Malgré de remarquables progrès dans la lutte contre le VIH, les pays les plus affectés par la pandémie restent mal équipés pour permettre une baisse rapide de la mortalité liée au sida.
Austin était sous traitement antirétroviral depuis trois ans lorsque les équipes MSF l'ont admis à l'hôpital de Nsanje, au Malawi. Dans son pays, un adulte sur neuf vit avec le VIH et 78% d'entre eux sont sous traitement antirétroviral. Ceci place le Malawi en bonne position pour atteindre une partie des objectifs internationaux visant au contrôle de la pandémie[1]. Malgré cela, Austin avait le sida, un stade avancé de l'infection au VIH, au moment de son hospitalisation. En début d'année il avait développé une tuberculose, que l'on a pu guérir. Mais six mois plus tard, il avait perdu beaucoup de poids et fut à nouveau hospitalisé dans le service de VIH avancé pendant près de deux semaines.
90% des porteurs du VIH au courant
Lorsque je suis arrivé d'Anvers en Afrique du Sud en 2003, les antirétroviraux n'étaient disponibles qu'aux rares patients qui pouvaient payer 10.000 euros par an pour le reste de leur vie. Pour les autres - presque tout le monde - le VIH avançait quasi inexorablement jusqu'au stade du sida et les services hospitaliers de la région étaient de véritables mouroirs. A cette époque, les patients gravement malades que nous recevions étaient ceux qui ne savaient pas qu'ils étaient porteurs du virus. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : au Malawi par exemple, où 90% des séropositifs connaissent leur statut, plus des deux tiers de nos patients VIH avancé ont commencé le traitement mais l'ont abandonné à un moment ou à un autre, temporairement ou définitivement, et/ou développé une résistance aux ARV de première ligne. Ces chiffres sont similaires dans les autres pays où MSF gère des services spécialisés pour VIH avancé : au Kenya, en Guinée et en République Démocratique du Congo.
Tout médecin connaît les énormes difficultés qu'ont les patients qui doivent prendre un traitement journalier à vie sans discontinuer. Ces défis sont magnifiés dans les pays les plus touchés par la pandémie du VIH/Sida, où, en plus de possibles obstacles socio-économiques ou personnels, les patients doivent faire face à des ruptures de stock de médicaments, de très longues distances pour chercher leurs traitements, voire des attitudes négatives de la part de certains professionnels de santé en sous-effectifs chroniques et débordés par une énorme cohorte de patients nécessitant des soins à vie.
Même si les progrès dans l'accès au traitement antirétroviral ont été remarquables la mortalité liée au sida ne baisse presque plus.
La lutte contre le VIH se focalise sur la diminution de l'incidence en mettant sous traitement un maximum de patients, puisqu'une personne avec une charge virale supprimée ne transmet pas le virus. Ces mesures, essentielles pour le contrôle de l'épidémie, négligent toutefois le fait que le parcours des personnes vivant avec le VIH n'est pas linéaire. Comme Austin, beaucoup abandonnent leur traitement à un moment où à un autre et doivent retourner sous traitement, parfois avec un régime de deuxième ou troisième ligne.
Les dernières recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de diagnostic et traitement du VIH avancé ont pour objectif de baisser la mortalité. Depuis leur application au service VIH avancé de l'hôpital de Nsanje, le taux de mortalité est passé de 27% à 15%. Toutefois ceci n'a été possible qu'avec le fort soutien, notamment financier et logistique, de MSF. Un rapport récent d'MSF décrit le peu de progrès de la lutte contre la mortalité liée au VIH avancé dans 15 pays, majoritairement d'Afrique sub-Saharienne[2]. Les gouvernements tardent à inclure les directives de l'OMS dans leurs directives nationales ; peu de mesures sont financées, et encore moins sont mises en oeuvre.
Coût trop élevé des médicaments
La situation de la méningite à cryptocoque est particulièrement probante. Cette infection mortelle est rare en dehors des patients souffrant de sida, chez qui elle représente la deuxième cause de mortalité après la tuberculose (15 à 20% des décès). Pourtant, le cocktail de médicaments[3] recommandés par l'OMS pour traiter cette pathologie est largement inaccessible dans les pays les plus touchés par le VIH/SIDA, en grande partie à cause de leur prix. Quant au test qui permet un diagnostic rapide, il n'est recommandé que dans 5 des 15 pays de l'étude MSF, et effectivement disponible que dans un seul (l'Afrique du Sud). Pourtant, un diagnostic et une mise sous traitement rapide permet de réduire significativement la mortalité liée au cryptocoque.
La situation est comparable pour d'autres tests diagnostiques rapides qui permettent le diagnostic du VIH avancé (CD4) ou de la tuberculose (TB-LAM et GeneXpert). L'étude MSF montre qu'ils ne sont généralement pas disponibles en dehors de quelques hôpitaux, et jamais au niveau des soins de santé primaires, là où la plupart des patients entrent d'abord en contact avec le système de santé et ce qui permet leur prise en charge rapide, souvent la différence entre la vie et la mort.
Le tableau n'est pas entièrement noir. Le nombre de morts du Sida baisse toujours très légèrement d'année en année, bien que trop faiblement pour atteindre l'objectif de moins de 500.000 morts par an d'ici à 2020. Plusieurs bailleurs de fonds - UNITAID, le Fond Mondial, Pepfar, CHAI[4] - ont augmenté leurs financements pour la prise en charge du VIH avancé cette année. MSF exhorte les pays affectés et les bailleurs internationaux d'adopter, de financer et d'implémenter les recommandations pour prévenir, dépister et traiter le VIH à un stade avancé et le SIDA au niveau des soins de santé primaires ainsi qu'à l'hôpital.
Il ne sera pas possible d'atteindre l'objectif de moins de 500 000 décès causés par le VIH en 2020 si nous ne prenons pas des mesures décisives visant à réduire la mortalité. Cela nécessite d'adapter les systèmes de santé au fait que le parcours du patient atteint de VIH (ainsi que pour toute maladie chronique) est circulaire, avec des interruptions, des sorties et des réentrées dans le système de soins. Il n'y a plus qu'un an pour atteindre l'objectif de moins d'un demi-million de morts. Il n'y a pas de temps à perdre.
[1] Les objectifs de l'ONUSIDA sont que, d'ici 2020, 90% des personnes séropositives connaissent leur statut ; 90% de celles-ci sont sous traitement antirétroviral ; et 90% de celles sous traitement aient une charge virale indétectable.
[2] Le rapport intitulé Pas de temps à perdre porte sur quinze pays d'Afrique et d'Asie, et offre un aperçu de la situation de ces pays en matière de politiques, de mise en oeuvre et de financement pour répondre au problème du VIH à un stade avancé. Les quinze pays couverts par le rapport sont : l'Afrique du Sud, l'Eswatini, la Guinée, l'Inde, le Kenya, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, le Myanmar, le Nigéria, l'Ouganda, la République centrafricaine (RCA), la République démocratique du Congo (RDC), le Soudan du Sud et le Zimbabwe. Le rapport est disponible en ligne (en anglais) : https://www.msf.org/msf-report-examines-fight-against-aids-15-countries
[3] La flucytosine, l'amphotéricine B et le fluconazole
[4] CHAI = Clinton Health Access Initiative ; Pefpar = President's Emergency Plan for AIDS Relief, plan d'aide d'urgence américain à la lutte contre le sida à l'étranger ; UNITAID = organisation internationale d'achats de médicaments
Austin était sous traitement antirétroviral depuis trois ans lorsque les équipes MSF l'ont admis à l'hôpital de Nsanje, au Malawi. Dans son pays, un adulte sur neuf vit avec le VIH et 78% d'entre eux sont sous traitement antirétroviral. Ceci place le Malawi en bonne position pour atteindre une partie des objectifs internationaux visant au contrôle de la pandémie[1]. Malgré cela, Austin avait le sida, un stade avancé de l'infection au VIH, au moment de son hospitalisation. En début d'année il avait développé une tuberculose, que l'on a pu guérir. Mais six mois plus tard, il avait perdu beaucoup de poids et fut à nouveau hospitalisé dans le service de VIH avancé pendant près de deux semaines.Lorsque je suis arrivé d'Anvers en Afrique du Sud en 2003, les antirétroviraux n'étaient disponibles qu'aux rares patients qui pouvaient payer 10.000 euros par an pour le reste de leur vie. Pour les autres - presque tout le monde - le VIH avançait quasi inexorablement jusqu'au stade du sida et les services hospitaliers de la région étaient de véritables mouroirs. A cette époque, les patients gravement malades que nous recevions étaient ceux qui ne savaient pas qu'ils étaient porteurs du virus. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : au Malawi par exemple, où 90% des séropositifs connaissent leur statut, plus des deux tiers de nos patients VIH avancé ont commencé le traitement mais l'ont abandonné à un moment ou à un autre, temporairement ou définitivement, et/ou développé une résistance aux ARV de première ligne. Ces chiffres sont similaires dans les autres pays où MSF gère des services spécialisés pour VIH avancé : au Kenya, en Guinée et en République Démocratique du Congo.Tout médecin connaît les énormes difficultés qu'ont les patients qui doivent prendre un traitement journalier à vie sans discontinuer. Ces défis sont magnifiés dans les pays les plus touchés par la pandémie du VIH/Sida, où, en plus de possibles obstacles socio-économiques ou personnels, les patients doivent faire face à des ruptures de stock de médicaments, de très longues distances pour chercher leurs traitements, voire des attitudes négatives de la part de certains professionnels de santé en sous-effectifs chroniques et débordés par une énorme cohorte de patients nécessitant des soins à vie.Même si les progrès dans l'accès au traitement antirétroviral ont été remarquables la mortalité liée au sida ne baisse presque plus.La lutte contre le VIH se focalise sur la diminution de l'incidence en mettant sous traitement un maximum de patients, puisqu'une personne avec une charge virale supprimée ne transmet pas le virus. Ces mesures, essentielles pour le contrôle de l'épidémie, négligent toutefois le fait que le parcours des personnes vivant avec le VIH n'est pas linéaire. Comme Austin, beaucoup abandonnent leur traitement à un moment où à un autre et doivent retourner sous traitement, parfois avec un régime de deuxième ou troisième ligne.Les dernières recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de diagnostic et traitement du VIH avancé ont pour objectif de baisser la mortalité. Depuis leur application au service VIH avancé de l'hôpital de Nsanje, le taux de mortalité est passé de 27% à 15%. Toutefois ceci n'a été possible qu'avec le fort soutien, notamment financier et logistique, de MSF. Un rapport récent d'MSF décrit le peu de progrès de la lutte contre la mortalité liée au VIH avancé dans 15 pays, majoritairement d'Afrique sub-Saharienne[2]. Les gouvernements tardent à inclure les directives de l'OMS dans leurs directives nationales ; peu de mesures sont financées, et encore moins sont mises en oeuvre. La situation de la méningite à cryptocoque est particulièrement probante. Cette infection mortelle est rare en dehors des patients souffrant de sida, chez qui elle représente la deuxième cause de mortalité après la tuberculose (15 à 20% des décès). Pourtant, le cocktail de médicaments[3] recommandés par l'OMS pour traiter cette pathologie est largement inaccessible dans les pays les plus touchés par le VIH/SIDA, en grande partie à cause de leur prix. Quant au test qui permet un diagnostic rapide, il n'est recommandé que dans 5 des 15 pays de l'étude MSF, et effectivement disponible que dans un seul (l'Afrique du Sud). Pourtant, un diagnostic et une mise sous traitement rapide permet de réduire significativement la mortalité liée au cryptocoque.La situation est comparable pour d'autres tests diagnostiques rapides qui permettent le diagnostic du VIH avancé (CD4) ou de la tuberculose (TB-LAM et GeneXpert). L'étude MSF montre qu'ils ne sont généralement pas disponibles en dehors de quelques hôpitaux, et jamais au niveau des soins de santé primaires, là où la plupart des patients entrent d'abord en contact avec le système de santé et ce qui permet leur prise en charge rapide, souvent la différence entre la vie et la mort.Le tableau n'est pas entièrement noir. Le nombre de morts du Sida baisse toujours très légèrement d'année en année, bien que trop faiblement pour atteindre l'objectif de moins de 500.000 morts par an d'ici à 2020. Plusieurs bailleurs de fonds - UNITAID, le Fond Mondial, Pepfar, CHAI[4] - ont augmenté leurs financements pour la prise en charge du VIH avancé cette année. MSF exhorte les pays affectés et les bailleurs internationaux d'adopter, de financer et d'implémenter les recommandations pour prévenir, dépister et traiter le VIH à un stade avancé et le SIDA au niveau des soins de santé primaires ainsi qu'à l'hôpital.Il ne sera pas possible d'atteindre l'objectif de moins de 500 000 décès causés par le VIH en 2020 si nous ne prenons pas des mesures décisives visant à réduire la mortalité. Cela nécessite d'adapter les systèmes de santé au fait que le parcours du patient atteint de VIH (ainsi que pour toute maladie chronique) est circulaire, avec des interruptions, des sorties et des réentrées dans le système de soins. Il n'y a plus qu'un an pour atteindre l'objectif de moins d'un demi-million de morts. Il n'y a pas de temps à perdre.[1] Les objectifs de l'ONUSIDA sont que, d'ici 2020, 90% des personnes séropositives connaissent leur statut ; 90% de celles-ci sont sous traitement antirétroviral ; et 90% de celles sous traitement aient une charge virale indétectable.[2] Le rapport intitulé Pas de temps à perdre porte sur quinze pays d'Afrique et d'Asie, et offre un aperçu de la situation de ces pays en matière de politiques, de mise en oeuvre et de financement pour répondre au problème du VIH à un stade avancé. Les quinze pays couverts par le rapport sont : l'Afrique du Sud, l'Eswatini, la Guinée, l'Inde, le Kenya, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, le Myanmar, le Nigéria, l'Ouganda, la République centrafricaine (RCA), la République démocratique du Congo (RDC), le Soudan du Sud et le Zimbabwe. Le rapport est disponible en ligne (en anglais) : https://www.msf.org/msf-report-examines-fight-against-aids-15-countries [3] La flucytosine, l'amphotéricine B et le fluconazole[4] CHAI = Clinton Health Access Initiative ; Pefpar = President's Emergency Plan for AIDS Relief, plan d'aide d'urgence américain à la lutte contre le sida à l'étranger ; UNITAID = organisation internationale d'achats de médicaments