaines populations cellulaires apparaître chez les seconds alors qu'elles sont absentes chez les autres. Elles pourraient nous servir à élaborer des biomarqueurs et, par la suite, de nouvelles combinaisons de traitements combattant ces mécanismes de résistance intrinsèque ", déclare Chris Marine.
Une des populations tolérantes aux drogues rappellent les NCSC, ce qui permet d'établir un lien entre les travaux sur les thérapies ciblées et ceux sur l'immunothérapie. En revanche, aucune population de cellules hyperdifférenciées n'a été observée. Autre constat : pour une raison encore non élucidée, les lymphocytes T sont maintenus en périphérie de certaines tumeurs, n'y pénètrent pas.
Le but des travaux entrepris est double : d'une part, identifier les patients auxquels il est utile de prescrire les traitements d'immunothérapie anti-PD-1 ou anti-PD-1/CTLA-4 ; d'autre part, convertir les non-répondeurs en répondeurs. " C'est un objectif majeur quand on sait à quel point les résultats de l'immunothérapie sont encourageants ", conclut Chris Marine.
Philippe Lambert
Références :
1. Rambow F. et al., Toward Minimal Residual Disease-Directed Therapy in Melanoma. Cell, 2018 Aug 9;174(4):843-855.e19.
2. Marin-Bejar O. et al., Evolutionary predictability of genetic versus nongenetic resistance to anticancer drugs. Cancer Cell. 2021, Aug 9; 39(8): 1135-1149
Il y a une dizaine d'années, l'introduction des thérapies ciblées contre le cancer a suscité une vague d'enthousiasme vu les réponses antitumorales assez spectaculaires enregistrées. Hélas, celles-ci ne durent qu'un temps : après un certain nombre de mois, on assiste à un retour de balancier, les tumeurs reprenant vigueur quasi systématiquement. En clair, les patients développent des résistances contre la thérapie reçue.Le mélanome est considéré comme un modèle de référence pour les thérapies ciblées. La moitié des patients qui en souffrent présentent une mutation (V600E) du gène BRAF. Raison pour laquelle l'oncogène issu de cette mutation a été bloqué spécifiquement. Les tumeurs se sont révélées très sensibles aux inhibiteurs de BRAF (BRAF V600E inhibitor), disponibles en clinique humaine depuis 2011, avant d'y devenir résistantes. Comme le rappelle Pierre Close, responsable du Laboratoire de Signalisation du Cancer au sein du GIGA (Université de Liège), le principal mécanisme impliqué dans ce phénomène de résistance est l'acquisition d'une nouvelle mutation, cette fois au niveau du gène MEK. Dès lors, on a choisi de traiter les patients en combinant un inhibiteur de BRAF et un autre de MEK. Ce protocole permet de doubler la période précédant l'apparition de résistances, mais non de les éviter.Partant du principe que le développement de ces résistances résulte principalement du fait que les traitements dispensés ne tuent pas toutes les cellules cancéreuses, le laboratoire dirigé par Chris Marine, professeur à la KULeuven, codirecteur du VIB Center for Cancer Biology, a cherché à identifier et caractériser les cellules résiduelles. Tolérantes aux drogues, elles s'y révèlent ensuite résistantes, recouvrant ainsi leur capacité de proliférer. " La recherche se heurte à un problème majeur : il est éthiquement discutable de réaliser des biopsies chez des patients qui répondent à un traitement, en l'occurrence fondé sur les inhibiteurs de BRAF et de MEK, explique Chris Marine. Pour contourner cette difficulté, nous avons élaboré des modèles baptisés PDX (Patient Derived Xenografts) : lorsqu'une biopsie est réalisée chez un patient qui recevra le diagnostic de mélanome BRAF mutant, nous l'implantons chez des souris immunodéprimées en vue de créer un avatar de la tumeur humaine. "Les souris sont alors traitées avec des inhibiteurs de BRAF et de MEK. Comme chez l'homme, les tumeurs régressent dans un premier temps, puis réapparaissent. En recourant au séquençage de cellule unique (single-cell sequencing), qui permet l'analyse de l'information génétique (ADN, ARN...) à l'échelle d'une cellule individuelle, l'équipe de Chris Marine a pu montrer, en 2018(1), l'existence de 4 sous-populations de cellules résiduelles capables d'échapper aux traitements en activant des programmes spécifiques très distincts. D'abord, des cellules souches de la crête neurale (neural crest stem cells - NCSC), des cellules mesenchymal-like, qui adoptent le profil de cellules souches mésenchymateuses, des cellules qui présentent un caractère très différencié et enfin des cellules transitoires appelées pseudostarved-like. Ces dernières apparaissent très tôt après l'initiation du traitement anti-BRAF/MEK et, si elles survivent, donnent naissance par la suite aux trois autres types cellulaires susmentionnés en optant tantôt pour un programme de différenciation, tantôt pour un programme de dédifférenciation.Pour échapper aux traitements, les cellules tumorales doivent arrêter de proliférer. Les NCSC et les cellules mesenchymal-like sont des cellules qui se dédifférencient, à l'inverse de la sous-population des cellules qui suivent la voie de la différenciation (et se pigmentent à l'image des mélanocytes). Ces deux stratégies de plasticité cellulaire aboutissent à un résultat similaire : les cellules entrent en quiescence et deviennent tolérantes aux traitements. " À un moment, un événement les sort de leur état quiescent et les rend résistantes ", indique le Pr Marine. Cet événement peut être de nature génétique. Par exemple, une mutation dans le gène MEK sera susceptible de rendre les cellules insensibles aux inhibiteurs de MEK ou causer des amplifications du gène BRAF, dont le nombre de copies sera multiplié, insensibles aux inhibiteurs de BRAF. De surcroît, l'équipe de Chris Marine a démontré récemment que des mécanismes épigénétiques peuvent également conférer aux cellules une insensibilité face aux traitements en dehors d'une quelconque mutation génétique (publication dans Cancer Cell le 9 août 2021(2)).Les chercheurs du VIB ont mis en évidence que la composition de la population des cellules tolérantes au traitement anti-BRAF/MEK variait au gré des modèles PDX. " Chaque tumeur est le siège d'une combinaison particulière des quatre états de tolérance, de sorte que les mécanismes de résistance peuvent varier d'une tumeur à l'autre ", précise Chris Marine. En outre, son équipe a établi que les NCSC jouent un rôle clé dans le développement de résistances d'origine épigénétique et qu'elles seraient les seules - on aurait en effet pu suspecter que les cellules mesenchymal-like fasse de même. " Cela ne nous empêche pas de chercher des méthodes pour éradiquer de concert ces deux populations cellulaires, caractérisées toutes deux par une dédifférenciation ".La présence de NCSC est constatée dans 20 à 25% des modèles PDX. Dès lors, en clinique humaine, les essais d'administration de drogues épigénétiques (inhibiteurs de la méthylation de l'ADN, par exemple) en plus des anti-BRAF/MEK sont voués à l'échec dans 75 à 80% des cas, les cohortes de patients n'étant pas stratifiées de façon assez rationnelle. L'idée est donc de parvenir à contourner cet écueil en analysant la composition cellulaire des maladies résiduelles minimales (MRD) et, dans la foulée, de retester les drogues épigénétiques.Comme on peut le lire dans l'article susmentionné de Cancer Cell, c'est notamment dans cette perspective que le VIB s'est investi dans la compréhension de la biologie des NCSC à travers 40 modèles PDX et a découvert une méthode pour éradiquer ces cellules souches. Un autre motif de l'intérêt porté à ces cellules est que les mécanismes épigénétiques de résistance aux traitements sont activés beaucoup plus rapidement que leurs homologues génétiques. Comme le souligne Chris Marine, une mutation de MEK ou l'amplification de BRAF dans une population cellulaire peu fournie est un événement aléatoire statistiquement rare. De ce fait, il est généralement plus tardif que l'initiation d'un mécanisme épigénétique.Vu l'hétérogénéité des populations de cellules tolérantes aux drogues, éradiquer les NCSC ne suffira pas à faire obstacle à tous les mécanismes de résistance. Étant donné que trois populations de cellules résiduelles émanent de la classe transitoire des pseudostarved-like, les biologistes de la VIB/KULeuven avaient supposé qu'elles pourraient éventuellement être liées par des mécanismes interdépendants et, de ce fait, que l'élimination des NCSC entraînerait celle des cellules mesenchymal-like et des cellules différenciées. Mais ce n'était pas le cas.Comment supprimer les NCSC ? Les résultats des travaux du VIB révèlent que ces cellules dépendent de la voie de signalisation de la protéine FAK (Focal adhesion kinase) pour leur croissance et leur développement. On assiste par ailleurs à une augmentation de la signalisation FAK sous l'effet d'une thérapie anti-BRAF/MEK. Les chercheurs ont pu mettre en évidence que l'exposition à un inhibiteur de FAK (déjà disponible en clinique) réduit drastiquement la population de NCSC dans les lésions de la maladie résiduelle minimale au sein des modèles précliniques PDX et en retarde également l'apparition ainsi que celle de résistances aux inhibiteurs de BRAF et de MEK. Néanmoins, l'abolition des NCSC n'est pas complète. " Nos expériences ont toutefois été menées sur des souris immunodéprimées, commente Chris Marine. Par conséquent, on ne peut exclure qu'en thérapie humaine, les cellules NCSC que l'inhibiteur de FAK n'aurait pas éliminées le seraient finalement par le système immunitaire des patients. "Dans le mélanome, la variabilité de la composition cellulaire de la maladie résiduelle minimale nécessite le développement de thérapies personnalisées et donc de marqueurs des mécanismes de résistance, génétiques et épigénétiques. Ces informations permettraient entre autres de déterminer si, pour un patient donné, il serait efficace d'administrer une thérapie combinant des médicaments épigénétiques et des inhibiteurs de BRAF et de MEK. Vu le caractère éthiquement discutable de l'accès à des biopsies intermédiaires au cours d'un traitement anti-BRAF/MEK, les auteurs de l'article publié en août dernier dans Cancer Cell pensent que " une alternative future sera le développement de méthodes non invasives et ultrasensibles capables de capturer la composition cellulaire de la maladie résiduelle minimale à partir de biopsies liquides ".Pour l'heure, le groupe de Chris Marine étudie les maladies résiduelles dans plusieurs types de tumeurs, dont le cancer du poumon avec mutation du gène KRAS, dont les inhibiteurs conduisent aussi à des régressions tumorales suivies de phénomènes de résistance. " La question est : y a-t-il des mécanismes de résistance communs à divers types de cancer et les mêmes thérapies épigénétiques leur sont-elles applicables ? ", s'interroge Chris Marine.Un nouveau versant des recherches de l'équipe du Pr Marine a trait à l'immunothérapie, une autre voie très prometteuse pour combattre le mélanome. Aujourd'hui, on ne dispose d'aucun biomarqueur permettant de savoir si la tumeur va répondre aux traitements initiés : anti-PD-1 ou anti-PD-1 et anti-CTLA-4. Or, la première thérapie demeure inefficace chez 50 à 60% des patients et la seconde, par ailleurs plus toxique, chez 40 à 50% d'entre eux. Grâce à des biopsies réalisées en clinique humaine avant et pendant le traitement et à l'utilisation de la technologie du séquençage de cellule unique, les chercheurs de la VIB/KULeuven s'efforcent de caractériser à la fois les cellules tumorales et les cellules immunitaires présentes dans la tumeur. En se référant aux biopsies de 20 premiers patients, ils ont déjà pu constater des différences marquantes entre répondeurs et non-répondeurs. " On voit certaines populations cellulaires apparaître chez les seconds alors qu'elles sont absentes chez les autres. Elles pourraient nous servir à élaborer des biomarqueurs et, par la suite, de nouvelles combinaisons de traitements combattant ces mécanismes de résistance intrinsèque ", déclare Chris Marine.Une des populations tolérantes aux drogues rappellent les NCSC, ce qui permet d'établir un lien entre les travaux sur les thérapies ciblées et ceux sur l'immunothérapie. En revanche, aucune population de cellules hyperdifférenciées n'a été observée. Autre constat : pour une raison encore non élucidée, les lymphocytes T sont maintenus en périphérie de certaines tumeurs, n'y pénètrent pas.Le but des travaux entrepris est double : d'une part, identifier les patients auxquels il est utile de prescrire les traitements d'immunothérapie anti-PD-1 ou anti-PD-1/CTLA-4 ; d'autre part, convertir les non-répondeurs en répondeurs. " C'est un objectif majeur quand on sait à quel point les résultats de l'immunothérapie sont encourageants ", conclut Chris Marine.Philippe LambertRéférences :1. Rambow F. et al., Toward Minimal Residual Disease-Directed Therapy in Melanoma. Cell, 2018 Aug 9;174(4):843-855.e19.2. Marin-Bejar O. et al., Evolutionary predictability of genetic versus nongenetic resistance to anticancer drugs. Cancer Cell. 2021, Aug 9; 39(8): 1135-1149