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Caroline Watillon, chargée de mission à la FLCPF, référente IVG et contraception et le Dr Yannick Manigart, chef de clinique gynécologie - obstétrique et directeur du City Planning - CHU Saint-Pierre, répondent aux questions du jdM.Que pensez-vous de la réduction du délai de réflexion que propose Sophie Rohonyi (Defi) dans sa nouvelle proposition de loi ?Dr Yannick Manigart : C est ce que j'avais défendu à la commission santé publique et justice. Le délai de six jours me parait inutile, je passerais à 48 h. Peut-être pas à 24 h car il faut parfois attendre des résultats de prise de sang ou de frottis. Il faut pouvoir s'organiser un peu. Et je ne veux pas qu'il y ait de la concurrence entre les centres. Mais en effet, je pense qu'une semaine c'est beaucoup trop long. En principe, le délai n'est pas nécessaire. Quand les femmes viennent nous voir, elles ont déjà réfléchi.La réflexion commence lors de la découverte de la grossesse. C'est en cela que c'est infantilisant. Ce n'est en réalité pas un délai de réflexion, j'appellerais cela plutôt un délai d'organisation. On ne fait pas assez attention aux mots.18 semaines, est-ce un délai correct ?Caroline Watillon : A la Fédération laïque, nous sommes pour 20 semaines parce que c'est proche de ce qui se fait aux Pays Bas ( 22 semaines) et cela permettrait d'arrêter cette hypocrisie qui envoie les femmes dans un pays voisin. Et ce n'est pas parce qu'on va allonger le délai que les femmes vont avorter plus tard. C'est bien démontré. Personne n'a envie d'avorter tardivement... J'ai appris qu'au Canada, il n'y avait pas de délai gestationnel déterminé. Les statistiques prouvent que les femmes canadiennes n'avortent pas dans des délais farfelus.Y.M. : J'avais défendu 16 semaines de grossesse devant la Commission de la santé publique et de la justice, ce qui me semblait bien. C'est peut être lié au fait que je suis obstétricien, c'est totalement subjectif. Et c'est donc lié à la représentation que je m'en fais aussi. Plus la grossesse avance, plus c'est difficile. Et c'est totalement différent s'il s'agit d'un avortement chirurgical ou provoqué. Chez nous en Belgique, techniquement parlant, personne n'est formé pour intervenir chirurgicalement au-delà des 15 semaines d'aménorrhée. Ce sont des techniques particulières et il faudrait aller se former aux Pays-Bas notamment. Et pour bien faire les choses, il faudrait pratiquer souvent et comme ce n'est pas admis dans notre législation, on ne le fait pas. Si on se forme et qu'on ne pratique pas, c'est comme si on n'avait pas suivi de formation. Donc si la loi change, il faut effectivement que les médecins belges s'engagent à intervenir dans des structures bien identifiées. Il n'en faut pas beaucoup. Il faudrait réfléchir à un ou deux centres par région, où les femmes iraient et qui se retrouveraient en face de professionnels formés. Plus l'âge avance, plus les complications sont fréquentes. C'est normal. On peut pratiquer des interruptions de grossesse au-delà de 14 semaines dans le cas d'IMG, c'est le seul cas où la loi nous le permet. On a déjà fait des IMG considérées comme médicales vu la situation psychiatrique ( notamment dans le cas de viol sur une mineure). Et dans ce cas-là, on provoque l'accouchement en administrant des médicaments.Est-ce important de bannir la clause de conscience hospitalière comme le propose Sophie Rohonyi ?Y.M. : La clause de conscience hospitalière n'existe pas en tant que telle mais elle existe de fait. Effectivement des médecins de Bruxelles nous envoient des patientes ou le font en " stoemelinck ". Il y a une loi du silence et moi je trouverais bien de briser ce tabou et de dire ouvertement qu'il n'y a pas de clause de conscience hospitalière. Il peut y avoir des clauses individuelles qui sont difficiles à supprimer par contre. Bien que, comme dirait Martin Winckler dans une interview 1 : est-ce qu'on a le droit de dire non en tant que médecin ? Parce que si tous les médecins refusent, on se retrouve comme en Italie où les quelques médecins qui acceptent sont débordés.On arrive donc à une pénurie de médecins qui pratiquent l'IVG ?C.W. : On se rend compte en tant que fédération que les centres ont de plus en plus de mal à trouver des médecins en santé sexuelle et reproductive et encore plus de mal à trouver des médecins qui vont pratiquer des avortements. On constate qu'il y a de moins en moins de médecins qui se tournent vers la médecine sociale. A l'époque du Dr Peers, il y avait un engagement militant, des médecins qui s'engageaient dans cette voie. Mais ces médecins vieillissent, et il faut les remplacer. Il va falloir travailler à la formation de nouveaux médecins pour que la relève suive parce qu'il n'y a plus ce militantisme.Y.M. : Les gynécologues qui pratiquent des IVG sont devenus rares. Dans les plannings familiaux, c'est devenu exceptionnel. Mais cela recommence un peu avec les jeunes postgradués. J'ai, par exemple, quelques collègues qui ont fini leur formation et qui veulent continuer à consulter au planning à l'ULB. Mais c'est devenu essentiellement des médecins généralistes. S'ils n'étaient pas là, on aurait un énorme problème. On n'aurait personne pour réaliser des avortements en dehors des hôpitaux. Or, nous ne sommes pas dans une concurrence. Personnellement, je refuse de pratiquer un IVG en hôpital en raison du caractère angoissant de la salle d'opération. On n'entoure pas les patientes de la même manière. Et oui, dans la gynécologie, c'est un sujet qui reste tabou. Personne n'est fier de dire " moi je fais des IVG ". Ce n'est pas une fierté de faire des avortements, c'est une fierté d'aider les femmes à résoudre leur problème !Mais quand on sort de sa spécialisation de gynéco, c'est bien de faire de la PMA. C'est classe. De mettre des bébés au monde, n'en parlons pas ! Mais faire des IVG c'est effectivement quelque chose de plus touchy. Et des gynécologues, il y en a de moins en moins et ils se surspécialisent de plus en plus.C.W. : A la Fédération laïque, nous constatons une grosse pénurie. Dans nos 22 centres IVG qui sont membres de la FLCPF, on compte 79 médecins qui pratiquent des IVG dont 20 ont 55 ans ou plus. Ça fait donc un quart qui ont au moins 55 ans.Y.M. : L'IVG a été longtemps entre les mains de militants. Cela a pu faire peur à certains médecins qui ne veulent pas spécialement rentrer dans ce genre de milieu mais juste réaliser des IVG. Avant on avait parfois peur d'exprimer ses sensibilités. Moi par exemple, il y a 15 ans, je n'aurais pas osé dire que j'étais pour la pratique de l'IVG limitée à 16 semaines (exceptés dans des circonstances particulières).Une chose importante aussi, c'est d'en parler davantage dans les universités. On en parle trop peu finalement !Jutement, la formation est-elle adéquate ?Y.M. : Il existe une formation pour les médecins qui désirent travailler dans la planification familiale et pratiquer des IVG, mais elle est longue. C'est deux ans, un demi jour par semaine. Il faut être motivé. Cette formation prend du temps. Mais c'est nécessaire, il faut se former ! Et on pourrait sûrement améliorer la formation.On pourrait donner de cours à l'Université aux étudiants en médecine, leur parler de l'IVG, de sa problématique, faire venir des sociologues aussi. Je trouve que cet aspect manque dans la formation.A l'ULB on en parle déjà un peu mais ailleurs cela n'existe pas. Certains médecins généralistes n'ont jamais entendu parler de l'IVG pendant toute leur formation de médecine.C.W. : Il faut étendre le concept de santé sexuelle et reproductive et intégrer l'IVG dans la santé sexuelle pour que cette approche soit plus valorisée.Mais ce qui est important de rajouter c'est qu'il faudrait normaliser l'acte et que plus de médecins se sentent concernés, sans avoir besoin pour autant d'être de gauche ou féministe. C'est un acte médical de santé publique avant tout !