Lorsque le Dr Alain Maskens, concepteur du programme Health One dans les années 80, évoquait " la donnée médicale ce bien précieux ", peu d'entre nous en mesuraient le caractère prémonitoire.
Hiérarchiser les observations d'une consultation, les archiver afin de les rendre rapidement accessibles dans le futur, mais aussi les faire parler, leur donner une signification était ressenti à l'époque comme un saut dans l'inconnu. Le scepticisme qui accueillit cette vision innovante du métier médical était à la mesure de la faible informatisation des docteurs, et du coût en temps et en monnaie exigé par ce projet.
Révolution mineure au regard de ce qui les attendait avec la mise en réseau impliquant quantité d'acteurs de la santé, médicaux ou non, évolutions perçues avec bien des réticences par ces artisans de terrain davantage férus de confidentialité et de discrétion. Quand l'adolescente de leurs vingt ans consignait amoureusement ses premiers émois dans un Journal intime, leur fille de 15 ans les partage sur Facebook, Snapchat ou Instagram sans état d'âme. On peut comprendre les craintes exprimées par une majorité de praticiens à qui il est demandé de partager " dans le cloud " ce qui relevait jusqu'ici de la plus stricte confidentialité. On ne passe pas aisément du dossier médical tenu sous clé au Big Data brassant des millions de données anonymisées mais bien réelles.
Big Data, big défi
Où s'en vont nos données ? D'énormes banques de données médicales, interconnectées et traitées par des algorithmes performants, puisent leurs sources dans les viviers les plus inattendus où les médecins ne jouent souvent qu'un rôle mineur, d'où la méfiance : résultats de biologie, protocoles d'imagerie médicale, génétiques et anatomopathologiques, données de consommation des médicaments, publications scientifiques mais aussi chiffres divers collectés par les millions d'objets connectés mis à disposition : glucomètres, podomètres, tracés d'électrocardiographie ambulatoire, monitorage de pression artérielle, surveillance du sommeil, la liste est non exhaustive et connaît une croissance exponentielle. L'innovation, outre le volume parfois impressionnant de ces données recueillies, consiste en leur interconnexion révélant d'inattendues découvertes, totalement ininterprétables lorsqu'on les observait de manière individualisée, patient par patient, médecin par médecin. Un exemple ? L'interprétation des tumeurs cutanées observées en consultation. En couplant un algorithme avec une banque de quelque 100.000 images, une équipe américaine l'a rendu aussi performant qu'un dermatologue expérimenté dans la reconnaissance des affections de la peau et leur degré de malignité (Nature, 2 février 2017). Autre domaine de recherche, la détection systématisée de la rétinopathie diabétique sur base de l'interprétation systématisée et comparée d'un grand nombre de clichés de fond d'oeil protocoles par des ophtalmologues. L'Institut Curie vient de signer un accord de coopération pour analyser sa base de données de 450.000 patients, vieille de dix-sept ans, avec l'objectif de proposer aux oncologues une liste de cas similaires aux patients dont ils s'occupent, afin de les aider à choisir la thérapie adaptée, notamment après des rechutes.
De quoi toucher tous les métiers de la médecine, pour le meilleur et pour le pire. Doter les ordinateurs d'une capacité d'analyse et de raisonnement inégalée, comparable à l'expertise d'un spécialiste ne peut laisser indifférent. Jusqu'à quel point substituer à l'expertise humaine une intelligence artificielle combinant la disponibilité de grandes masses de données, les algorithmes aptes à les comprendre et des capacités de calcul et de mémoire aptes à reconnaître des anomalies pathologiques, les classer en fonction de leur gravité et en prédire des risques, tout en s'améliorant continuellement de leurs précédentes expériences. Comme le soulignent avec finesse David Larousserie et Sandrine Cabu dans le Monde Sciences (8.5.2017), un véritable changement de paradigme est amorcé. " Jusqu'à présent la science et la logique médicale progressaient en émettant des hypothèses, les testant par l'expérience puis en tirant des conclusions. Les données étaient les produits du processus. Avec le big data et les nouvelles méthodes d'intelligence artificielle, la logique s'inverse. Les données deviennent premières. "
Des facteurs prédictifs se voient mis en évidence sans pouvoir établir de modèle conceptuel pour les expliquer, et dont le résultat échappe parfois au médecin. Toute une logique de raisonnement clinique éprouvé est bouleversée. Une dernière méfiance reste à surmonter, parmi bien d'autres d'ordre juridique ou éthique : qui portera la responsabilité en cas d'erreur : le médecin ou la machine ?
Hiérarchiser les observations d'une consultation, les archiver afin de les rendre rapidement accessibles dans le futur, mais aussi les faire parler, leur donner une signification était ressenti à l'époque comme un saut dans l'inconnu. Le scepticisme qui accueillit cette vision innovante du métier médical était à la mesure de la faible informatisation des docteurs, et du coût en temps et en monnaie exigé par ce projet.Révolution mineure au regard de ce qui les attendait avec la mise en réseau impliquant quantité d'acteurs de la santé, médicaux ou non, évolutions perçues avec bien des réticences par ces artisans de terrain davantage férus de confidentialité et de discrétion. Quand l'adolescente de leurs vingt ans consignait amoureusement ses premiers émois dans un Journal intime, leur fille de 15 ans les partage sur Facebook, Snapchat ou Instagram sans état d'âme. On peut comprendre les craintes exprimées par une majorité de praticiens à qui il est demandé de partager " dans le cloud " ce qui relevait jusqu'ici de la plus stricte confidentialité. On ne passe pas aisément du dossier médical tenu sous clé au Big Data brassant des millions de données anonymisées mais bien réelles.Où s'en vont nos données ? D'énormes banques de données médicales, interconnectées et traitées par des algorithmes performants, puisent leurs sources dans les viviers les plus inattendus où les médecins ne jouent souvent qu'un rôle mineur, d'où la méfiance : résultats de biologie, protocoles d'imagerie médicale, génétiques et anatomopathologiques, données de consommation des médicaments, publications scientifiques mais aussi chiffres divers collectés par les millions d'objets connectés mis à disposition : glucomètres, podomètres, tracés d'électrocardiographie ambulatoire, monitorage de pression artérielle, surveillance du sommeil, la liste est non exhaustive et connaît une croissance exponentielle. L'innovation, outre le volume parfois impressionnant de ces données recueillies, consiste en leur interconnexion révélant d'inattendues découvertes, totalement ininterprétables lorsqu'on les observait de manière individualisée, patient par patient, médecin par médecin. Un exemple ? L'interprétation des tumeurs cutanées observées en consultation. En couplant un algorithme avec une banque de quelque 100.000 images, une équipe américaine l'a rendu aussi performant qu'un dermatologue expérimenté dans la reconnaissance des affections de la peau et leur degré de malignité (Nature, 2 février 2017). Autre domaine de recherche, la détection systématisée de la rétinopathie diabétique sur base de l'interprétation systématisée et comparée d'un grand nombre de clichés de fond d'oeil protocoles par des ophtalmologues. L'Institut Curie vient de signer un accord de coopération pour analyser sa base de données de 450.000 patients, vieille de dix-sept ans, avec l'objectif de proposer aux oncologues une liste de cas similaires aux patients dont ils s'occupent, afin de les aider à choisir la thérapie adaptée, notamment après des rechutes.De quoi toucher tous les métiers de la médecine, pour le meilleur et pour le pire. Doter les ordinateurs d'une capacité d'analyse et de raisonnement inégalée, comparable à l'expertise d'un spécialiste ne peut laisser indifférent. Jusqu'à quel point substituer à l'expertise humaine une intelligence artificielle combinant la disponibilité de grandes masses de données, les algorithmes aptes à les comprendre et des capacités de calcul et de mémoire aptes à reconnaître des anomalies pathologiques, les classer en fonction de leur gravité et en prédire des risques, tout en s'améliorant continuellement de leurs précédentes expériences. Comme le soulignent avec finesse David Larousserie et Sandrine Cabu dans le Monde Sciences (8.5.2017), un véritable changement de paradigme est amorcé. " Jusqu'à présent la science et la logique médicale progressaient en émettant des hypothèses, les testant par l'expérience puis en tirant des conclusions. Les données étaient les produits du processus. Avec le big data et les nouvelles méthodes d'intelligence artificielle, la logique s'inverse. Les données deviennent premières. "Des facteurs prédictifs se voient mis en évidence sans pouvoir établir de modèle conceptuel pour les expliquer, et dont le résultat échappe parfois au médecin. Toute une logique de raisonnement clinique éprouvé est bouleversée. Une dernière méfiance reste à surmonter, parmi bien d'autres d'ordre juridique ou éthique : qui portera la responsabilité en cas d'erreur : le médecin ou la machine ?