Le journal du médecin : Dans votre rapport, vous mentionnez que le système de santé belge est l'un des meilleurs du monde, mais qu'il reste améliorable. Vous pouvez développer ?

Jean-Pascal Labille : Le système de santé belge est un excellent système de santé. L'OCDE et l'Observatoire européen de la santé le soulignent d'ailleurs. Les soins sont accessibles, l'assurance maladie est efficace, les Belges ont une grande confiance dans le système de santé.

Mais cela ne veut pas dire que tout est parfait. Il y a des failles de plus en plus visibles. Le sous-financement hospitalier et l'organisation des soins par exemple, sont perfectibles. Les soins intégrés, avec la territorialisation des soins autour du patient, sont une réponse à ces problématiques. Mais il y a également d'autres défis concernant la santé mentale, la pénurie, l'absentéisme ou encore le déconventionnement. Et puis, la santé s'est quand même marchandisée dans un certain nombre de sous-secteurs. Je vais en citer trois : le secteur du médicament, les maisons de repos et la biologie clinique.

Le financement

Comment financer la Santé dans le contexte géopolitique actuel ? On parle de financer davantage la Défense au détriment de la Santé.

Je suis à la fois scandalisé et en colère quand j'entends des femmes et des hommes politiques d'abord sacraliser la santé au début de la crise sanitaire pour ensuite dire que chacun doit désormais faire des efforts, en ce compris le secteur de la santé.

Le Bureau du plan - ce n'est pas un cryptocommuniste - estime que le budget de la santé doit augmenter de 3,2%, hors inflation. Or, quand on regarde le programme de certains partis, tels le MR et la N-VA, ce sont des économies dans le budget de la santé qui sont prévues. Nous avons calculé que le programme du MR prévoit cinq milliards d'économies sous la prochaine législature, alors que nos hôpitaux connaissent une situation financière compliquée... Il faut donc investir. L'assurance maladie ne peut devenir une variable d'ajustement budgétaire. Qu'il y ait de l'initiative privée, certes, mais que l'État fixe les règles du jeu me paraît être un élément essentiel. Il faut réorganiser le système de santé pour qu'il puisse rencontrer l'ensemble des défis sanitaires et démographiques que nous avons devant nous.

Quand je vois ce que proposent certains partis dans leur programme, je me dis qu'il y a un vrai problème de compréhension des enjeux de société actuels.

Nous avons abordé le volet fédéral, mais les caisses de la Wallonie - qui a subi le covid mais aussi les inondations - sont vides. Comment, dans ce contexte financier, soutenir durablement le secteur de la santé ?

Je pense que des réformes intra-francophones sont d'abord nécessaires pour que la répartition des compétences soit plus cohérente. Cela concerne la prévention, les hôpitaux universitaires ou encore la santé scolaire.

Ensuite, il y a différents leviers que la Région wallonne peut activer, tels la régulation des prix en MRS ou la lutte contre la surconsommation des soins inappropriés. Concernant l'organisation des soins, le décret Proxisanté porté par Christie Morreale est un premier pas - important - dans la bonne direction.

La Wallonie dispose donc de l'ensemble des leviers et les flux financiers sont là pour mener une politique de santé. Mais cette dernière doit s'articuler avec le fédéral. Je tiens d'ailleurs à souligner que nous ne sommes absolument pas demandeurs d'une 7e réforme de l'État. Je défie d'ailleurs quiconque de me prouver la plus-value de la 6e réforme de l'État pour la population.

Question subsidiaire : tous les partis francophones sont en faveur d'une réfédéralisation des soins, ou à tout le moins de la prévention. Mais les partis néerlandophones ne le voient pas du même oeil. Quelle est votre position ?

On peut voir la question sous deux angles. Premièrement, il faut effectivement apporter de la cohérence à l'organisation des soins. La logique voudrait que l'on refédéralise, car la prévention permet de diminuer les dépenses en soins de santé. Deuxièmement, politiquement, qui oserait sauter le pas côté flamand ? Ce serait aller contre l'opinion publique.

J'aime rêver, mais à un moment donné, il faut revenir les pieds sur terre. Regardons d'abord ce que nous pouvons simplifier côté francophone.

Les priorités

Abordons vos priorités : l'organisation des soins en fait partie. Vous mentionnez les soins intégrés et l'importance de Proxisanté en tant que pièce importante du puzzle.

C'est un pas important, il fallait le faire. Ce n'était pas simple, car la première ligne regroupe une multitude d'acteurs. C'est un socle essentiel, mais il faut aller plus loin.

Cela passe notamment par la réforme du paysage hospitalier, qui est au point mort depuis que Frank Vandenbroucke est au pouvoir.

Je ne connais pas un réseau qui fonctionne bien. Maintenant, il faut intégrer les hôpitaux dans une logique plus large et quitter l'hospitalocentrisme. Il y a une absolue nécessité aujourd'hui d'organiser le système autrement, sur une base territoriale et autour du patient. Les réseaux hospitaliers sont donc nécessaires. Mais ira-t-on vers un financement de ces réseaux ? Les agréments seront-ils liés à l'avenir aux réseaux plutôt qu'aux hôpitaux ? Réponse lors de la prochaine législature.

Une de vos priorités est également de travailler sur le sens au travail. Quelles solutions envisagez-vous pour le personnel hospitalier, particulièrement touché par l'épuisement ?

Il faut d'abord une réponse immédiate. On ne peut pas fermer 2.500 lits hospitaliers faute de personnel. Il faut apporter une réponse urgente à la crise des études infirmières notamment, où seulement 60% des étudiantes et étudiants professent au final.

Ensuite, il faut apporter une réponse à long terme. Il faut travailler sur les conditions de travail, et cela dépasse l'aspect pécuniaire. Il faut travailler sur l'organisation au travail pour avoir assez de personnel autour du lit du patient. Il faut diminuer la charge administrative qui pèse sur les soignants. Il faut travailler à une meilleure répartition des tâches, à davantage de pluridisciplinarité. Cela prendra du temps.

C'est vraiment un dossier qui me tracasse beaucoup. Ce sera l'un des dossiers ultra prioritaires de la prochaine législature.

La politique

À la lecture des programmes santé des six partis principaux côté francophone, tous semblent se rejoindre sur les priorités en santé, sur la fin des quotas, la refédéralisation. Faites-vous la même analyse ?

Non, puisque quand je regarde le programme du MR, le financement pose problème. Il n'y a pas de financement prévu pour la santé, et il y aura des économies. C'est ce que nous avons vécu avec Maggie De Block. Il faut en être conscient : aujourd'hui, le MR prévoit des économies en soins de santé. Ça serait bien que pour une fois, le président du MR - qui est toujours prompt à dégainer - assume ce fait. S'il dit le contraire, alors je pense qu'il a un vrai problème dans la lecture de son propre programme.

Bref, non, les programmes ne sont pas les mêmes. Nous avons fait une comparaison des programmes des différents partis par rapport aux revendications que nous avons faites dans notre mémorandum. Nous pouvons nous y retrouver dans les programmes PS, d'écolo voire du PTB. C'est le cas également de Défi et des Engagés, même s'il existe des divergences, notamment sur les retours de personnes malades au travail, puisqu'ils prévoient un certain nombre de sanctions. Seul le programme du MR nous pose un réel problème, fondamentalement en matière de financement.

Question réforme, ne serait-il pas temps d'octroyer au même niveau de pouvoir l'agrément et le financement, par exemple des lits hospitaliers ?

La Belgique est un beau pays, mais nous n'avons pas toujours fait dans la simplicité. Ceci en est un exemple. Il est toutefois possible de composer avec l'existant sans pour autant réformer. Il faut pour cela différents éléments. Le premier élément, c'est de partir d'objectifs fédéraux et régionaux avant d'élaborer un budget, via une commission interministérielle qui fixe ces objectifs. Le deuxième élément, c'est la nécessaire coopération, concertation entre les différentes entités pour arriver à ces objectifs. Dernier élément : la responsabilisation. Si l'on fixe un budget, il faut s'y tenir.

Comment concilier les points de vue du nord et du sud sur les nécessaires réformes que nous devons entreprendre malgré des points de vue parfois diamétralement opposés ?

Cela fera l'objet de discussions politiques intenses. Mais je n'ai pas de boucle de cristal. Il faudra voir qui sera au Parlement après le 9 juin. Si l'on regarde les programmes santé au nord du pays, il y a davantage de divergences, notamment autour de la question des sanctions pour faire revenir les personnes malades au travail, mais, hormis la N-VA et l'Open Vld, il y a moyen de travailler ensemble pour un système de santé robuste.

L'objectif est de conserver une sécurité sociale fédérale et forte, avec une solidarité interpersonnelle fédérale et un financement de la sécurité sociale basé sur les cotisations, ce qui entraîne de facto une gestion paritaire et une concertation sociale. C'est la grande richesse de notre système.

Le journal du médecin : Dans votre rapport, vous mentionnez que le système de santé belge est l'un des meilleurs du monde, mais qu'il reste améliorable. Vous pouvez développer ?Jean-Pascal Labille : Le système de santé belge est un excellent système de santé. L'OCDE et l'Observatoire européen de la santé le soulignent d'ailleurs. Les soins sont accessibles, l'assurance maladie est efficace, les Belges ont une grande confiance dans le système de santé.Mais cela ne veut pas dire que tout est parfait. Il y a des failles de plus en plus visibles. Le sous-financement hospitalier et l'organisation des soins par exemple, sont perfectibles. Les soins intégrés, avec la territorialisation des soins autour du patient, sont une réponse à ces problématiques. Mais il y a également d'autres défis concernant la santé mentale, la pénurie, l'absentéisme ou encore le déconventionnement. Et puis, la santé s'est quand même marchandisée dans un certain nombre de sous-secteurs. Je vais en citer trois : le secteur du médicament, les maisons de repos et la biologie clinique.Comment financer la Santé dans le contexte géopolitique actuel ? On parle de financer davantage la Défense au détriment de la Santé.Je suis à la fois scandalisé et en colère quand j'entends des femmes et des hommes politiques d'abord sacraliser la santé au début de la crise sanitaire pour ensuite dire que chacun doit désormais faire des efforts, en ce compris le secteur de la santé.Le Bureau du plan - ce n'est pas un cryptocommuniste - estime que le budget de la santé doit augmenter de 3,2%, hors inflation. Or, quand on regarde le programme de certains partis, tels le MR et la N-VA, ce sont des économies dans le budget de la santé qui sont prévues. Nous avons calculé que le programme du MR prévoit cinq milliards d'économies sous la prochaine législature, alors que nos hôpitaux connaissent une situation financière compliquée... Il faut donc investir. L'assurance maladie ne peut devenir une variable d'ajustement budgétaire. Qu'il y ait de l'initiative privée, certes, mais que l'État fixe les règles du jeu me paraît être un élément essentiel. Il faut réorganiser le système de santé pour qu'il puisse rencontrer l'ensemble des défis sanitaires et démographiques que nous avons devant nous.Nous avons abordé le volet fédéral, mais les caisses de la Wallonie - qui a subi le covid mais aussi les inondations - sont vides. Comment, dans ce contexte financier, soutenir durablement le secteur de la santé ?Je pense que des réformes intra-francophones sont d'abord nécessaires pour que la répartition des compétences soit plus cohérente. Cela concerne la prévention, les hôpitaux universitaires ou encore la santé scolaire.Ensuite, il y a différents leviers que la Région wallonne peut activer, tels la régulation des prix en MRS ou la lutte contre la surconsommation des soins inappropriés. Concernant l'organisation des soins, le décret Proxisanté porté par Christie Morreale est un premier pas - important - dans la bonne direction.La Wallonie dispose donc de l'ensemble des leviers et les flux financiers sont là pour mener une politique de santé. Mais cette dernière doit s'articuler avec le fédéral. Je tiens d'ailleurs à souligner que nous ne sommes absolument pas demandeurs d'une 7e réforme de l'État. Je défie d'ailleurs quiconque de me prouver la plus-value de la 6e réforme de l'État pour la population.Question subsidiaire : tous les partis francophones sont en faveur d'une réfédéralisation des soins, ou à tout le moins de la prévention. Mais les partis néerlandophones ne le voient pas du même oeil. Quelle est votre position ? On peut voir la question sous deux angles. Premièrement, il faut effectivement apporter de la cohérence à l'organisation des soins. La logique voudrait que l'on refédéralise, car la prévention permet de diminuer les dépenses en soins de santé. Deuxièmement, politiquement, qui oserait sauter le pas côté flamand ? Ce serait aller contre l'opinion publique.J'aime rêver, mais à un moment donné, il faut revenir les pieds sur terre. Regardons d'abord ce que nous pouvons simplifier côté francophone.Abordons vos priorités : l'organisation des soins en fait partie. Vous mentionnez les soins intégrés et l'importance de Proxisanté en tant que pièce importante du puzzle.C'est un pas important, il fallait le faire. Ce n'était pas simple, car la première ligne regroupe une multitude d'acteurs. C'est un socle essentiel, mais il faut aller plus loin.Cela passe notamment par la réforme du paysage hospitalier, qui est au point mort depuis que Frank Vandenbroucke est au pouvoir.Je ne connais pas un réseau qui fonctionne bien. Maintenant, il faut intégrer les hôpitaux dans une logique plus large et quitter l'hospitalocentrisme. Il y a une absolue nécessité aujourd'hui d'organiser le système autrement, sur une base territoriale et autour du patient. Les réseaux hospitaliers sont donc nécessaires. Mais ira-t-on vers un financement de ces réseaux ? Les agréments seront-ils liés à l'avenir aux réseaux plutôt qu'aux hôpitaux ? Réponse lors de la prochaine législature.Une de vos priorités est également de travailler sur le sens au travail. Quelles solutions envisagez-vous pour le personnel hospitalier, particulièrement touché par l'épuisement ?Il faut d'abord une réponse immédiate. On ne peut pas fermer 2.500 lits hospitaliers faute de personnel. Il faut apporter une réponse urgente à la crise des études infirmières notamment, où seulement 60% des étudiantes et étudiants professent au final.Ensuite, il faut apporter une réponse à long terme. Il faut travailler sur les conditions de travail, et cela dépasse l'aspect pécuniaire. Il faut travailler sur l'organisation au travail pour avoir assez de personnel autour du lit du patient. Il faut diminuer la charge administrative qui pèse sur les soignants. Il faut travailler à une meilleure répartition des tâches, à davantage de pluridisciplinarité. Cela prendra du temps.C'est vraiment un dossier qui me tracasse beaucoup. Ce sera l'un des dossiers ultra prioritaires de la prochaine législature.À la lecture des programmes santé des six partis principaux côté francophone, tous semblent se rejoindre sur les priorités en santé, sur la fin des quotas, la refédéralisation. Faites-vous la même analyse ?Non, puisque quand je regarde le programme du MR, le financement pose problème. Il n'y a pas de financement prévu pour la santé, et il y aura des économies. C'est ce que nous avons vécu avec Maggie De Block. Il faut en être conscient : aujourd'hui, le MR prévoit des économies en soins de santé. Ça serait bien que pour une fois, le président du MR - qui est toujours prompt à dégainer - assume ce fait. S'il dit le contraire, alors je pense qu'il a un vrai problème dans la lecture de son propre programme.Bref, non, les programmes ne sont pas les mêmes. Nous avons fait une comparaison des programmes des différents partis par rapport aux revendications que nous avons faites dans notre mémorandum. Nous pouvons nous y retrouver dans les programmes PS, d'écolo voire du PTB. C'est le cas également de Défi et des Engagés, même s'il existe des divergences, notamment sur les retours de personnes malades au travail, puisqu'ils prévoient un certain nombre de sanctions. Seul le programme du MR nous pose un réel problème, fondamentalement en matière de financement.Question réforme, ne serait-il pas temps d'octroyer au même niveau de pouvoir l'agrément et le financement, par exemple des lits hospitaliers ?La Belgique est un beau pays, mais nous n'avons pas toujours fait dans la simplicité. Ceci en est un exemple. Il est toutefois possible de composer avec l'existant sans pour autant réformer. Il faut pour cela différents éléments. Le premier élément, c'est de partir d'objectifs fédéraux et régionaux avant d'élaborer un budget, via une commission interministérielle qui fixe ces objectifs. Le deuxième élément, c'est la nécessaire coopération, concertation entre les différentes entités pour arriver à ces objectifs. Dernier élément : la responsabilisation. Si l'on fixe un budget, il faut s'y tenir.Comment concilier les points de vue du nord et du sud sur les nécessaires réformes que nous devons entreprendre malgré des points de vue parfois diamétralement opposés ?Cela fera l'objet de discussions politiques intenses. Mais je n'ai pas de boucle de cristal. Il faudra voir qui sera au Parlement après le 9 juin. Si l'on regarde les programmes santé au nord du pays, il y a davantage de divergences, notamment autour de la question des sanctions pour faire revenir les personnes malades au travail, mais, hormis la N-VA et l'Open Vld, il y a moyen de travailler ensemble pour un système de santé robuste.L'objectif est de conserver une sécurité sociale fédérale et forte, avec une solidarité interpersonnelle fédérale et un financement de la sécurité sociale basé sur les cotisations, ce qui entraîne de facto une gestion paritaire et une concertation sociale. C'est la grande richesse de notre système.