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La proportion inédite jusqu'ici de malades de longues durées dans la population belge est-elle vraiment corrélée à une prévalence inédite de maladies de longues durées ? Sujet très discutable abordé ici dans la perspective professionnelle du médecin. Toute la réponse tient dans le statut social qui est donné au malade de longue durée. Ce statut social transforme de facto les médecins en avocats - civil ou de la défense, selon - dans un tribunal où la communication est souvent déficitaire, parfois masquée par le secret médical, où les rôles sont ambigus, et où les règles sont majoritairement dictées par l'usage. Certes, l'incapacité de travail pour les salariés se définit légalement par une perte de capacité de gain d'au moins 2/3, mais dans la réalité des cabinets médicaux cette règle reste peu applicable. Dans les faits, actuellement, une proportion importante d'incapacités de longue durée sont davantage liés à une perte réelle de motivation qu'à une maladie. À moins que l'on ne transforme cette perte de motivation en maladie... " Je vais me mettre en maladie " est une phrase que nous ne nous étonnons plus d'entendre, témoin d'une instrumentalisation plus ou moins mal vécue de la profession médicale.Dans de nombreux cas, il serait plus cohérent pour le médecin de certifier que son patient se dit - ou se sent - incapable de travailler. L'est-il vraiment ? Réponse au cas par cas. Le subjectif l'emporte bien souvent sur l'objectivable, cependant que les médecins épuisent toutes leurs ressources à mesurer, quantifier, imager, démontrer une maladie qui légitimise les rôles respectifs de malade et de médecin. Le mécanisme de solidarité envers la personne malade dans nos sociétés, nullement remis en question ici, donne une valeur morale au travail, et hiérarchise socialement les statuts. Travailleur, demandeur d'emploi, malade, bénéficiaire du revenu d'intégration.Premier exemple où le subjectif l'emporte sur l'objectivable : la lombalgie. Le diagnostic a au moins l'honnêteté de ne pas se cacher derrière un habit pseudoscientifique, le symptôme ressenti est le diagnostic. La douleur est rarement liée à une cause spécifique, la grande majorité des lombalgies sont à classer dans la catégorie " commune ", sans corrélation radio-clinique, sans marqueur biologique, sans histoire particulière. Concernant ces lombalgies qui justifient une part non négligeable des incapacités de longue durée, la littérature abonde d'études cohérentes entre elles qui démontrent que les facteurs psycho-sociaux sont les principaux facteurs de risque de passage à la chronicité de la douleur et de l'incapacité. Pas les lésions florides observées sur les disques intervertébraux usés. Le problème pour le médecin est que l'incapacité prescrite dans un but de protection dans un premier temps se révèle à moyen et long terme réellement délétère pour son patient. D'abord ne pas nuire ? L'incapacité prescrite est un facteur parmi d'autres qui précipite un patient socialement fragile dans une désinsertion plus difficilement réversible à mesure que le temps passe.Deuxième exemple, la dépression (17 % à elle seule des causes d'incapacité de longue durée[2]), pathologie à géométrie variable tant elle s'inscrit dans l'histoire, le corps, la culture, l'entourage de la personne. L'expertise médicale pourra toujours se targuer de pouvoir reconnaître une " vraie " dépression d'un léger syndrome dépressif, le bénéfice social fausse le discours, rabat les cartes, modifie l'expression. Le risque se répète ici par l'incapacité prescrite d'un isolement social nécessaire dans un premier temps et secondairement nuisible dans la prise en charge globale de la maladie et dans la remobilisation progressive de la confiance et des projets du sujet.Pas question ici de nier la dureté, le manque de sens, la violence parfois rencontrés dans le milieu du travail. Le propos n'a pas pour ambition non plus de vouloir supprimer le statut d'invalidité nécessaire à la protection des personnes les plus fragiles. Cependant notre profession médicale, en immersion constante dans une société consumériste et en perte de sens, doit prendre conscience du rôle qu'elle joue - ou qu'on lui fait jouer - dans ces phénomènes. Une piste pragmatique et réaliste concernant les maladies de longue durée serait de séparer les rôles de médecin soignant et expert, et que les médecins experts bénéficient d'une indépendance la plus totale. Dr Jean-Marc Feron, médecin généraliste à Grâce-Hollogne[1] V Moriaux " Et si on abolissait les certificats médicaux ?" article publié sur Trends Tendance le 5/12/22.[2]https://www.inami.fgov.be/fr/statistiques/indemnites/Pages/incapacite-travail-longue-duree-combien-burn-outs-depressions.aspx