Le glioblastome est une tumeur réfractaire aux traitements actuels, en particulier à l'immunothérapie. L'altération de l'immunité antitumorale serait liée de près à l'action de cellules immunitaires infiltrantes, dont essentiellement des macrophages.
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Tumeur cérébrale primaire la plus fréquente, le glioblastome (GBM) a une incidence de 2 à 3 cas pour 100.000 individus aux États-Unis et en Europe. Il représente 12 à 15% de l'ensemble des tumeurs intracrâniennes et 50 à 60% des tumeurs astrocytaires. Son incidence maximale se situe dans la tranche d'âge de 45 à 75 ans. Cancer particulièrement agressif, à prédominance masculine, le glioblastome récidive presque inexorablement après résection chirurgicale et traitements adjuvants par radiothérapie et chimiothérapie à base de témozolomide. La tumeur devient résistante, de sorte que l'espérance de vie des patients après résection chirurgicale complète est de l'ordre de 15 mois. Alors que l'immunothérapie a révolutionné le traitement de plusieurs types de cancer, le glioblastome y reste réfractaire dans le cadre des protocoles actuels. C'est pourquoi elle n'est pas utilisée pour le combattre. "Quelques essais cliniques sont en cours, mais ils ne semblent guère encourageants", rapporte le Pr Jo Van Ginderachter (laboratoire Cellular and Molecular Immunology, VUB). "Des travaux récents ont montré que le cerveau et ses régions limitrophes contiennent un compartiment immunitaire diversifié, associé à un système lymphatique qui draine les antigènes dérivés du cerveau et contribue à l'élaboration de réponses immunitaires efficaces", peut-on lire dans un article publié en avril 2021 dans Nature Neuroscience 1, dont les premières auteures sont Ana Rita Pombo Antunes et le Dr Isabelle Scheyltjens (VIB/VUB), et les deux derniers auteurs, les Prs Jo Van Ginderachter et Kiavash Movahedi (VIB/VUB). Cependant, comme nous l'évoquions, le glioblastome se caractérise par une réponse décevante à l'ensemble des thérapies et même quasi inexistante à l'immunothérapie. L'hypothèse la plus communément avancée est l'existence de deux obstacles majeurs à l'efficacité des traitements: d'une part, l'hétérogénéité moléculaire et génétique des cellules cancéreuses du glioblastome, celles-ci se déclinant en de multiples sous-catégories ; d'autre part, la nature du microenvironnement tumoral, très immunosuppresseur. Cette altération de l'immunité antitumorale a conduit les chercheurs de la VUB à considérer qu'une meilleure compréhension du compartiment immunitaire du glioblastome est essentielle pour identifier et reprogrammer les cellules à l'origine du phénomène d'immunosuppression observé, qui ruine l'efficacité de toute initiative immunothérapeutique. Le microenvironnement du glioblastome est composé de cellules malignes et de cellules immunitaires infiltrantes parmi lesquelles essentiellement des cellules dendritiques mais surtout des macrophages. "Très nombreux dans le glioblastome, ils inhibent l'action des lymphocytes T, précise Jo Van Ginderachter . Dans tous les types de tumeur, sauf les tumeurs intestinales, une forte densité de macrophages est une mauvaise nouvelle: elle aide les tumeurs à se développer." On a longtemps attribué un rôle positif aux macrophages dans la lutte contre les cancers, notamment en tant que cellules présentatrices d'antigènes. Mais, en réalité, leur polyvalence, abstraction faite de leurs fonctions immunitaires, est utilisée par les cellules cancéreuses au service de la croissance tumorale. "En effet, leur rôle premier est de régler le développement des organes. C'est cette propriété que les tumeurs détournent à leur profit." "Très polyvalents, les macrophages sont également des cellules très plastiques. Ils peuvent être activés aussi bien dans un sens pro-inflammatoire, avec la sécrétion de cytokines (une fonction immunitaire), que dans un sens anti-inflammatoire en tant que cellules trophiques qui contrôlent l'homéostasie tissulaire." Dans l'article publié en avril 2021 dans Nature Neuroscience, les auteurs ont cherché à décrire les différents types de macrophages présents dans le glioblastome ; tantôt à partir de tumeurs primaires réséquées mais avant chimiothérapie et radiothérapie (7 patients), tantôt à partir de tumeurs récidivantes qui avaient été opérées et traitées ensuite par radiothérapie et chimiothérapie adjuvantes (4 patients). "Une meilleure compréhension des macrophages est absolument nécessaire pour briser les circuits immunosuppresseurs qui maintiennent une résistance aux traitements du glioblastome", commente le Pr Kiavash Movahedi. Afin de cartographier le paysage immunitaire du glioblastome, les immunologues de la VUB, en collaboration avec les équipes des Prs Diether Lambrechts (VIB/KULeuven), Frederik De Smet (KULeuven) et Bart Neyns (UZ Brussel), ont eu recours à des technologies multi-omiques: le séquençage de l'ARN de cellules uniques et la technique CITE-seq (Cellular Indexing of Transcriptomes and Epitopes by Sequencing), qui permet d'obtenir, en plus du séquençage des ARN messagers intracellulaires, des informations qualitatives et quantitatives sur les protéines de surface au niveau de la cellule unique. "Ces molécules de surface peuvent alors être utilisées comme des biomarqueurs permettant d'identifier les différentes populations de macrophages (ou d'autres cellules comme les lymphocytes T, par exemple) et de les isoler", explique le Pr Van Ginderachter. "Dans l'article de Nature Neuroscience, nous avons décrit les types de macrophages. Le but d'une prochaine étude sera de déterminer leurs rôles respectifs. Ensuite, nous essaierons de nous appuyer sur les connaissances acquises pour concevoir des traitements ciblés." Il s'agira en principe d'élaborer des thérapies capables de convertir la population des macrophages anti-inflammatoires, donc protumoraux, en macrophages pro-inflammatoires, antitumoraux. "Nous voulons trouver un interrupteur moléculaire qui les pousse dans la bonne direction en les transformant en cellules toxiques qui attaquent la tumeur", précise le Pr Movahedi. En immunothérapie, les checkpoint blockers que sont les anti-CTLA-4 et les anti-PD-1 entraînent une augmentation drastique des lymphocytes T, mais, une fois dans la tumeur, ces derniers se heurtent à l'action des macrophages anti-inflammatoires qui contribuent à leur annihilation. D'où l'intérêt théorique, dans le glioblastome, d'administrer les checkpoint blockers en transformant parallèlement les macrophages immunosuppresseurs en macrophages immunostimulants. "Ce protocole serait probablement plus efficace qu'une monothérapie à base d'anti-PD-1 ou d'anti-CTLA-4, par exemple", affirme Jo Van Ginderachter. Le glioblastome contient des macrophages d'origine monocytaire et d'autres, déjà présents dans le cerveau homéostatique, qui sont dérivés de la glie: les cellules microgliales. Dans le cas des premiers, les monocytes pénètrent dans la tumeur et au terme d'une maturation, se muent en macrophages. Les chercheurs de la VUB ont testé in vitro les fonctions des deux catégories de macrophages. Certes, elles ne se recouvrent pas parfaitement: par exemple, les cellules microgliales sont un peu plus efficaces pour éliminer les lymphocytes T. Mais les deux types de macrophages se révèlent protumoraux. D'autant que l'équipe des Prs Movahedi et Van Ginderachter a montré, dans une étude ex vivo, qu'ils stimulaient également l'angiogenèse. Toutefois, le travail de recherche reste à faire dans un contexte in vivo. Ce sera l'objet de nouveaux travaux. Les chercheurs ont mis en évidence que, dans le glioblastome, l'ontogenèse des macrophages est modifiée en fonction du stade de la maladie et que des sous-ensembles de ces cellules ontogénétiquement distincts siègent dans des microenvironnements différents et/ou sont dotés de fonctionnalités différentes. Ce qui atteste le caractère dynamique du paysage immunitaire. Ainsi, dans les cancers primaires humains, les deux populations de macrophages constituaient la majeure partie des cellules immunitaires (82 à 97%) devant les lymphocytes T (2 à 20%). En revanche, dans les tumeurs récidivantes, on observait un compartiment immunitaire plus diversifié, avec une augmentation du pourcentage de lymphocytes T et B, ainsi qu'une plus grande contribution des monocytes qui rompait avec la prééminence des cellules microgliales constatée dans les tumeurs primaires. Pourquoi ce changement dans l'ontogenèse des macrophages au sein des tumeurs récidivantes? "Une des explications est que le traitement adjuvant, en particulier la radiothérapie, peut compromettre la capacité de la microglie résidente à s'infiltrer et à se développer dans les tumeurs cérébrales", écrivent les auteurs de l'articlé de Nature Neuroscience. "La perte de la microglie peut également résulter d'une modification progressive du microenvironnement et de la perte des cellules cérébrales résidentes. (...) En outre, l'inflammation induite par la thérapie peut favoriser l'attraction des monocytes vers la tumeur." Il est apparu par ailleurs que la population des macrophages peuplant les régions hypoxiques du glioblastome était principalement d'origine monocytaire. Peut-être, suggèrent les chercheurs, les macrophages dérivés des monocytes seraient-ils mieux armés pour s'adapter à de tels environnements, en raison d'une plus grande plasticité. Au regard de la composition du microenvironnement tumoral, les chercheurs de la VUB considèrent que cibler des sous-ensembles spécifiques de macrophages peut revêtir un potentiel thérapeutique important. "Cela pourrait conduire à de nouvelles cibles thérapeutiques ou à l'emploi de biomarqueurs permettant de prédire la réponse au traitement préconisé" , indiquent-ils. De surcroît, le Pr Van Ginderachter souligne un élément important dans la perspective de recherches à visée thérapeutique: dans les modèles de souris où sont injectées des cellules murines de glioblastome, on retrouve les sous-populations de macrophages identifiées chez l'homme. À la nuance près que le paysage immunitaire est plutôt celui des tumeurs récidivantes. Les modèles de gliome spontané chez la souris sont susceptibles d'imiter plus fidèlement encore la situation chez l'être humain. Quoi qu'il en soit, la similitude entre les compartiments immunitaires chez l'homme et chez le rongeur plaide a priori en faveur de la validité des futurs modèles précliniques.