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Le diplôme fait place au profil de capacitéLa ministre De Block a mis en chantier depuis 2 ans une refonte complète de la législation organisant la délivrance des soins. Elle considère comme dépassé l'AR 78 protégeant à l'origine les patients contre l'exercice illégal de la médecine par des non qualifiés, devenu au fil des révisions la loi sur l'exercice des professions de santé. Celle-ci a été complétée dès l'origine par l'AR 79 sur l'Ordre des Médecins, puis par la loi sur les droits des patients, volets complémentaires aux insertions dans l'AR 78 de dispositions sur les droits et obligations des praticiens. La ministre entend donc opérer une refonte touchant à l'ensemble de cet édifice juridique.Maggie De Block se lance dans l'exercice juridiquement périlleux d'intégrer dans les droits et obligations, issues de législation civiles et pénales comme l'AR78, des préceptes de déontologie relatifs à la moralité, à la conscience professionnelle, à la probité et au dévouement, indispensables à l'exercice. Issus de l'AR 79, ils seraient, dans le futur, inspirés des préceptes du Collège des Médecins canadiens.Actuellement, l'exercice de l'art médical est réservé aux professionnels répondant à 3 conditions : la possession du diplôme légal, le visa et l'inscription à l'Ordre.La ministre considère essentiellement que le diplôme ne garantit pas la compétence réelle sur le terrain pas plus que l'exercice consciencieux exigé par la déontologie ne garantit la qualité. Elle veut donc dissocier le droit d'exercer de la qualification découlant légalement des effets civils des diplômes. Le droit d'exercice sera donné dans le projet De Block par des licences d'exercice remplaçant l'ancien visa. Elles seront attribuées sur base de profils de compétences, d'aptitudes et de connaissances par profession. Leurs définitions seront "ouvertes et dynamiques" et la ministre les établira elle-même sur simple avis d'un Conseil associant universitaires et praticiens.Le système est révolutionnaire en ce que le patient choisira lui-même quel praticien sera le plus adéquat pour prendre en charge son trajet thérapeutique. Il ne devra plus consulter un médecin mais s'adressera directement au professionnel pour les actes de sa compétence découlant de sa licence. La ministre part de la "capacitation" du patient, désormais largement informé et instruit par Internet des symptômes, diagnostics et traitement. C'est le praticien consulté qui aura la responsabilité de renvoyer le patient qui s'est trompé de porte vers un praticien plus adéquat s'il n'est pas compétent lui-même. La ministre énumérera cependant des actes qui, par leur complexité, doivent rester réservés à certaines professions. Et si tout praticien possède la compétence de demander désormais des examens et même des traitements complémentaires, le projet introduit la nécessité d'une "validation" de ce renvoi par un médecin pour éviter des explosions de coûts. Le projet ne le dit pas mais, en éthique, le médecin ne pourra valider ces demandes sans connaître le dossier et bien sûr examiner le patient ! C'est donc une nouvelle conception de l'échelonnement à l'envers. On ne peut s'empêcher de trouver une ressemblance avec le système de l'ubérisation très à la mode chez les économistes : la mise en contact directe et immédiate du client avec le professionnel le plus adéquat et disponible immédiatement. Le système s'accompagnera d'ailleurs logiquement d'une plate-forme numérique capable d'assurer la qualité du service par une orientation de la demande. La généralisation des centrales d'appel existant déjà pour les urgences pourrait jouer ce rôle d'autant plus que la planification intégrerait la télémédecine. L'ubérisation de la santé pourrait apporter une solution à la surcharge des généralistes. Il n'y a donc plus de coordination et la collaboration autour d'un patient devient aléatoire. La ministre, manifestant un sens de l'humour inattendu, titre son projet "vers des soins de santé intégrés" après les avoir dispersés et le présente sans doute comme tel à l'OMS dans sa coopération au projet "Soins intégrés 2030". Elle semble avoir simultanément accédé à la demande des généralistes flamands de faire une étude sur l'échelonnement alors que, dans son système, il n'est pas sûr qu'il y ait un grand avenir pour l'échelonnement au départ du généraliste. Le pharmacien pourrait revendiquer dans le futur un rôle de gate-keeper plus évident à son estime à condition d'une rémunération de ses consultations.Le volet complémentaire au libre choix direct par le patient du professionnel compétent, c'est forcément "l'équivalence entre les différents groupes professionnels et leur autonomie fonctionnelle". C'est au praticien confronté à une demande directe de soins à évaluer sa compétence par rapport à la demande et à y répondre ou à l'adresser à une autre profession. Dans le projet, chaque praticien devient "régulateur", ce qui signifie qu'il reçoit la responsabilité d'interpeler un autre praticien qui sortirait de sa compétence et de se concerter avec lui ( ?) pour éviter que cela ne se reproduise !!La compétence de fait devient le maître mot. La qualité et la capacité dépendraient de la formation continue. La licence d'exercice ne vaudra plus que pour 5 ans à terme et sera perdue en cas d'évaluation négative par les inspecteurs d'hygiène, eux-mêmes non praticiens. Chaque médecin aura à prouver en tout temps par un dossier, le "portfolio", sa formation continue maintenant son profil professionnel et son aptitude à soigner et complétant sa garantie de capacité physique et psychique déjà contrôlée.Il reste à première vue parallèlement la garantie de la nomenclature AMI qui précise depuis belle lurette la qualification requise de la personne habilitée à effectuer chaque acte remboursé. Mais la ministre a prévu de réviser également la loi sur l'Assurance Maladie et de l'assimiler à son projet en l'intégrant au Ministère de la Santé.Les universités qui donnent la formation, l'Ordre qui a conquis la surveillance de la moralité de la profession indépendante de l'Etat et de ses choix politiques après 1945, les syndicats médicaux qui ont conquis la concertation sur les politiques de soins, les Régions et les Communautés qui se sont vues attribuer des compétences relatives à la formation, à l'agrément et la qualité auront en principe voix au chapitre à moins que la concertation n'appartienne déjà au passé. Les patients devraient aussi dire leur mot en se rappelant que leurs droits ne pèsent pas bien lourd aux yeux des politiciens lorsque ceux-ci ont à choisir les priorités budgétaires. On n'a pas beaucoup d'échos de leurs réactions pour le moment.