Au terme d'une recherche-action commanditée par le politique, la Plate-forme de concertation pour la santé mentale en Région de Bruxelles-Capitale demande que le soin des sans-abri figure dans la formation initiale des professionnels de santé et de promouvoir les stages dans les services accueillant ce public.
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Il y a environ 2.000 sans-abri à Bruxelles, dit-on. Une population très hétérogène, en forte souffrance psychique, que les professionnels du secteur sont de plus en plus souvent amenés à soigner au quotidien - plusieurs fois par jour - sans de réels moyens humains et structurels. Une population plus féminine qu'autrefois, femmes seules ou avec enfants dont nombre d'entre elles ont été victimes de violence conjugale et souffrant de problèmes de santé mentale. Un public jeune aussi (entre 25 et 35 ans), exclu ou sorti du système d'aide à la jeunesse, voire en rupture familiale, des demandeurs d'asile déboutés et migrants intra ou extra-européens, avec ou sans titre de séjour. Bref, on est loin du seul cliché du " clochard ivrogne qui vit dans la rue et refuse toute solution d'aide... ". Combien d'entre eux souffrent de pathologie psychiatrique ? Les acteurs de terrain avancent une approximation de 30%. Mais ces chiffres demeurent imprécis car il n'y a pas de récolte de données standardisées sur la santé mentale chez les personnes sans-abri.Pour établir un état des lieux et formuler des recommandations politiques sur le comment " prendre soin " des sans-abri, les ministres régionales Evelyne Huytebroeck et Brigitte Grouwels, responsables de l'aide aux personnes, ont sollicité la Plate-forme de concertation pour la santé mentale à Bruxelles (PFCSM) pour une recherche-action sur le lien entre sans-abrisme et santé mentale, financée par le bicommunautaire (la Cocom). Le JdM a pu prendre connaissance de cette étude qui a été réalisée par trois chercheuses de l'ULB, la VUB et de l'Université Saint-Louis, durant plus d'un an, sur base d'entretiens et focus-groups avec les acteurs de terrain concernés, pour répondre aux objectifs commandités : identifier les pathologies psychiatriques des personnes en grande exclusion ; organiser la prévention du sans-abrisme au sortir de l'hôpital et donc les hospitalisations psychiatriques inutiles ; savoir s'il y a, oui ou non, besoin d'un retour à la " fonction asilaire ", et dans l'affirmative comment l'organiser ; étudier les possibilités de renforcement des lits MSP et des places en IHP (maisons de soins psychiatriques et initiatives d'habitation protégée) en Région de Bruxelles-Capitale. Parmi les quelques pistes avancées, celle, fondamentale, d'un décloisonnement des secteurs hospitalier, ambulatoire et social. " Il s'agit de trouver la juste mesure dans une société où l'Etat-providence n'existe plus, de tracer le chemin pour des voies de traverse, afin d'aboutir à une organisation plus cohérente, en amont de l'hospitalisation, aussi à l'hôpital et en aval de celui-ci, c'est essentiel ", estime Françoise Weil, administratrice-déléguée de la Plate-forme. Vers une carte médicale unique ? Les chercheuses préconisent également d'assurer une offre diversifiée de projets " Housing First " en veillant à l'indispensable volet d'accompagnement psycho-social. Il serait souhaitable que les structures MSP et IHP diminuent leur seuil d'accès. Et de favoriser des dispositifs à très bas seuil d'accès et ouverts, permettant des allers-retours en fonction des besoins des sans-abri. Par ailleurs, il conviendrait de doter les établissements hospitaliers publics concernés d'une équipe de liaison médico-sociale dès l'entrée d'un patient sans-abri, celle-ci veillerait ensuite au relais de l'intra vers l'extrahospitalier. Il faudrait également renforcer les quelques salles d'urgence pour un travail psychosocial en octroyant des moyens financiers adaptés et les doter de travailleurs sociaux pour les questions administratives et d'orientation. Ces patients nécessitent une pratique et une temporalité médicales propres, d'où l'importance de prévoir également, dans la formation, des stages professionnels chez des praticiens et dans les institutions en contact avec ce public. Il s'agit aussi de reconfigurer le secteur ambulatoire en dotant un nombre précis de Services de santé mentale bruxellois de plus de moyens d'action et de personnel pour la prise en charge des situations de crise psychiatrique. Par ailleurs, la Région devrait disposer d'un nombre suffisant de lits et soins psy à court terme pour l'accueil en urgence psychiatrique de patients en situation de crise. Pour faciliter l'accès aux soins de santé des personnes sans-abri, il serait nécessaire de simplifier les démarches administratives compte tenu des compétences territoriales des CPAS, de créer une carte médicale unique pour sans-abri gérée au niveau régional et un dispositif à l'INAMI pour les personnes sans couverture santé. Enfin, ne faudrait-il pas que la réforme en santé mentale qui privilégie le soin dans les milieux de vie du patient via, entre autres, des équipes mobiles, puisse aussi couvrir avec des moyens adéquats ce public cible, ces fous de pauvreté et d'exclusion comme le dit Patrick Declerck dans son livre " Les Naufragés " (paru chez Plon, 2001) ?