Les 7 et 8 février dernier, 130 scientifiques internationaux, issus de diverses disciplines, se sont réunis à Ypres pour discuter de la grippe espagnole. Il importe en effet de revenir sur cette pandémie mortelle, continuer à l'étudier pour mieux répondre aux pandémies futures.
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La grippe espagnole s'est muée en pandémie entre 1918 et 1919, tuant 50 millions de personnes sur son passage, 3% de la population mondiale - bien plus que le bilan de la Première guerre mondiale.En dépit de sa gravité, cette pandémie de grippe espagnole semble avoir été oubliée. Aucun signe de commémoration, aucun monument. Elle n'est pas logée dans notre mémoire collective comme la Première guerre mondiale. La journaliste scientifique Laura Spinney a fourni quelques éléments d'explication à cette amnésie, comme la communication réduite à une époque où toute l'attention portait sur le conflit, une sous-estimation de la gravité due à un manque de vocabulaire commun pour désigner l'épidémie et l'absence de diagnostic correct. On parlait alors généralement de bronchite " épidémique " ou " purulente ". Il semblerait également que le traumatisme ait été commémoré au sein la famille, et non au niveau culturel.Il existe pourtant une multitude de documents, comme l'explique le Dr Jeffrey Reznick du National Institute of Health américain. L'intéressé rappelle l'importance de conserver et d'étudier ces documents, de sorte que les générations suivantes et nous-mêmes puissions comprendre la manière dont la société mondiale a réagi à cette pandémie à l'époque. Il est tout aussi crucial de documenter au mieux les épidémies actuelles et futures, car les pièces d'archives et les données scientifiques toujours plus grandes concernant le pathogène et la maladie nous laissent entrevoir des perspectives intéressantes.Les épidémies provoquées par de micro-organismes ont toujours existé. Le Dr Peter Piot, directeur du London School of Hygiene & Tropical Medicine, a expliqué comment le monde réagissait aujourd'hui aux nouvelles épidémies comme le HIV, le SARS, le MERS, le Zika et l'Ebola. Nous disposons de bien plus d'instruments qu'en 1918, comme de bons réseaux de surveillance, des systèmes de reporting et de planification. Depuis 2015, il existe aussi des réglementations internationales contraignantes au niveau de la santé. Ces règles spécifient quelles mesures doivent être prises par les pays en cas d'épidémie constituant une menace pour la santé publique mondiale.De nombreux défis nous attendent encore, comme les changements dans la géographie des maladies infectieuses du fait du réchauffement climatique, le climat politique, avec parfois des conflits dans les zones où se déclare l'épidémie et une méfiance croissante à l'égard des gouvernements. Le Dr Piot confirme que nous sommes peut-être mieux préparés techniquement, mais que l'épidémie a souvent lieu dans un contexte communautaire qui rend son éradication difficile. Des moyens essentiels de défense comme la communication, la coordination et la logistique peuvent être mis en péril en temps de crise.Une chose est sure : il y aura d'autres épidémies et de pandémies de grippe, sans oublier la grippe de saison qui, cette année encore, a fait 600.000 victimes. Il est toujours étonnant de voir à quel point celle-ci est souvent considérée comme banale, preuve du fossé qui sépare l'impact réel de la maladie de sa perception par le public.Le Dr Heidi Larson, anthropologue à la London School of Hygiene & Tropical Medicine, a quant à elle abordé plus en détails les défis spécifiques liés à la communication. En comparaison avec 1918, où les canaux d'information étaient autrement limités, nous disposons aujourd'hui de réseaux sociaux permettant une diffusion éclair de l'information, pour un bien comme pour un mal d'ailleurs.Le Dr Larson a donné une série d'exemples concrets de rumeurs et de manipulations ayant miné la confiance dans les campagnes de vaccination. Exemple récent : l'explosion de rougeole en Europe, attribuée en partie à la diffusion de fake news sur la sécurité du vaccin. " Le plus grand risque pandémique vient de la désinformation virale ", affirme le Dr Larson. Pour contrer les futurs épidémies à grande échelle, il faudra réagir avec justesse et rapidité à la diffusion de ces mensonges.Le contexte communautaire joue un grand rôle dans la lutte contre une épidémie. Il faut apprendre des erreurs du passé et du présent, car la question n'est pas de savoir s'il y aura encore des épidémies ou des pandémies, mais bien quand et comment elles surviendront.