L'accélération du vieillissement de la population belge pose de nombreux défi s dont celui de la gestion de l'offre en maisons de repos et sa régulation. En Belgique, cette tâche est sous la responsabilité de chaque région depuis la sixième réforme de l'Etat. Bruxelles a la particularité de posséder un secteur commercial nettement plus important que la Flandre et la Wallonie avec près de deux tiers de ses maisons de repos gérées par des entreprises commerciales. Pour rappel, la commercialisation correspond à l'accroissement des services de soins de santé organisés à travers des relations de marché ou dans un but lucratif.
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Ce travail comportait trois objectifs. Le premier était d'analyser l'évolution de la commercialisation des maisons de repos à Bruxelles. Le deuxième était d'en évaluer l'impact sur le prix de l'hébergement et l'accessibilité financière des maisons de repos. Le troisième était d'en étudier les effets sur les conditions de vie et de travail au sein des maisons de repos. Les deux premiers objectifs ont été abordés par une approche quantitative sur base de données économiques et épidémiologiques. Le troisième a été traité par une approche qualitative à travers des entretiens semidirigés auprès de soignantes travaillant en maison de repos.Si l'on analyse l'évolution de la part du secteur commercial, nous pouvons affirmer qu'il existe un phénomène de commercialisation à Bruxelles mais d'ampleur limitée. Par contre, au sein de ce secteur commercial, des changements conséquents ont eu lieu ces dernières années dont une concentration progressive du marché. En effet, les trois plus grands groupes commerciaux ont augmenté leur part du total des lits de 19% à 31% depuis 2010. Ces trois groupes correspondent aux multinationales Orpea, Armonea et Senior Living Group (groupe Korian) ; des entreprises à but lucratif, détenant des centaines de maisons de repos à travers l'Europe et parfois au-delà.Le prix mensuel d'hébergement en maison de repos a subi une croissance constante entre 2012 et 2017. La part des établissements coûtant mensuellement plus de 1.700 euros a doublé durant cette période, tandis qu'en parallèle, la part des institutions bon marché, coûtant 1.500 euros ou moins, a été divisée par deux. Les secteurs commercial et associatif affichent des prix nettement plus élevés que le secteur public, entravant ainsi leur accessibilité financière. Cette accessibilité a une importance particulière à Bruxelles étant donné ses taux élevés de risque de pauvreté (deux fois supérieur à la moyenne belge) et de bénéficiaires de la GRAPA.Pour analyser les effets de l'évolution du secteur sur les conditions de vie et de travail, des entretiens semi-dirigés ont été réalisés auprès de huit soignantes travaillant en maison de repos (publique ou commerciale). Globalement, les soignantes du secteur commercial décrivaient une détérioration de la qualité de la prise en charge des résidents. A contrario, les soignantes du secteur public s'exprimaient de manière neutre voire positive à ce sujet. Une aide-soignante du secteur commercial expliquait que : " Les conditions se sont détériorées. Avant on avait beaucoup plus le temps avec les personnes âgées. Ce que maintenant on n'a plus. Maintenant c'est vraiment un travail à la chaîne. [...] Moi je prends ça comme de la maltraitance pour la personne âgée ". Les causes principalement évoquées étaient la surcharge de travail et les économies réalisées par les gestionnaires. Selon une soignante interrogée : " On exploite les travailleurs pour gagner de l'argent et on se fait de l'argent sur le dos des personnes âgées ". Les soignantes du secteur commercial étaient interpellées par la priorité lucrative de leurs établissements, à laquelle elles attribuent une partie des changements négatifs constatés.En conclusion, une commercialisation des maisons de repos s'est opérée à Bruxelles ces dernières années à travers l'expansion des grands groupes commerciaux. Les auteurs ont mis en évidence les potentiels impacts négatifs de cette commercialisation sur l'accessibilité financière des maisons de repos et la qualité de leurs soins. Les soignantes travaillant dans le secteur commercial ont dénoncé une gestion dominée par une logique lucrative au détriment de la qualité de vie des résidents. Ce constat relève une ambiguïté : le résident est à la fois un " client " à qui des entreprises tentent de vendre leur produit et une " personne âgée dépendante " nécessitant des soins dans un cadre de vie adapté.