Le CHU Brugmann vit depuis un mois maintenant dans une atmosphère de défiance et de manigances politiques. Et apprendre par voie de presse la semaine dernière que la directrice générale médicale (DGM) s'est inexplicablement retrouvée sur un siège éjectable n'était pas de nature à calmer les esprits. La preuve avec la décision avortée de ce lundi soir.
Dans des mails encore adressés à la communauté médicale avant ce fameux conseil, plusieurs chefs de service ou de clinique avaient demandé, à tout le moins, de retirer cet ordre du jour "qui engage lourdement l'avenir de l'hôpital".
Surtout que chaque médecin de l'institution aurait l'opportunité de s'exprimer sur le sujet lors de l'assemblée générale prévue ce jeudi 28 juillet. Attendre trois jours de plus pour un mouvement aussi stratégique que le licenciement de la DGM relèverait d'une gestion nettement "plus sage", s'accordaient à dire les destinateurs.
Résultat, le conseil médical censé sceller le sort du Dr Florence Hut n'est pas parvenu à rassembler le nombre nécessaire et suffisant de présences pour voter. Outre les chaises laissées inoccupées en cette période estivale, 6 membres auraient démissionné avec fracas, nous indique l'avocat conseil de la directrice médicale, Jean Bourtembourg.
En conséquence, impossible d'atteindre le quorum de la moitié plus un mais également d'installer les suppléants entre-temps. Ce que la direction de Brugmann n'a toujours pas commenté, optant vraisemblablement pour le silence radio en attendant que l'orage passe.
Il y a désormais fort à craindre que le conseil médical se fasse totalement désavouer lors de l'AG. Ou, en d'autres termes, pour l'heure, l'honneur de Florence Hut semble sauf et sa collaboration professionnelle en sursis.
Défection par acquis de conscience
Tout le campus de Brugmann a été secoué par la "manière proprement indigne dont les procédures ont été bafouées" ou encore par cette décision "hors de proportion d'un conseil d'administration sciemment non informé", ont lancé à la cantonade d'autres médecins du CHU.
Il ne fallait pas être grand clerc pour constater que la DGM bénéficie d'un soutien massif tant au sein du corps médical que paramédical, et même du personnel administratif.
"Le Dr Hut a une vision de l'avenir, de l'ambition pour l'hôpital, initie de nombreux projets, soutient avec vigueur les équipes qui en proposent", rappelait dans un autre courrier une médecin fidèle à Brugmann depuis près de 40 ans.
Six membres du conseil médical auraient dès lors eu le courage de revenir sur leur démarche. Certains mêmes qui s'étaient laissé entraîner dans le vote de censure à l'encontre du Dr Hut. Mais s'ils se sont rétractés, c'est visiblement par objection de conscience devant un faisceau de présomptions.
Pour bon nombre de soignants, le conseil médical a outrepassé son rôle, dans une manoeuvre initiée par son président, Jacques Devriendt, jugée "grossière et pitoyable". Le Dr Devriendt, chef des soins intensifs, est personnellement impliqué dans un conflit de gestion avec Florence Hut. Son service a fait l'objet d'une enquête de risques psycho-sociaux à la suite de comportements indésirables de l'un de ses médecins. Remettant indirectement en cause le management du Dr Devriendt. De quoi laisser penser à certains qu'en "juge et partie", il défendait alors ses propres intérêts en appuyant l'éjection de la directrice médicale.
Anti-démocratique
Dans un courrier envoyé ce mercredi à tous les spécialistes de Brugmann, le Dr Devriendt considère que le conseil médical a été "mis dans l'impossibilité" de se prononcer. Il assure que plusieurs membres ont subi des "menaces inacceptables" relatives à leur futur dans l'hôpital en fonction de leur décision de vote.
"C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre une partie des démissions simultanées et synchronisées qui nous sont parvenues", analyse le président de l'organe représentatif.
Selon lui, tous ces éléments résultent d'une "campagne de pression psychologique intense" fondée sur le "déni des problèmes" posés par Florence Hut.
Et de conclure pour le conseil médical que, malgré les tentatives de déstabilisation dont il fait l'objet , il essaiera de continuer à "remplir son rôle pour le maintien d'un Hôpital fondé sur des valeurs démocratiques".
L'Ordre instruit l'affaire
Comme le signalait le Journal du Médecin mardi dernier, le Dr Hut a déposé plainte contre le Dr Devriendt auprès du Conseil provincial de l'Ordre des médecins, invoquant les articles 136 et 137 du Code de déontologie, stipulant en substance que "la confraternité est un devoir primordial" et qu'un "dissentiment professionnel ne peut donner lieu à des polémiques publiques".
Mais la directrice médicale de Brugmann avait également demandé à l'Ordre de faire injonction au Dr Devriendt de soumettre la demande d'avis relatif à son licenciement à l'AG, rappelant que, selon les directives déontologiques du Conseil national, l'assemblée des médecins hospitaliers doit être régulièrement consultée pour des options stratégiques importantes.
L'Ordre des médecins n'a pas fait injonction. "Ils vont instruire l'affaire conformément à ce qui est prévu par la loi et tous les problèmes doivent se résoudre par le respect de la loi", a reçu pour seule communication de la part de l'organe disciplinaire l'avocat de Florence Hut. En termes de mesures provisoire et urgentes, concédons que l'Ordre ne donne pas l'impression de vouloir diligenter l'affaire.
Politiquement incorrecte
En synthèse, la maladroite confection du dossier à charge de Florence Hut, la motion de défiance du conseil médical et la proposition de licenciement du conseil d'administration tendent à démontrer que les intrigues de cette saga hospitalière dépassent largement les querelles hiérarchiques.
D'ailleurs, le jour dudit conseil d'administration, son président étiqueté MR, Christophe Pourtois, avait préalablement convoqué le Dr Hut. Une rencontre confidentielle dont rien n'a formellement filtré. Il se dit qu'il lui aurait reproché son autoritarisme, ses conflits avec les médecins et sa rigidité à l'égard des projets hospitaliers bruxellois. Un chapelet de griefs derrière lequel Christophe Pourtois se serait caché pour soumettre au Dr Hut un quitte ou double : redevenir "simple" médecin-chef ou être remerciée.
"On s'attaque à une directrice dévouée qui, par cette implication, ennuie la faîtière Iris et en vient à déranger les plans politiques", notait un autre chef de clinique à l'adresse de l'ensemble de ses confrères.
Tout porte ainsi à croire que les présidents du conseil médical et du conseil d'administration se sont ménagé le soutien du bourgmestre de Bruxelles. Ou l'inverse. En tout cas, les rumeurs évoquent des arrangements de majorité au niveau communal.
"Le MR est tellement faible à Bruxelles que dès que Mayeur siffle, leurs mandataires obéissent", affirme encore une personne proche de Florence Hut.
Pourtant, "Yvan Mayeur n'est l'ami ni de Brugmann ni des médecins", écrivait un dernier responsable médical avant d'apprendre l'heureux revirement de situation au conseil de lundi.
À Brugmann, on attend ce jeudi "le clou du spectacle" lors de l'assemblée générale. "Le corps médical devrait pouvoir bloquer les combines politiques ", nous confiait récemment une énième intervenante, familière du CHU. Son voeu aurait-il été entendu ?