Roland Lemye poursuit son analyse de l'histoire des accords médico-mut. Malgré le système d'accords, explique-t-il, les dépenses ont, dans les années 80, continué d'exploser, ce qui se répercutait sur les accords suivants mais les diminutions d'honoraires étaient compensées par une augmentation du nombre d'actes. Le médecin prescripteur, jugé responsable des faits, devint l'homme à abattre, sinon lui du moins sa liberté de prescription.
Dès le début des années 80, une commission des profils est mise sur pied pour repérer et sanctionner les sur-prescripteurs. Si quelques médecins furent punis par le Service de Contrôle médical, il faut bien dire que l'effet escompté sur les dépenses ne s'est pas produit.
La lettre du Dr Riga (Inami) menaçant tous les prescripteurs provoqua la fureur du corps médical et permit de transformer ce système de sanctions aveugles par un système de Peer review (Glems).
Les prérogatives du service de contrôle médical devinrent le Service de Contrôle et d'Evaluation Médicale (SECM). Pour diminuer le budget des médicaments, un système de remboursement conditionnel des nouveaux médicaments et chers fut mis au point : le système Bf. Seuls les patients qui répondaient aux critères fixés avaient droit au remboursement (alors que d'autres bénéficiaires potentiels en étaient privés) mais pour avoir ce remboursement, il fallait l'autorisation du médecin-conseil.
20 critères
Pour libérer les médecins-conseils de cette charge administrative, on la confia encore un peu plus au médecin prescripteur qui devait, non seulement respecter les critères mais, les inscrire un par un dans le dossier médical, tâche excessive puisque pour certains médicaments, il y avait plus de vingt critères. Les médecins du contrôle médical allaient pouvoir s'en donner à coeur-joie. La résistance syndicale mit fin à leur enthousiasme. Même si les critères doivent toujours être respectés, il n'est plus nécessaire pour prouver qu'ils le sont, de les avoir inscrits de manière exhaustive dans le dossier.
Dans la même foulée, le ministre de la Santé de l'époque Philippe Moureaux reforma la Loi Leburton au début des années 90. Jusque-là, les accords se faisaient sur les tarifs et puis, vogue la galère jusqu'à l'accord suivant ...
Une Commission de Contrôle Budgétaire (CCB) avait déjà été créée de façon à suivre les dépenses et à allumer les clignotants dès que des risques de dépassement étaient prévisibles (les prérogatives de cette CCB vont augmenter au cours du temps jusqu'à devenir un organe habilité à proposer des économies qu'il y ait dépassement ou pas).
Le ministre Moureaux va s'en servir pour transformer les accords qui de simplement tarifaires vont devenir budgétaires. Les partenaires devaient dès lors non seulement s'entendre sur des tarifs mais aussi sur des budgets (au départ cela concernait les prestations mais actuellement, cela concerne également les prescriptions).
Là où Moureaux dépassa la ligne rouge, c'est quand il envisagea la possibilité d'intervenir en cours d'accord pour imposer des modifications de tarif en cas de dépassement. Le désengagement de plus de 50% des médecins du pays dans tous les arrondissements et le refus d'accepter un accord de rechange proposé par lui, le mit dans l'obligation de s'incliner devant l'action de l'ABSyM et de retirer cette partie du projet.
Forfaitarisation
La forfaitarisation figura parmi les tous premiers moyens utilisés pour maîtriser les dépenses. Les premières visées ont été les spécialités où les dépenses explosaient le plus comme la biologie clinique, l'imagerie médicale, les médicaments dans les services hospitaliers. En médecine générale, les maisons médicales étaient devenues le modèle défendu par tous les partis politiques (à l'exception des libéraux).
Dans un système forfaitaire, le médecin n'a aucun avantage du salariat (protections sociales) tout en perdant les avantages des indépendants (liberté - liberté d'entreprises) seules, les maisons médicales sont avantagées parce que leur forfait est généreusement calculé en tout cas tant qu'elles sont utiles comme fer de lance contre la médecine libérale.
L'intérêt du forfait, c'est la facilité de maîtriser les dépenses car il suffit de maîtriser le coût sans devoir maîtriser le nombre d'actes (déjà sous contrôle par la CCB).
La Belgique est loin d'être la plus dépensière en soins de santé, elle est dans la moyenne mais la forfaitarisation amène toujours une perte de qualité et un rationnement.
Il y a différentes façons de forfaitariser, les conséquences en sont cependant toujours fâcheuses.
La première conséquence est une démotivation des acteurs ; Pourquoi travailler seize heures par jour, le double de n'importe quel travailleur sans en tirer un avantage financier ? Les médecins généralistes (MG) hollandais (à la capitation) ont tous fini à 17h. La moitié de leurs contacts se fait par téléphone ou par e-mail. Ils ont pourtant le double de patientèle.
La deuxième conséquence est que les médecins ne sont plus à la "pièce". Pourquoi courir ? Les médecins hospitaliers suédois salariés (ce qui est mieux qu'un forfait) négocient bien sûr leur salaire mais surtout, le nombre de patients qu'ils doivent voir par jour (7 ou 8 ...)
La troisième conséquence est la délégation des tâches. Pourquoi ne pas s'exonérer de tâches qui peuvent être faites par un autre. C'est le principe de subsidiarité. Il faut seulement constater qu'il va à l'encontre du principe de qualité. Exemple : les frottis de col en Angleterre ne sont pas faits par les gynécologues, pas même par les GPs mais par les nurses (même si elles ne le font pas si mal).
Rationnement
La baisse de qualité n'est pas le seul résultat. La diminution de la disponibilité et de la productivité des prestataires exigeraient qu'il en faille plus pour le même résultat. Cela irait cependant à l'encontre de la maîtrise des dépenses. Pour y arriver, il n'y a d'autre choix que le rationnement. Celui-ci peut être explicite ou implicite.
Par exemple en Angleterre, les patients au-delà de 65 ans n'ont plus droit à une dialyse (entre autres). Cela concerne ceux qui ne peuvent pas s'expatrier ou s'offrir une assurance privée en sus des impôts qu'ils paient pour couvrir le service national de santé.
Si les forfaits hospitaliers sont utilisés selon les besoins, ils peuvent être épuisés avant la fin de l'année. C'est arrivé en France dans les hôpitaux publics, ce qui a fait l'objet d'une émission de Jean-Marie Cavada "La Marche du Siècle" où la caméra se promenait sur des lits et des couloirs vides à partir du mois de novembre.
Le plus souvent, les hôpitaux utilisent un forfait journalier, ce qui déborde est reporté. Ces débordements s'additionnent et constituent vite des listes d'attente.
Que nous réservera la réforme hospitalière ? Le forfait par pathologie devrait éviter tous ces défauts mais prendra-t-on encore en charge les mauvais risques ?
A suivre ...
Dès le début des années 80, une commission des profils est mise sur pied pour repérer et sanctionner les sur-prescripteurs. Si quelques médecins furent punis par le Service de Contrôle médical, il faut bien dire que l'effet escompté sur les dépenses ne s'est pas produit.La lettre du Dr Riga (Inami) menaçant tous les prescripteurs provoqua la fureur du corps médical et permit de transformer ce système de sanctions aveugles par un système de Peer review (Glems).Les prérogatives du service de contrôle médical devinrent le Service de Contrôle et d'Evaluation Médicale (SECM). Pour diminuer le budget des médicaments, un système de remboursement conditionnel des nouveaux médicaments et chers fut mis au point : le système Bf. Seuls les patients qui répondaient aux critères fixés avaient droit au remboursement (alors que d'autres bénéficiaires potentiels en étaient privés) mais pour avoir ce remboursement, il fallait l'autorisation du médecin-conseil.Pour libérer les médecins-conseils de cette charge administrative, on la confia encore un peu plus au médecin prescripteur qui devait, non seulement respecter les critères mais, les inscrire un par un dans le dossier médical, tâche excessive puisque pour certains médicaments, il y avait plus de vingt critères. Les médecins du contrôle médical allaient pouvoir s'en donner à coeur-joie. La résistance syndicale mit fin à leur enthousiasme. Même si les critères doivent toujours être respectés, il n'est plus nécessaire pour prouver qu'ils le sont, de les avoir inscrits de manière exhaustive dans le dossier.Dans la même foulée, le ministre de la Santé de l'époque Philippe Moureaux reforma la Loi Leburton au début des années 90. Jusque-là, les accords se faisaient sur les tarifs et puis, vogue la galère jusqu'à l'accord suivant ...Une Commission de Contrôle Budgétaire (CCB) avait déjà été créée de façon à suivre les dépenses et à allumer les clignotants dès que des risques de dépassement étaient prévisibles (les prérogatives de cette CCB vont augmenter au cours du temps jusqu'à devenir un organe habilité à proposer des économies qu'il y ait dépassement ou pas).Le ministre Moureaux va s'en servir pour transformer les accords qui de simplement tarifaires vont devenir budgétaires. Les partenaires devaient dès lors non seulement s'entendre sur des tarifs mais aussi sur des budgets (au départ cela concernait les prestations mais actuellement, cela concerne également les prescriptions).Là où Moureaux dépassa la ligne rouge, c'est quand il envisagea la possibilité d'intervenir en cours d'accord pour imposer des modifications de tarif en cas de dépassement. Le désengagement de plus de 50% des médecins du pays dans tous les arrondissements et le refus d'accepter un accord de rechange proposé par lui, le mit dans l'obligation de s'incliner devant l'action de l'ABSyM et de retirer cette partie du projet.La forfaitarisation figura parmi les tous premiers moyens utilisés pour maîtriser les dépenses. Les premières visées ont été les spécialités où les dépenses explosaient le plus comme la biologie clinique, l'imagerie médicale, les médicaments dans les services hospitaliers. En médecine générale, les maisons médicales étaient devenues le modèle défendu par tous les partis politiques (à l'exception des libéraux).Dans un système forfaitaire, le médecin n'a aucun avantage du salariat (protections sociales) tout en perdant les avantages des indépendants (liberté - liberté d'entreprises) seules, les maisons médicales sont avantagées parce que leur forfait est généreusement calculé en tout cas tant qu'elles sont utiles comme fer de lance contre la médecine libérale.L'intérêt du forfait, c'est la facilité de maîtriser les dépenses car il suffit de maîtriser le coût sans devoir maîtriser le nombre d'actes (déjà sous contrôle par la CCB).La Belgique est loin d'être la plus dépensière en soins de santé, elle est dans la moyenne mais la forfaitarisation amène toujours une perte de qualité et un rationnement.Il y a différentes façons de forfaitariser, les conséquences en sont cependant toujours fâcheuses.La première conséquence est une démotivation des acteurs ; Pourquoi travailler seize heures par jour, le double de n'importe quel travailleur sans en tirer un avantage financier ? Les médecins généralistes (MG) hollandais (à la capitation) ont tous fini à 17h. La moitié de leurs contacts se fait par téléphone ou par e-mail. Ils ont pourtant le double de patientèle.La deuxième conséquence est que les médecins ne sont plus à la "pièce". Pourquoi courir ? Les médecins hospitaliers suédois salariés (ce qui est mieux qu'un forfait) négocient bien sûr leur salaire mais surtout, le nombre de patients qu'ils doivent voir par jour (7 ou 8 ...)La troisième conséquence est la délégation des tâches. Pourquoi ne pas s'exonérer de tâches qui peuvent être faites par un autre. C'est le principe de subsidiarité. Il faut seulement constater qu'il va à l'encontre du principe de qualité. Exemple : les frottis de col en Angleterre ne sont pas faits par les gynécologues, pas même par les GPs mais par les nurses (même si elles ne le font pas si mal).La baisse de qualité n'est pas le seul résultat. La diminution de la disponibilité et de la productivité des prestataires exigeraient qu'il en faille plus pour le même résultat. Cela irait cependant à l'encontre de la maîtrise des dépenses. Pour y arriver, il n'y a d'autre choix que le rationnement. Celui-ci peut être explicite ou implicite.Par exemple en Angleterre, les patients au-delà de 65 ans n'ont plus droit à une dialyse (entre autres). Cela concerne ceux qui ne peuvent pas s'expatrier ou s'offrir une assurance privée en sus des impôts qu'ils paient pour couvrir le service national de santé. Si les forfaits hospitaliers sont utilisés selon les besoins, ils peuvent être épuisés avant la fin de l'année. C'est arrivé en France dans les hôpitaux publics, ce qui a fait l'objet d'une émission de Jean-Marie Cavada "La Marche du Siècle" où la caméra se promenait sur des lits et des couloirs vides à partir du mois de novembre.Le plus souvent, les hôpitaux utilisent un forfait journalier, ce qui déborde est reporté. Ces débordements s'additionnent et constituent vite des listes d'attente. Que nous réservera la réforme hospitalière ? Le forfait par pathologie devrait éviter tous ces défauts mais prendra-t-on encore en charge les mauvais risques ?A suivre ...