Depuis des décennies, le traitement hormonal fait partie du traitement adjuvant standard pour une femme préménopausée atteinte d'un cancer du sein primaire positif pour les récepteurs hormonaux (HR+) et HER2-négatif. Bon nombre de ces études ont commencé il y a plus de 10-15 ans ; leur suivi est maintenant suffisamment long pour pouvoir analyser valablement la survie globale. Le Pr François Duhoux (UCL) en a tiré quelques suppositions qui pourraient conduire à un traitement optimal pour ces patientes.
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Vingt études randomisées portant sur 21.457 patientes préménopausées atteintes d'un cancer du sein invasif non métastasé, traitées par tamoxifène pendant 5 ans, ont montré que le traitement hormonal adjuvant a une plus-value évidente. Une méta-analyse portant sur plus de 2500 patientes de moins de 45 ans a montré que l'ajout de tamoxifène à leur traitement réduisait la mortalité par cancer du sein et le risque de décès de 30 %. Le traitement hormonal est donc judicieux, et il constitue d'ailleurs la pierre angulaire du traitement des patientes préménopausées depuis un certain temps. Cependant, une méta-analyse portant sur 60.000 patientes atteintes d'un cancer du sein avec récepteurs oestrogéniques positifs (ER+) traitées par hormonothérapie pendant 5 ans a montré que tant le risque de récidive à distance que le risque de mortalité par cancer du sein augmentaient au cours des années suivant le traitement. L'administration de tamoxifène pendant 5 ans semble donc insuffisant. Dans l'étude ATLAS, des patientes ayant déjà reçu du tamoxifène pendant 5 ans sont randomisées, recevant encore 5 années supplémentaires de tamoxifène ou non ; elle montre une nette diminution du risque de récidive et de mortalité due au cancer du sein dans le premier groupe. Le statut préménopausique n'était connu que chez 10 % du groupe ER+, mais une analyse de sous-groupes a montré que chez les plus jeunes, les résultats sont similaires à ceux de l'ensemble de la population étudiée. On peut donc supposer que ceci s'applique également aux patientes préménopausées. Dans l'étude aTTom, les patientes ont également reçu du tamoxifène pendant 5 ans supplémentaires, enregistrant une diminution de 14 % du risque de récidive. Comme il n'y avait que 12 % de patientes de moins de 50 ans, et que seulement 3 % avaient un statut préménopausique connu, il est difficile de transposer ces conclusions à toutes les patientes préménopausées. L'étude trans-aTTom montre que dans le groupe HR+, seules les patientes ayant un BCI ( breast cancer index) élevé tirent des bénéfices d'un traitement par tamoxifène pendant 5 ans supplémentaires. Aucun bénéfice n'a été observé chez les patientes présentant un BCI faible. Il n'est donc pas judicieux d'administrer du tamoxifène pendant 5 ans supplémentaires à toutes les patientes. Le score CTS5 peut également s'utiliser comme un outil clinique pour évaluer chez qui une prolongation du traitement par tamoxifène pendant 5 ans peut être bénéfique. Toutefois, le score CTS5 a été créé et validé sur base d'études conduites chez des patientes postménopausées, de sorte qu'il doit être utilisé avec prudence chez les patientes préménopausées. Seules des patientes préménopausées ont été incluses dans les études SOFT et TEXT. Bien que la conception de ces deux études soit différente, les résultats ont été analysés conjointement. L'étude SOFT montre les résultats de 3000 patientes préménopausées atteintes d'un cancer du sein HR+, randomisées en 3 groupes : tamoxifène pendant 5 ans, suppression de la fonction ovarienne (SFO) + tamoxifène pendant 5 ans ou SFO et exémestane, un inhibiteur de l'aromatase, pendant 5 ans. La SFO a été induite par un traitement médicamenteux à base de triptoréline, par ovariectomie ou radiothérapie. L'étude TEXT, conduite auprès de 2500 patientes préménopausées, a pour sa part évalué si le traitement avec un inhibiteur de l'aromatase était supérieur à celui par tamoxifène, et ce chaque fois en combinaison avec la SFO induite par un traitement à base de triptoréline pendant 6 mois, suivi d'une ovariectomie ou d'une radiothérapie. Les résultats indiquent qu'après 8 ans, la survie sans maladie (DFS) est meilleure dans le groupe tamoxifène + SFO (83,2 %) que dans le groupe tamoxifène (78,9 %), bien que l'ajout d'exémestane à la SFO (85,9 %) offre encore un avantage supplémentaire. Pour les récidives à distance, l'effet est moins prononcé. Néanmoins, on note un avantage avec la combinaison SFO et tamoxifène, et un avantage supplémentaire si le tamoxifène est remplacé par l'exémestane. Il n'est pas facile de tirer des conclusions sur la survie globale (OS) après un suivi de 8 ans. Les résultats montrent que l'OS dans le groupe de patientes traitées par exémestane + SFO était légèrement inférieure à celle observée dans le groupe traité par tamoxifène + SFO, ce traitement étant également meilleur que le tamoxifène seul. Il faut souligner que les patientes de moins de 35 ans tirent un bénéfice beaucoup plus important du traitement par exémestane + SFO. Dans ce sous-groupe, nous constatons un bénéfice de 15 % sur le plan de la DFS et de 10 % pour les récidives à distance, comparativement au tamoxifène seul. Enfin, l'étude CANTO suit des patientes atteintes d'un cancer du sein et évalue leur qualité de vie (QoL). Celles sans traitement adjuvant ont une QoL plus basse au bout de 2 ans qu'au moment du diagnostic initial. Chez les patientes traitées uniquement par chimiothérapie, la QoL vie diminue au bout d'un an, mais après 2 ans, elle revient à celle du début du traitement. Les patientes traitées uniquement par hormonothérapie ou par une combinaison de chimiothérapie et d'hormonothérapie ont une QoL inférieure après 2 ans, par rapport au diagnostic initial. L'analyse du sous-groupe des patientes préménopausées montre que la diminution de la QoL chez celles traitées uniquement par hormonothérapie est faible et similaire à celle des patientes ne recevant pas de traitement adjuvant. La diminution la plus importante de la QoL s'observe chez les patientes traitées uniquement par chimiothérapie ou par chimiothérapie + hormonothérapie. Une explication possible est que la chimiothérapie est un substitut de la SFO chez les patientes préménopausées, de sorte que les effets indésirables sont beaucoup plus importants. Un traitement par tamoxifène entraîne une diminution moins importante de la QoL qu'un traitement par un inhibiteur de l'aromatase ou une SFO. Ainsi, on observe de l'ostéoporose chez 3,9 % des patientes traitées par tamoxifène, contre 7,2 % avec du tamoxifène + SFO et 14,8 % avec de l'exémestane + SFO. Le Pr Duhoux conclut que, chez les patientes préménopausées atteintes d'un cancer du sein primaire HR+/HER2-négatif, les meilleurs résultats cliniques sont obtenus lorsque le traitement hormonal adjuvant est le plus agressif possible, mais au détriment de la qualité de vie.