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Ingénieur civil et docteur en sciences appliquées, Benoît Macq (à droite sur la photo) est professeur à l'École polytechnique de Louvain (UCLouvain), où il enseigne notamment l'intelligence artificielle appliquée à la santé. Il était un des experts invités par les Assises de l'esanté.Selon le Pr Macq, la médecine du 21e siècle nous permettra non seulement de vivre plus vieux mais de vivre mieux. Elle reposera sur quatre piliers. Elle sera prédictive, en identifiant les maladies comme Alzheimer avant même les premiers symptômes. Elle sera personnalisée, en adaptant les traitements au profil génétique et biologique du patient. Elle sera participative, en impliquant les patients dans les décisions. Et enfin, elle sera préventive, en agissant avant que les pathologies ne deviennent invalidantes. Le rêve de cette médecine globale est à nos portes grâce à l'abondance de données médicales (13 millions de mammographies par an au plan mondial), la baisse du coût du séquençage génomique et les capacités d'apprentissage des algorithmes de l'IA qui font le tri dans les données.Benoît Macq distingue deux méthodes principales d'apprentissage automatique. L'apprentissage supervisé, où l'IA apprend à partir d'exemples, comme des mammographies annotées (par son assistante présente dans la salle). Et l'apprentissage non-supervisé par renforcement, où l'IA apprend par essais et erreurs, à la manière d'un enfant qui apprend à marcher. Des essais ont montré que l'IA dépasse désormais les radiologues pour détecter certaines anomalies invisibles à l'oeil humain. " Grâce à des ''jumeaux numériques'', on peut simuler des traitements sans risquer la vie du patient. En radiothérapie, des protocoles optimisés grâce à l'IA permettent de mieux cibler les tumeurs tout en épargnant les organes sains. " Macq illustre cela par un cas de tumeur de la gorge, où l'IA aide à choisir entre qualité de vie et risque de récidive.Selon Macq, l'IA générative va bousculer le quotidien des praticiens. Des systèmes de type RAG (Retrieval-Augmented Generation), alimentés par les publications et données cliniques du médecin lui-même, permettent d'obtenir des réponses contextualisées avec des références scientifiques. Il cite le cas d'un neurochirurgien de l'ULB qui utilise déjà un tel système pour travailler sur l'épilepsie réfractaire. " L'objectif est d'éviter le ''bruit généraliste'' de l'IA et de préserver la pertinence clinique. "La baisse du prix du séquençage permet d'envisager un dépistage génétique massif. Le programme MyPebs.eu, cité par Macq, permet à des femmes d'envoyer un échantillon de salive pour connaître leur risque de cancer du sein, et d'ajuster ainsi la fréquence des mammographies. Mais l'impact psychologique peut-être terrible. Macq rapporte le témoignage d'une collègue effondrée après avoir appris qu'elle était à haut risque. " D'autres dérives guettent : que faire si un employeur ou un assureur s'empare de cette donnée génétique ? Il existe même des prédispositions génétiques à des troubles mentaux ou à l'alcoolisme. " D'où la nécessité d'une régulation stricte, d'outils cryptés et de garde-fous éthiques, insiste Macq.Le Pr Macq plaide pour des modèles d'IA interactifs et transparents. " L'objectif n'est pas de remplacer le médecin, mais de l'outiller. L'IA doit solliciter l'avis humain sur les cas complexes. Elle doit aussi nourrir la formation médicale continue. " " Nourrir l'IA avec des cas médicaux, cela devrait valoir des points d'accréditation ", affirme-t-il. Aux États-Unis, l'IA a réduit la mortalité dans les hôpitaux universitaires mais l'a augmentée dans les hôpitaux éloignés, mal formés à son usage. D'où l'urgence de créer des " coalitions apprenantes " entre institutions.Macq entrevoit différents risques. Le premier est le déterminisme biologique : jusqu'à quel point le patient souhaite-t-il vraiment connaître ses risques ? Le deuxième est le coût : la personnalisation pousse les prix à la hausse. En outre, c'est mentalement chargé pour un patient de choisir entre espérance de vie et qualité de vie. Ce qu'il veut, c'est de l'espérance de vie en bonne santé. Or rappelons qu'elle n'est que de 63,7 années en Belgique. C'est pourquoi Macq salue les réflexions en cours avec l'Université de Namur sur l'éthique des données. Il mentionne aussi le projet MedResyst, un réseau wallon mêlant médecins, ingénieurs et juristes.Pour le Pr Macq, la médecine fondée sur les données est la seule capable de sauver un système de soins à bout de souffle. Cette médecine promet une baisse des coûts de 30 % pour les maladies complexes. Et elle permettra aux petits hôpitaux de bénéficier de l'expérience des grands centres. " Mais l'humain reste indispensable. Soigner, ce n'est pas seulement prescrire. C'est rassurer, écouter, comprendre. Et cela, aucune IA ne le fera jamais ", conclut l'universitaire.