JdM : Dans les réseaux hospitaliers, inéluctables, que devient le pouvoir du médecin ? Que deviennent les honoraires ? On a parlé souvent d'honoraires " purs "... Que voulez-vous que deviennent les conseils médicaux dans ce nouvel environnement ?
Gilbert Bejjani : honoraires purs ou non purs... Il y a vraiment une incompréhension sur ce point. L'honoraire est par définition pur. Les hôpitaux sont financés par le BMF. Dans les polycliniques, qui sont des sortes de cabinets médicaux, il est normal que l'honoraire soutienne une partie des frais. Le médecin doit justifier devant le Conseil médical des frais portés devant le médecin. Dans l'honoraire du radiologue est comprise une partie du matériel (hors matériel lourd). On a fait croire qu'une partie non-pure existerait surtout au sud du pays car il faut pallier un sous-financement des hôpitaux. Quand on fait des investissements, il est plus facile pour les financer d'aller chercher dans les honoraires.
Les hôpitaux qui fonctionnent très bien (comme la Mayo Clinic aux USA) sont gérés uniquement par des médecins.
Jacques de Toeuf : l'honoraire pur est associé à l'aspect " pensée du médecin " et la partie " impure " aux machines... On a essayé de dissocier les deux, entre technicien et médecin qui pense. Mais on ne peut pas le faire car cela varie entre appareils. Le prix d'un scanner varie d'un hôpital à l'autre. Notre thèse, c'est que l'honoraire devrait financer le docteur qui pense et la machine. C'est lui qui doit maîtriser l'ensemble, choisir le nombre et le type d'infirmières, une secrétaire ou non. Au lieu de quoi, le gestionnaire décide du poids du personnel et utilise les honoraires pour financer.
G.B. : je suis choqué par ce débat. Supplément ? Non, honoraire ! On est conventionné, on demande un tarif donné ; on n'est pas conventionné, on pratique un autre tarif. Deux heures de consultation font plaisir à mes patients ? A 23 euros la consultation, c'est impossible. Donc j'applique un autre tarif que j'estime raisonnable. Or, tout tarif non normal est appelé supplément. Si les honoraires étaient plus 'justes', il y aurait moins de déconventionnement.
J.d.T. : Cette notion de pur et d'impur est, depuis Dehaene, inscrite dans la loi. Biologie clinique et radiologie sont à charge de l'honoraire. Le gestionnaire qui est dans le rouge, ponctionne. Le plus bel exemple, ce sont les endoscopies digestives. Tu le fais dans ton cabinet, tu paies l'endoscope. En hospitalisation de jour, c'est à charge d'un prix de journée forfaitaire. Mais l'hôpital prélève un pourcentage sur l'honoraire pour payer les armées mexicaines de l'hôpital. Nous sommes favorables à revenir à une logique d'entreprise : l'honoraire doit permettre de faire de la bonne médecine. Sinon, on entre dans des logiques qu'on retrouve dans les HMO* américaines. L'hôpital décide de ce qui peut se faire.
G.B. : Je connais un hôpital qui fait de la chirurgie cardiaque sans échographie cardiaque par manque de moyens ! Les hôpitaux subissent la loi du marché. On nous a responsabilisés dans des enveloppes fermées. Un hôpital doit avoir autant de cas pour avoir son B2 (sous-partie du Budget des moyens financiers, ndlr), pour s'associer avec un autre. Finalité : on a le double de machines. Chaque hôpital a toujours voulu tout. Mais si on dit aux médecins qu'il faut des seuils, ils acceptent. Pas les hôpitaux. Donc, au final, dans beaucoup d'hôpitaux, on paie des suppléments aux paramédicaux, aux techniciens... La personne de garde n'est pas la plus adéquate, et donc on part à du 200 % de l'honoraire qui se situe à 50 euros par exemple. On y est vite.
Revenons au conseil médical...
J.d.T. : Dans l'arrêté Dehaene, le conseil médical avait assez peu de pouvoir. C'était un compromis obtenu par les syndicats. Mais les gestionnaires ne le respectent pas puisqu'ils se servent allègrement sans négocier. Si un médecin n'est pas d'accord, on le vire. C'est léonin et déséquilibré. Ce qu'on a obtenu de De Block, puisqu'on parle services et résultats, on entre dans une démarche de co-décision avec le conseil médical. Pour le réseau, on a obtenu que les deux bancs doivent se mettre d'accord. C'est nous qui avons écrit ces textes. Les deux autres syndicats, on ne les a jamais vus dans les discussions. Santhea et Zorgnet n'y étant pas favorables, on va voir ce que ça va donner avec le prochain ministre. Au moins on aura essayé. On responsabilise le médecin à faire tourner son service. On est prêt à mettre de l'argent si le corps médical l'estime nécessaire. Les hôpitaux qui fonctionnent très bien (Cleveland et Mayo Clinic, 100 % de médecins dans le board) sont gérés par des médecins. Les mandats ne dépassent pas deux fois six ans. Ces médecins sont entourés de comptables et de financiers. Mais les médecins ont la responsabilité finale. Par exemple pour améliorer l'encadrement infirmier...
Les autorités publiques et les mutuelles demandent une bonne estimation du tarif pour le patient, la transparence... Vous en pensez quoi ?
Caroline Depuydt : la difficulté, c'est d'estimer les complications. On n'est pas opposé à la transparence mais la médecine a un côté imprévisible. La demande est claire : sauvez-moi, soignez-moi. Mais on ne peut pas chiffrer l'impondérable. Le piège du devis a priori est de faire croire que tout est prévu. C'est antagoniste avec l'Art de guérir.
G.B. : Il y a une part d'hypocrisie énorme. L'honoraire est connu, disons-le. Mais les soins sont entièrement pris en charge par la couverture mutuelliste. Là où c'est subtil, ce sont les " suppléments " d'honoraires ou des frais supplémentaires comme la télé en chambre. Vous payez sept fois le prix dans une chambre privée mais la qualité ne change pas beaucoup. Pas même le repas. Pour l'hôpital aussi c'est le jackpot. Donc si on dit transparence, il la faut complètement. Les médecins ne sont pas contre car nous n'avons rien à cacher...
J.d.T. : on est d'accord de dire : voilà pour un séjour standardisé, vous paierez tel tarif maximum " sauf complication ". Mais comme les mutuelles veulent supprimer les suppléments, elles ne veulent pas discuter d'un tel devis. Et les gestionnaires non plus. La presse parle de 600.000 euros par an pour un radiologue mais 80 % partent vers l'hôpital... On pourrait simplement indiquer sur le devis, 'l'Inami c'est autant' et vous devez savoir que l'hôpital prélève autant. Mais cela les gestionnaires n'en veulent pas.
G.B. : ce qui compte, c'est le patient et la qualité des soins ! La quote-part patient est croissante. Lorsque le matériel coûte 400 euros, le patient se retrouve avec une facture salée. Je connais l'exemple d'un orthopédiste qui utilise un appareil d'ancienne génération pour diminuer la facture du patient. Ce médecin est consciencieux. Donc, avant de parler transparence, penchons-nous sur la quote-part patient !
*Health Maintenance Organization.
Suite pages 6 et 7