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Parmi les décisions issues des récents accords de Pâques, la politique de retour au travail (ReAT) occupe une place stratégique. Ce programme global, voulu par le gouvernement fédéral, vise à enrayer l'explosion du nombre de personnes en incapacité de travail de longue durée. Selon le Dr Yannis Léon Bakhouche, conseiller santé de Georges-Louis Bouchez (MR), "la Belgique est l'un des pays européens avec le plus grand nombre de malades de longue durée, soit 550.000 personnes, représentant une dépense de 11 milliards d'euros dans le budget de la sécurité sociale". Des chiffres proches de ceux publiés par l'Inami, qui recensait à mi-2024 plus de 500.000 personnes en invalidité, et par les Mutualités Libres, qui estiment le coût du système d'incapacité de travail à plus de 10 milliards d'euros par an."C'est un vaste mouvement social dans lequel médecins, employeurs, mutualités, prestataires de services privés et publics, ainsi que les malades eux-mêmes ont un rôle à jouer", résume le ministre fédéral de la Santé Frank Vandenbroucke. L'idée centrale : accompagner davantage les malades, responsabiliser tous les acteurs... et introduire un contrôle renforcé des médecins.Dès le 1er juillet, les médecins qui délivrent un nombre ou une durée "anormalement élevés" de certificats d'incapacité seront identifiés comme "outliers" et feront l'objet de demandes de justification. Si aucun ajustement n'est observé, des sanctions financières pourront suivre. Pour rendre ce suivi possible, une banque de données centralisée des certificats est en cours de création.Dans un premier temps, seuls les certificats de 14 jours ou plus y figureront. Mais dès la fin de l'année, toutes les attestations, y compris celles d'un jour, seront intégrées. En parallèle, les certificats papier seront supprimés à compter du 1er juillet 2025.Autre levier du plan ReAT : responsabiliser les employeurs, qui devront participer plus activement au financement des deux premiers mois de congé maladie, afin d'inciter à des démarches proactives de réintégration. Les mutualités seront elles aussi évaluées sur leur taux de réussite dans l'accompagnement des malades vers un retour à l'emploi."Nous attendons des médecins qu'ils se concentrent davantage sur ce qu'une personne est encore capable de faire, plutôt que sur ce qu'elle n'est plus en mesure de faire", insiste le gouvernement. Une vision qui s'inscrit dans une dynamique de responsabilisation, mais qui suscite aussi des craintes dans les cabinets médicaux.Pour le Dr Yannis Léon Bakhouche, le débat mérite d'être ouvert : "On connaît tous des médecins qui, par facilité, délivrent des certificats médicaux, parfois sans réelle nécessité. C'est une réalité. Mais la sanction ne doit pas être un réflexe : la responsabilisation, elle, oui." Il plaide pour un changement culturel dans la pratique comme dans le débat public."Depuis trop longtemps, le sujet des certificats est un tabou. Or la transparence commence par les données : en montrant le nombre de certificats délivrés par secteur géographique et par médecin, nous pourrons lever les préjugés et ajuster nos politiques."Il insiste aussi sur la nécessité d'une approche coordonnée et systémique du retour au travail : "Ce n'est pas seulement une question de certificat, mais un véritable accompagnement global. Il serait pertinent de créer une plateforme réunissant tous les acteurs autour du patient - médecins traitants, médecins-conseils, médecins du travail, employeurs."Enfin, le médecin rappelle que c'est le généraliste qui reste au coeur du processus : "Grâce à la relation de confiance qu'il établit, il peut encourager une reprise adaptée. Mais cette décision doit être prise dans un cadre cohérent."Une logique que l'Inami semble vouloir suivre. "La plate-forme TRIO, développée par l'Inami, permet depuis peu un échange digitalisé entre le médecin traitant, le médecin-conseil de la mutuelle et le médecin du travail, et offre déjà une meilleure coordination dans le cadre de l'accompagnement et du retour au travail", précise Pedro Facon, administrateur général de l'Inami.Pour l'heure, les modalités concrètes des contrôles restent à préciser. Mais une chose semble acquise : la réforme, si elle veut atteindre ses objectifs, devra éviter l'écueil de la défiance. Car comme le rappelle le Dr Lawrence Cuvelier, président du GBO, "à force de faire des contrôles, certains jeunes médecins jettent l'éponge. Et ce n'est pas un luxe, par les temps qui courent."