Le Pr Jean-Bernard Gillet assure depuis près d'un an la direction médicale du CHU Brugmann. L'urgentiste de formation a pris ses fonctions à l'issue d'une période de crise provoquée par le licenciement du Dr Florence Hut. Il s'est engagé dans un projet de gouvernance visant à clarifier une série de procédures internes, sources potentielles de tension, et à valoriser l'engagement des médecins dans leur institution.
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-Le jdM: Quelles sont les grandes priorités médicales du CHU Brugmann ?Jean-Bernard Gillet: Je suis entré en fonction dans une période difficile pour l'Hôpital Brugmann. J'ai cherché à comprendre comment on en était arrivé à une telle situation car les parties au conflit sont, d'une manière générale, des professionnels respectables. Ma question a été: existe-t-il des éléments institutionnels qui pouvaient expliquer ces tensions. Le constat - largement partagé par d'autres responsables de l'hôpital - est que le CHU Brugmann a vécu très longtemps avec une tradition orale forte, structurée, où l'autorité médicale reposait essentiellement sur le crédit porté aux personnes. A côté de cela, il y avait peu et de très anciennes règles de fonctionnement, non actualisées. Lorsque, pour une raison ou une autre, des difficultés apparaissent, l'absence de références écrites aboutit vite à une personnalisation des conflits. Lors de mon parcours professionnel à l'UZ Leuven et chez Vivalia, j'ai pu me rendre compte qu'on ne peut pas faire fonctionner des groupes de travailleurs aussi larges en disposant d'aussi peu d'éléments écrits. Nous avons décidé de profiter de la crise pour clarifier une série de points et sources d'ambiguïté afin de d'affronter les questions qui nous sont régulièrement posées : quelle est procédure pour désigner quelqu'un à une fonction ou pour se séparer de quelqu'un, comment structurer la carrière médicale... Le but est de rédiger ces procédures et les faire approuver par les acteurs. Cela permettra de clarifier le fonctionnement de l'institution. Nous menons également une grande réflexion sur le statut pécuniaire des médecins, sur l'organisation de la hiérarchie médicale, sur les relations avec l'université, sur son influence dans la nomination de la hiérarchie médicale, sur l'influence de la productivité clinique sur les revenus... Je me suis engagé à clarifier tous ces éléments. - Cette réflexion se fait-elle en binôme avec la direction générale de l'Hôpital ?- Tout à fait. Le travail du comité de direction présidé par Francis De Dree est très collégial et argumenté. Même si nous ne sommes pas d'accord sur tout, il y a place pour les discussions, Le dialogue est franc, ouvert et dynamique, l'ambiance est excellente, et les arbitrages sont rendus quand c'est nécessaire. De plus, j'ai la chance de travailler avec le Pr De Meyer, qui assume la fonction de médecin-chef : c'est une réelle plus-value de pouvoir confronter nos approches.- Le CHU Brugmann est un hôpital du réseau Iris. Il doit donc s'inscrire dans cette dynamique. Votre travail de réflexion est-il partagé avec vos partenaires ?- Avant de travailler ici, j'ignorais qu'il y avait une très forte polarisation, historique, entre le CHU Brugmann et le CHU Saint-Pierre, avec des antagonismes quasiment ataviques. Depuis un an, en discutant avec mes collègues de Saint-Pierre, nous nous sommes rendu compte que nous sommes de moins en moins antagonistes et que, sur de nombreux sujets, les deux hôpitaux généraux de la Ville de Bruxelles sont de plus en plus en phase sur le plan médical. Au point qu'une véritable entraide s'est mise en place entre les directions médicale et générale des deux institutions. Un des objectifs majeurs de notre plan stratégique est d'améliorer les programmes de soins, en tant qu'organisation horizontale autour et au service du patient. Avec le CHU Saint-Pierre, nous avons décidé de lancer six projets pilotes afin de démontrer la pertinence de ce modèle, et son efficacité pour résoudre un certain nombre de difficultés. Les directions investissent pour soutenir cette démarche et montrer au reste de la communauté médicale qu'ils sont les bienvenus pour en lancer d'autres l'année prochaine. Cette démarche est très concrète. Elle n'interfère pas avec les activités de l'Institut Bordert et de l'Huderf, qui sont deux hôpitaux spécialisés et qui ont naturellement la main pour ce qui concerne la pédiatrie et l'oncologie.- Va-t-il y avoir une répartition des spécialités entre le CHU Brugmann et le CHU Saint-Pierre ?- L'évolution du secteur hospitalier va dans ce sens pour les activités de référence. Nous avons déjà des accords en cardiologie: certains actes ne se font qu'à Brugmann et d'autres à Saint-Pierre. Il n'est pas raisonnable de vouloir faire tout, partout. La mobilité des patients comme des praticiens pour des activités relevant du 3e niveau doit devenir la norme. Même si 80% de l'activité vont continuer à se faire dans les hôpitaux généraux, les 20% restant devront faire l'objet d'une réflexion. Au sein d'Iris, nous sommes demandeurs - comme l'a mentionné récemment le bourgmestre, d'associer l'ULB et Erasme à cette dynamique parce que l'ADN des hôpitaux de la Ville de Bruxelles a toujours été de participer à l'enseignement, à la recherche et à des soins de référence. Où va-t-on organiser ces activités? Cela doit encore se décider en tenant compte de la nouvelle dynamique des trajets de soins. Une partie de l'activité peut se faire dans un hôpital et la suite dans un autre. Il faut identifier les freins. Ils peuvent être institutionnels mais aussi financiers. Comment réfléchit-on aux modalités de la mutualisation financière? Il y a plusieurs scénarios, du plus minimaliste au plus intégré. Je suis partisan, pour ma part, d'un schéma intégré. Y compris avec Erasme, dont l'équipe dirigeante est ouverte au dialogue.- Avez-vous déjà trouvé vos partenaires pour créer ensemble votre réseau hospitalier loco-régional?- Actuellement, rien n'est exclu. La dynamique de la réforme du paysage hospitalier lancée par Maggie De Block repose sur des fondamentaux largement partagés. La difficulté est de connaître les règles du jeu. Comme elles ne sont pas encore connues, tout le monde discute avec tout le monde. A un moment, il faudra bien que les pouvoirs organisateurs des hôpitaux se prononcent sur le choix des partenaires et définissent le périmètre de la négociation. L'ambition est que les quatre hôpitaux de la Ville de Bruxelles et Erasme trouvent un accord. Nous ne fermons pas pour autant la porte à d'autres partenaires, les Hôpitaux Iris-Sud ou la VUB. Lorsqu'on voit le classement des hôpitaux français, le top est constitué de groupes hospitaliers de près de 2.500 lits associant les secteurs publics et universitaires. Ce modèle fonctionne bien, il a la bonne taille. L'idéal est de définir une stratégie médicale commune pour le groupe et ensuite la décliner sur les différents sites en leur laissant une autonomie organisationnelle.- La mobilité des médecins et leur statut ne sont-elles pas un frein dans une telle organisation ?- Tout le monde a compris que la survie des sites actuels passe par une certaine créativité. Il faut donc veiller à une certaine harmonisation des statuts des médecins hospitaliers au sein du réseau Iris. Pour valoriser financièrement les médecins, une des possibilités actuellement étudiée est une forme d'encouragement à la productivité clinique. Nous travaillons sur différents modèles, par clinique ou par individu. Nous souhaitons aussi valoriser la qualité : la tenue des dossiers médicaux, l'envoi des rapports aux médecins traitants, la déclaration des événements indésirables, le respect des règles d'hygiène... Il faut aussi trouver des incitants pour le médecin qui a une importante activité d'enseignement, celui qui fait le tour de salles avec les candidats, celui qui publie... ou celui qui a une activité hiérarchique, qui préside un conseil médical ou un comité d'hygiène... Dans ce modèle, les médecins qui sont bons dans ces trois activités pourraient être valorisés financièrement.- Comme votre budget est fermé, certains ne vont-ils pas perdre dans ce modèle ?- Cela ne me dérange pas lorsque les règles sont connues de tous: ceux qui sont peu investis dans la clinique ou dans l'enseignement et la recherche vont avoir une progression plus faible de leurs revenus. Ce système est la seule manière de générer des moyens directs et indirect pour une revalorisation. L'argent ne viendra pas du ciel.- L'entrée en vigueur de ce nouveau système est prévue pour quand ?- Il faut encore avoir l'accord des conseils médicaux et d'administration. J'espère pouvoir démarrer en phase test en 2018.- Une manière d'attirer des jeunes médecins ?- Aussi. Le défi du CHU Brugmann est d'engager des jeunes, et des bons. C'est l'investissement par excellence. Un autre challenge est d'améliorer l'ergonomie de leur travail en proposant une informatique performante.- Justement, où en en êtes-vous? Serez-vous prêt au 1er janvier 2018 avec votre DPI, selon le timing fixé pour tous les hôpitaux à la ministre De Block?- Nous aurons un DPI minimum dans lequel nous investissons temps et argent. Notre solution ne sera pas d'emblée aussi performante que celles proposées à l'étranger ou à la KUL, par exemple, mais nous y travaillons. Il faudra aussi que les solutions développées au CHU Brugmann puissent être partagées avec les hôpitaux du réseau PHUB. Un responsable IT de haut niveau a été engagé au niveau du réseau qui va intégrer les solutions informatiques et établir un programme de convergence à 5 ans, d'une manière phasée et réaliste. C'est très encourageant.Découvrez l'intégralité de l'interview dans notre édition papier N°2512.