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Le journal du Médecin : Comment avez-vous été avertis de la première explosion à Zaventem ?Pr Pierre Mols : Officiellement, nous avons été avertis par... les médias. Mais le chef de sécurité ayant un cousin à Zaventem, nous avons eu l'information dès 8 h 15. A 8 h 42, fidèles à la nouvelle philosophie de réactivité, nous enclenchions le plan MASH, comme tous les hôpitaux bruxellois.Quelles sont alors les premières décisions à prendre ?Les urgences sont immédiatement dédiées à 100% à l'événement. Le service est vidé. La procédure nous oblige à prévoir d'autres attaques.Pour quelle raison ?Notre réponse logistique et sanitaire est spontanée dans la mesure où nous avons appris les leçons de l'attentat de Paris. Le plan catastrophe est une simple anticipation de ce qui a été décidé.Vous avez rencontré vos homologues parisiens ?Absolument. Nous avons eu des contacts réguliers. Le 12 décembre dernier, un séminaire sans préavis organisé à Erasme a fait salle comble. 400 personnes de toutes les disciplines. Les Parisiens y étaient invités. Médecins, directions hospitalières, policiers, militaires étaient présents pour écouter. Beaucoup d'enseignements ont été tirés de la tragédie de Paris.Quelle sont les similitudes ?Disons d'emblée plutôt les différences : L'agglomération parisienne peut déployer 60 Smurs directement, 20.000 lits rien que l'APHP (Assistance publique- hôpitaux de Paris, NDLR) et 200 salles d'opération. C'est infiniment plus que ce que Bruxelles peut offrir. Par contre, le professionnalisme est une philosophie dont on peut s'inspirer. Comme nous n'étions pas satisfaits complètement de notre niveau à l'époque, nous avons sollicité les critiques (acerbes) de l'équipe du Dr Patrick Goldstein de Lille qui est une ville qui, en taille, est pratiquement comparable à Bruxelles. Nous avons appris beaucoup notamment dans l'approche d'une attaque multi-site. Lors des perquisitions rue Dries, nous avons pu mettre en marche une première expérimentation pratique.Comment l'information passe-t-elle ?Le paradoxe c'est qu'on en apprend beaucoup plus via les médias sociaux. Ce fut le cas le 15 mars.Dr Michelle Dusart : Il faut toutefois signaler qu'ils ne disent pas toujours la vérité. Les événements signalés à la gare centrale et à la station Schuman se sont révélés faux, par exemple.Comment s'est passée concrètement la coordination hospitalière ? Etes-vous satisfait globalement de la réponse ?Dr Mols : Signalons d'emblée que pour notre bonheur, cela n'a pas été une attaque multi-site mais deux attaques mono-site dans deux Régions différentes : le centre 112 du Brabant flamand pour l'attentat à l'aéroport et le centre 112 Bruxelles-Capitale pour le métro Maelbeek. Or, nous sommes mieux armés pour un plan mono-site ! La philosophie de réponse multi-site est plus complexe...Comment gère-t-on la communication interne d'une part et vers les médias d'autre part ?Notre souci premier ce sont les blessés et non les médias. Donc, notre communication est essentiellement interne (même si les médias tentent d'avoir des témoignages directs, NDLR). C'est difficile à maîtriser mais tant la réponse louvaniste que bruxelloise a été particulièrement appropriée.La com', c'est généralement le talon d'Achille...En effet. Tant à l'intérieur de l'hôpital qu'entre hôpitaux. Il faut admettre par exemple que dans Bruxelles, Astrid (All-round Semi-cellular Trunking Radio communication system with Integrated Dispatchings : opérateur de télécommunications propre à la Belgique spécialement dédié à tous les services de secours et de sécurité, NDLR) n'a pas bien fonctionné. En-dehors de Bruxelles, oui. Donc, il va falloir réévaluer tout cela. Il faut des alternatives à Astrid.De quel genre ?La réflexion post-attentat, très constructive, nous pousse à faire mieux et évoluer vers un système fiable, ultra-rapide, élégant et d'une traçabilité énorme. Il permettra une amélioration importante au niveau des 112, en interne et entre hôpitaux.A côté de l'aspect logistique et communicationnel, il y a la gestion des émotions, le ressenti face à quelque chose infiniment dramatique. Un commentaire ?Je prendrais un exemple avec un de nos médecins urgentistes qui est un MG en fait, M.D. Dès qu'il a eu vent des explosions, bien qu'habitant Uccle, il s'est vite retrouvé à Maelbeek au poste avancé. C'est un homme calme, froid et pragmatique. Au niveau de notre 2e SMUR, nous pouvons par exemple compter sur notre cheffe de clinique adjointe. C'est elle qui a géré Salah Abdeslam (lire plus loin, NDLR). Elle avait une petite mine. Non pas tellement en raison des événements qu'en raison d'un questionnement existentiel autour de " ai-je pris les bonnes décisions ? ". Je me souviens de la souffrance dans son regard...Les autres services hospitaliers, la logistique ; eux-aussi doivent être prêts. Le furent-ils ?Dr Dusart : Oui. Tout le monde était sur le pied de guerre : le matériel, le linge, les repas, la cellule d'accueil psychologique... Il faut dire que le mardi matin est un " bon " jour : tout le monde est sur le site ou presque. Le système de rappel fonctionne parfaitement. Tout le monde connaît ce qui est prévu dans le plan MASH.Dr Mols : Le paradoxe, c'est qu'il y avait une overdose de moyens ! Parce qu'on avait anticipé. Nous disposions de 4 SMURS de front, 17 équipes d'urgence de première ligne, 11 salles d'opération, 12 lits intensifs sur 36. L'Institut Bordet offrait 5 salles d'op' et 7 lits réa...Les médocs, vous les aviez en stock ?Dr Dusart : Absolument. Mais bien sûr il n'aurait pas fallu 5 attaques terroristes conjointes !L'autre volet de cette histoire c'est que vous avez pris en charge Salah Abdeslam qui était blessé notamment à la jambe...Y a-t-il une hiérarchie particulière pour l'admission d'un terroriste ? Passe-t-il devant les autres ?En fait, nous suivons à la lettre les recommandations des services de police. Les lieux sont sécurisés. Le personnel et les patients voient également leur sécurité renforcée. Mais cela ne déforce pas la prise en charge des autres patients ! A cet égard, nous avons été mollement heureux que la RTBF annonce qu'il était chez nous, mais bon... Les urgences fonctionnent quasi-normalement en dépit des mesures de sécurité extrêmesY a-t-il des patients souffrant de curiosité malsaine et qui chercheraient à se faire admettre dans l'hôpital pour " jeter un oeil " ? Aviez-vous peur que des complices investissent l'hôpital pour libérer le terroriste blessé ?Nous n'avons pas dû déplorer ce genre de problèmes. La police verrouille l'entrée. On suit les injonctions de la police. Ce n'est pas forcément différent des cas de prisonniers des quartiers de haute sécurité qui se font soigner ici (parfois pour un problème de dent !). Il faut tenir compte que l'hôpital n'est pas conçu comme une prison et que le personnel ou le patient peut servir à des prises d'otage.En dépit de critiques vives à l'encontre des politiques, des services de sécurité et on l'a appris jeudi de la semaine dernière, de lourdes lacunes et fautes au niveau de la sécurité de l'aéroport de Zaventem, avant même d'apprendre les détails, nous avons eu l'impression de faire face à une prise en charge exemplaire des services de santé au sens large. Cette impression était donc bonne ?Dr Mols: L'équipe de Lille du Pr Goldstein nous l'a fait savoir : oui, cela fut exemplaire. Mais parce qu'on avait anticipé. Nous étions dans un excellent état de préparation. C'est la clé du succès !Vous êtes prêts, disons-le de guerre lasse, à une autre attaque de ce type ?Nous serons encore plus préparés. Nous apprenons à chaque fois.Un entretien de Nicolas de Pape