Mesurer l'ampleur réelle du phénomène et l'utilité des mesures déjà en vigueur, sensibiliser la population par des campagnes, signaler les patients à risque, s'attaquer aux éléments déclencheurs d'agressivité... Autant de pistes de réflexion abordées par l'Ordre des médecins lors de sa dernière assemblée.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins s'est penché, lors de sa dernière séance (25 février), sur la flambée de violence envers les soignants. Près de 80 agressions ont été officiellement notifiées l'an dernier via le formulaire en ligne de l'Ordre, comme nous le révélait le Pr Christian Mélot, vice-président de l'Ordre des médecins, dans un article du jdm du 19 janvier dernier. Et ce n'est là que la partie émergée d'un iceberg que l'on devine conséquent, si l'on regarde également du côté de la police fédérale: 189 P.-V. pour coups et blessures à l'encontre du personnel médical ont été recensés pour les seuls six premiers mois de 2022, il est fort problable que l'on dépassera la barre symbolique des 300 faits pour l'année complète. La progression au cours des dix dernières années est inquiétante:
C'est en 2016, suite au meurtre du Dr Roelandt à Ingelmunster l'année précédente, que l'Ordre a mis à disposition un formulaire permettant de notifier toute agression. Quelque six ans plus tard, on dénombre 434 notifications : 59 % pour des violences verbales, 21 % pour des violences psychiques, 17 % pour des violences physiques et 2 % pour des violences sexuelles.
Ces agressions de plus en plus nombreuses à l'encontre des professionnels des soins de santé sont inadmissibles, tance l'Ordre. Et d'autant plus dans le cadre d'une " relation thérapeutique qui constitue, par excellence, une relation de confiance ". Et d'ajouter : " Il est urgent et nécessaire que des mesures générales telles qu'une campagne de sensibilisation auprès de la population ainsi que la mise en oeuvre par le gouvernement d'une politique de tolérance zéro soient prises. "
Une solution plurielle
Différentes pistes ont été abordées lors de la dernière assemblée du Conseil national pour tenter d'y remédier. Car il est clair qu'il n'y a pas de solution miracle : " la solution, à l'image du problème, doit être multifactorielle, impliquer toutes les parties prenantes et mener à une action conjointe. "
Rassembler les données
Premier souci, la fragmentation des points de contact pour notifier une agression (cercles de médecins, unions professionnelles, hôpitaux...), qui ne permet pas d'avoir une photo réaliste de la situation sur le terrain et complique donc l'analyse. " Les médecins doivent être poussés à signaler chaque cas d'agression ", insiste l'Ordre qui pourrait ainsi, après regroupement des points de contact (y compris les notifications auprès des autorités locales) et analyse statistique, délivrer un rapport annuel à toutes les parties prenantes (tous secteurs professionnels des soins de santé) et au gouvernement en vue de mettre sur pied un plan d'action conjoint.
Une enquête publiée juste avant le covid (or la crise sanitaire a amplifié le phénomène d'agressivité envers les soignants) révélait que 84.4 % des médecins sondés avaient été victimes d'une forme quelconque d'agression ou de violence, dans le cadre de la relation médecin-patient, à un moment donné dans leur carrière, dont 24% physiquement et 42% psychiquement. Quasi huit médecins sur dix ayant subi des violences physiques n'avaient pas rapporté l'incident.
La majorité des médecins avoue ne pas rapporter les cas d'agression.
Sensibiliser le public
Par ailleurs, une campagne de sensibilisation doit être menée auprès de la population, demande l'Ordre. " Cette campagne doit fermement indiquer que toute agression d'un patient envers un médecin est inadmissible, et que les patients qui portent préjudice à la relation de confiance patient-médecin en agissant de manière agressive peuvent entraîner la fin de la relation thérapeutique (art. 32, Code de déontologie médicale). "
Tolérance zéro
Benoît Dejemeppe, président de l'Ordre et président de section émérite à la Cour de cassation, nous le disait déjà en janvier: " La tolérance zéro intime de communiquer le fait à une autorité, il ne faut pas le couvrir ".
La proposition de loi instaurant un nouveau Code pénal opte pour un règlement uniforme harmonisé d'aggravation des peines pour les actes de violence commis sur une personne ayant une fonction sociale, dans le cadre de l'exercice de cette fonction protégée. " La définition de 'personne ayant une fonction publique' va être élargie, de façon à ce que les professionnels des soins de santé soient repris dans le champ d'application de la nouvelle loi ", précise le Conseil national.
Efficaces, les mesures actuelles ?
La mise en place de postes de garde et l'accompagnement par un chauffeur pour les visites à domicile, en médecine générale, semblent être des mesures utiles pour la prévention des agressions, note l'Ordre des médecins. Des chiffres clairs font toutefois défaut.
En milieu hospitalier, la présence de stewards et de services de sécurité serait également bénéfique pour prévenir la violence.
" Dans le cadre des soins ambulatoires, la plupart des cas d'agression se produisent dans le cabinet. Il convient donc d'examiner si les mesures actuellement en vigueur, telles que la surveillance par caméra, le bouton d'alarme, la caisse enregistreuse ou le terminal de paiement sécurisés, renforcent non seulement le sentiment de sécurité du patient, mais ont également un effet dissuasif ", interroge le Conseil. Qui rappelle également que dans un avis de 2017, il avait suggéré le placement d'un 'red flag' dans le Sumehr pour les patients à haut risque. " Ce point de vue a été bien accueilli sur le terrain, mais étant donné que les patients au comportement à haut risque ne peuvent être tenus que partiellement responsables de l'agression, cette approche à un impact limité. "
L'étude De Jager et al. parue en 2019 montrait que dans la moitié des cas, l'agresseur est un patient connu. Les patients avec antécédents psychiatriques, qui souffrent d'éthylisme ou de toxicomanie présentent un risque plus élevé de commettre une agression. En soins ambulatoires, les agressions ont lieu principalement dans le cabinet et durant les visites à domicile. Dans les hôpitaux, les services de psychiatrie et d'urgence sont les plus concernés. Le harcèlement des médecins par téléphone et sur les médias sociaux sont également des pratiques courantes.
Les femmes médecins sont plus susceptibles d'être agressées.
Une meilleure communication
Les délais d'attente, le coût, les conflits au sujet des prescriptions et des attestations ou encore le désaccord quant à l'approche médicale constituent autant d'éléments déclencheurs d'une agression.
" Ces désagréments peuvent être solutionnés au moyen d'une communication plus claire et transparente entre le médecin et le patient. Un état d'esprit positif entre le médecin et le patient, où tous deux parviennent à une solution conjointe en tant que partenaires à part entière, peut également permettre d'éviter de nombreux problèmes. Les associations de médecins, les instances hospitalières et les organisations de patients devraient se concerter à ce sujet et élaborer ensemble un code de conduite ", conclut l'Ordre, qui souhaite prendre l'initiative et organiser une concertation globale avec toutes les parties prenantes.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins s'est penché, lors de sa dernière séance (25 février), sur la flambée de violence envers les soignants. Près de 80 agressions ont été officiellement notifiées l'an dernier via le formulaire en ligne de l'Ordre, comme nous le révélait le Pr Christian Mélot, vice-président de l'Ordre des médecins, dans un article du jdm du 19 janvier dernier. Et ce n'est là que la partie émergée d'un iceberg que l'on devine conséquent, si l'on regarde également du côté de la police fédérale: 189 P.-V. pour coups et blessures à l'encontre du personnel médical ont été recensés pour les seuls six premiers mois de 2022, il est fort problable que l'on dépassera la barre symbolique des 300 faits pour l'année complète. La progression au cours des dix dernières années est inquiétante:C'est en 2016, suite au meurtre du Dr Roelandt à Ingelmunster l'année précédente, que l'Ordre a mis à disposition un formulaire permettant de notifier toute agression. Quelque six ans plus tard, on dénombre 434 notifications : 59 % pour des violences verbales, 21 % pour des violences psychiques, 17 % pour des violences physiques et 2 % pour des violences sexuelles.Ces agressions de plus en plus nombreuses à l'encontre des professionnels des soins de santé sont inadmissibles, tance l'Ordre. Et d'autant plus dans le cadre d'une " relation thérapeutique qui constitue, par excellence, une relation de confiance ". Et d'ajouter : " Il est urgent et nécessaire que des mesures générales telles qu'une campagne de sensibilisation auprès de la population ainsi que la mise en oeuvre par le gouvernement d'une politique de tolérance zéro soient prises. "Différentes pistes ont été abordées lors de la dernière assemblée du Conseil national pour tenter d'y remédier. Car il est clair qu'il n'y a pas de solution miracle : " la solution, à l'image du problème, doit être multifactorielle, impliquer toutes les parties prenantes et mener à une action conjointe. "Rassembler les donnéesPremier souci, la fragmentation des points de contact pour notifier une agression (cercles de médecins, unions professionnelles, hôpitaux...), qui ne permet pas d'avoir une photo réaliste de la situation sur le terrain et complique donc l'analyse. " Les médecins doivent être poussés à signaler chaque cas d'agression ", insiste l'Ordre qui pourrait ainsi, après regroupement des points de contact (y compris les notifications auprès des autorités locales) et analyse statistique, délivrer un rapport annuel à toutes les parties prenantes (tous secteurs professionnels des soins de santé) et au gouvernement en vue de mettre sur pied un plan d'action conjoint.Une enquête publiée juste avant le covid (or la crise sanitaire a amplifié le phénomène d'agressivité envers les soignants) révélait que 84.4 % des médecins sondés avaient été victimes d'une forme quelconque d'agression ou de violence, dans le cadre de la relation médecin-patient, à un moment donné dans leur carrière, dont 24% physiquement et 42% psychiquement. Quasi huit médecins sur dix ayant subi des violences physiques n'avaient pas rapporté l'incident.La majorité des médecins avoue ne pas rapporter les cas d'agression.Sensibiliser le publicPar ailleurs, une campagne de sensibilisation doit être menée auprès de la population, demande l'Ordre. " Cette campagne doit fermement indiquer que toute agression d'un patient envers un médecin est inadmissible, et que les patients qui portent préjudice à la relation de confiance patient-médecin en agissant de manière agressive peuvent entraîner la fin de la relation thérapeutique (art. 32, Code de déontologie médicale). "Tolérance zéroBenoît Dejemeppe, président de l'Ordre et président de section émérite à la Cour de cassation, nous le disait déjà en janvier: " La tolérance zéro intime de communiquer le fait à une autorité, il ne faut pas le couvrir ".La proposition de loi instaurant un nouveau Code pénal opte pour un règlement uniforme harmonisé d'aggravation des peines pour les actes de violence commis sur une personne ayant une fonction sociale, dans le cadre de l'exercice de cette fonction protégée. " La définition de 'personne ayant une fonction publique' va être élargie, de façon à ce que les professionnels des soins de santé soient repris dans le champ d'application de la nouvelle loi ", précise le Conseil national.La mise en place de postes de garde et l'accompagnement par un chauffeur pour les visites à domicile, en médecine générale, semblent être des mesures utiles pour la prévention des agressions, note l'Ordre des médecins. Des chiffres clairs font toutefois défaut. " Dans le cadre des soins ambulatoires, la plupart des cas d'agression se produisent dans le cabinet. Il convient donc d'examiner si les mesures actuellement en vigueur, telles que la surveillance par caméra, le bouton d'alarme, la caisse enregistreuse ou le terminal de paiement sécurisés, renforcent non seulement le sentiment de sécurité du patient, mais ont également un effet dissuasif ", interroge le Conseil. Qui rappelle également que dans un avis de 2017, il avait suggéré le placement d'un 'red flag' dans le Sumehr pour les patients à haut risque. " Ce point de vue a été bien accueilli sur le terrain, mais étant donné que les patients au comportement à haut risque ne peuvent être tenus que partiellement responsables de l'agression, cette approche à un impact limité. "L'étude De Jager et al. parue en 2019 montrait que dans la moitié des cas, l'agresseur est un patient connu. Les patients avec antécédents psychiatriques, qui souffrent d'éthylisme ou de toxicomanie présentent un risque plus élevé de commettre une agression. En soins ambulatoires, les agressions ont lieu principalement dans le cabinet et durant les visites à domicile. Dans les hôpitaux, les services de psychiatrie et d'urgence sont les plus concernés. Le harcèlement des médecins par téléphone et sur les médias sociaux sont également des pratiques courantes.Les femmes médecins sont plus susceptibles d'être agressées. Les délais d'attente, le coût, les conflits au sujet des prescriptions et des attestations ou encore le désaccord quant à l'approche médicale constituent autant d'éléments déclencheurs d'une agression. " Ces désagréments peuvent être solutionnés au moyen d'une communication plus claire et transparente entre le médecin et le patient. Un état d'esprit positif entre le médecin et le patient, où tous deux parviennent à une solution conjointe en tant que partenaires à part entière, peut également permettre d'éviter de nombreux problèmes. Les associations de médecins, les instances hospitalières et les organisations de patients devraient se concerter à ce sujet et élaborer ensemble un code de conduite ", conclut l'Ordre, qui souhaite prendre l'initiative et organiser une concertation globale avec toutes les parties prenantes.