Nous devons nous opposer aux politiques qui limiteront l'accès de millions de patients à l'oxygénothérapie. Combien de fois par jour entendons-nous que face au covid-19 nous sommes tous égaux puisque ce virus contamine aussi bien les grands dirigeants de ce monde que les chauffeurs de bus ? Mais est-ce vraiment rassurant qu'un virus potentiellement mortel soit le lien qui unit notre humanité commune à une époque d'inégalités croissantes entre les sociétés ?
Ce refrain désormais connu ne résiste pas à un examen plus attentif. Si les juristes et les banquiers télé-travaillent chez eux, en sécurité, les bas salaires - aide-ménagères, personnel de nettoyage des hôpitaux et livreurs par exemple - continuent d'aller travailler dans des endroits où ils courent un plus grand risque de contracter la maladie.
L'auto-confinement n'est pas une option pour des groupes vulnérables comme les réfugiés et les sans-abris. Certaines communautés sont en outre exposées à un risque plus élevé de mortalité : aux États-Unis, dans l'État de Louisiane, 70 % des patients qui meurent du COVID-19 sont des Afro-Américains, alors qu'ils ne représentent que 33 % de la population.
Et maintenant que la pandémie gagne l'hémisphère Sud, le mensonge de cette soi-disant égalité face au COVID-19 sera exposé au grand jour.
L'hémisphère Sud ne peut pas se contenter de savon et de brochures sur l'hygiène des mains
En Chine, en Europe et aux États-Unis, les unités de soins intensifs ont été mises à très rude épreuve. Mais de nombreuses autres parties du monde doivent affronter un tout autre scénario. La Bande de Gaza compte environ 20 respirateurs artificiels pour deux millions d'habitants ; la République centrafricaine a, en tout et pour tout, trois respirateurs pour une population de cinq millions d'habitants. Quant au Burkina Faso, il n'est équipé que 12 lits de soins intensifs pour 20 millions de citoyens.
L'on peut bien sûr espérer que la jeunesse de la population de la plupart de ces pays permettra d'atténuer l'impact du Covid-19. C'est sans compter le fait que beaucoup de jeunes souffrent déjà de tuberculose, du VIH, de diverses maladies non transmissibles et de maladies infectieuses comme le choléra, la rougeole ou le paludisme. S'ils devaient être contaminés par le Covid-19, ces comorbidités sous-jacentes signeraient leur arrêt de mort.
L'on table aujourd'hui sur l'hypothèse selon laquelle le pourcentage de formes graves du Covid-19 sera au moins égal à celui observé en Asie et en Europe : 80 % des patients ne devront sans doute pas être hospitalisés, mais environ 20 % nécessiteront une prise en charge en milieu hospitalier. La plupart de ceux-ci devront recevoir de l'oxygène et un quart nécessiteront une ventilation mécanique. S'ils sont privés de soins, ces malades atteints de formes sévères mourront à coup sûr par asphyxie.
Accès à l'oxygène = antirétroviraux
L'accès à l'oxygène et aux respirateurs fera la différence entre le Nord et le Sud, comme ce fut le cas pour les antirétroviraux au début de l'épidémie de VIH/sida, dans les années 1990. Pendant des années, MSF a développé des projets de traitement antirétroviral en Afrique du Sud, afin de démontrer que cette fracture thérapeutique n'était ni nécessaire ni acceptable.
Tout comme d'autres acteurs, nous n'avons pas voulu accepter que d'aucuns nient la gravité de cette crise, pas plus que cette indifférence fatale à l'égard des malades n'ayant pas les moyens d'accéder à des soins de qualité.
Aujourd'hui, nous ne pouvons accepter que l'oxygène contribue à creuser ce fossé.
Le Covid-19 se propage rapidement. Ce virus est très contagieux et la période entre la contamination et une issue potentiellement fatale est souvent inférieure à un mois. Cette fois-ci, nous avons quelques semaines seulement, et non des années pour retrousser nos manches si nous voulons faire la différence.
Les défis inédits posés par le Covid-19 aux pays riches risquent d'être insurmontables dans les contextes pauvres en ressources.
Tout d'abord parce que le fossé entre les soins disponibles et la demande potentielle est énorme. Dans les pays à haut revenu, l'administration d'oxygène va de soi. Chaque chambre d'hôpital est dotée d'un système sophistiqué d'arrivée d'oxygène.
Il en va tout autrement dans les hôpitaux dans lesquels nous travaillons. Les concentrateurs d'oxygène exigent un approvisionnement constant et fiable en électricité. Sinon, nous devons nous procurer des bouteilles d'oxygène, une solution peu pratique lorsqu'on sait que les patients ont besoin d'oxygène pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines. Et dans de nombreux contextes, nous ne disposons tout simplement pas de stocks d'oxygène de qualité médicale.
Expérience en intubation
Deuxièmement, rares sont les organisations humanitaires qui possèdent les connaissances et les capacités logistiques nécessaires pour dispenser des soins médicaux de pointe, dans le meilleur des cas. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un virus qui exige une réelle expertise et l'intubation de nombreux patients pendant plusieurs semaines. Même si MSF s'est spécialisée dans les urgences médicales et la riposte aux épidémies, nous n'avons pas l'habitude de devoir intuber des patients au-delà de plusieurs heures ou plusieurs jours pour maintenir en vie les victimes de traumatismes que nous soignons dans nos hôpitaux de guerre.
Cela n'empêche pas MSF d'envisager de mettre sous oxygène des cas critiques dans une série de contextes, de repousser encore nos limites en utilisant des respirateurs artificiels. Nous devons surmonter cette fracture, ce " triage socioéconomique " qui fait que des minorités, des groupes vulnérables et parfois même des populations entières ne pourront être mises sous oxygène voire même avoir accès aux soins.
Mais pour y arriver, les obstacles actuels doivent être surmontés. La liberté de circulation transfrontalière - pour le personnel médical et humanitaire - doit être facilitée. Il faut absolument mettre fin à l'embargo sur les exportations de produits médicaux vers les pays les plus vulnérables. Les nouveaux équipements médicaux, médicaments et équipements de protection individuelle indispensables au personnel de première ligne doivent être disponibles, au-delà des frontières nationales.
Nous devons refuser les politiques qui abandonnent à leur sort la moitié des patients de notre planète, des patients qui, contrairement aux patients de l'hémisphère Nord, n'ont pas accès à l'oxygénothérapie ou à des soins intensifs de qualité pour affronter cette pandémie. Vous qui lisez ce texte, où que vous soyez, nous faisons appel à vous : nous vous demandons de dénoncer ces politiques qui voudraient que les pays de l'hémisphère Sud se contentent de savon et de brochures sur l'hygiène des mains. Unissons-nous pour refuser que des milliers de patients infectés par le Covid-19 meurent, faute d'oxygène.
Ce refrain désormais connu ne résiste pas à un examen plus attentif. Si les juristes et les banquiers télé-travaillent chez eux, en sécurité, les bas salaires - aide-ménagères, personnel de nettoyage des hôpitaux et livreurs par exemple - continuent d'aller travailler dans des endroits où ils courent un plus grand risque de contracter la maladie. L'auto-confinement n'est pas une option pour des groupes vulnérables comme les réfugiés et les sans-abris. Certaines communautés sont en outre exposées à un risque plus élevé de mortalité : aux États-Unis, dans l'État de Louisiane, 70 % des patients qui meurent du COVID-19 sont des Afro-Américains, alors qu'ils ne représentent que 33 % de la population. Et maintenant que la pandémie gagne l'hémisphère Sud, le mensonge de cette soi-disant égalité face au COVID-19 sera exposé au grand jour.En Chine, en Europe et aux États-Unis, les unités de soins intensifs ont été mises à très rude épreuve. Mais de nombreuses autres parties du monde doivent affronter un tout autre scénario. La Bande de Gaza compte environ 20 respirateurs artificiels pour deux millions d'habitants ; la République centrafricaine a, en tout et pour tout, trois respirateurs pour une population de cinq millions d'habitants. Quant au Burkina Faso, il n'est équipé que 12 lits de soins intensifs pour 20 millions de citoyens. L'on peut bien sûr espérer que la jeunesse de la population de la plupart de ces pays permettra d'atténuer l'impact du Covid-19. C'est sans compter le fait que beaucoup de jeunes souffrent déjà de tuberculose, du VIH, de diverses maladies non transmissibles et de maladies infectieuses comme le choléra, la rougeole ou le paludisme. S'ils devaient être contaminés par le Covid-19, ces comorbidités sous-jacentes signeraient leur arrêt de mort. L'on table aujourd'hui sur l'hypothèse selon laquelle le pourcentage de formes graves du Covid-19 sera au moins égal à celui observé en Asie et en Europe : 80 % des patients ne devront sans doute pas être hospitalisés, mais environ 20 % nécessiteront une prise en charge en milieu hospitalier. La plupart de ceux-ci devront recevoir de l'oxygène et un quart nécessiteront une ventilation mécanique. S'ils sont privés de soins, ces malades atteints de formes sévères mourront à coup sûr par asphyxie. L'accès à l'oxygène et aux respirateurs fera la différence entre le Nord et le Sud, comme ce fut le cas pour les antirétroviraux au début de l'épidémie de VIH/sida, dans les années 1990. Pendant des années, MSF a développé des projets de traitement antirétroviral en Afrique du Sud, afin de démontrer que cette fracture thérapeutique n'était ni nécessaire ni acceptable. Tout comme d'autres acteurs, nous n'avons pas voulu accepter que d'aucuns nient la gravité de cette crise, pas plus que cette indifférence fatale à l'égard des malades n'ayant pas les moyens d'accéder à des soins de qualité. Aujourd'hui, nous ne pouvons accepter que l'oxygène contribue à creuser ce fossé.Le Covid-19 se propage rapidement. Ce virus est très contagieux et la période entre la contamination et une issue potentiellement fatale est souvent inférieure à un mois. Cette fois-ci, nous avons quelques semaines seulement, et non des années pour retrousser nos manches si nous voulons faire la différence. Les défis inédits posés par le Covid-19 aux pays riches risquent d'être insurmontables dans les contextes pauvres en ressources.Tout d'abord parce que le fossé entre les soins disponibles et la demande potentielle est énorme. Dans les pays à haut revenu, l'administration d'oxygène va de soi. Chaque chambre d'hôpital est dotée d'un système sophistiqué d'arrivée d'oxygène. Il en va tout autrement dans les hôpitaux dans lesquels nous travaillons. Les concentrateurs d'oxygène exigent un approvisionnement constant et fiable en électricité. Sinon, nous devons nous procurer des bouteilles d'oxygène, une solution peu pratique lorsqu'on sait que les patients ont besoin d'oxygène pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines. Et dans de nombreux contextes, nous ne disposons tout simplement pas de stocks d'oxygène de qualité médicale. Deuxièmement, rares sont les organisations humanitaires qui possèdent les connaissances et les capacités logistiques nécessaires pour dispenser des soins médicaux de pointe, dans le meilleur des cas. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un virus qui exige une réelle expertise et l'intubation de nombreux patients pendant plusieurs semaines. Même si MSF s'est spécialisée dans les urgences médicales et la riposte aux épidémies, nous n'avons pas l'habitude de devoir intuber des patients au-delà de plusieurs heures ou plusieurs jours pour maintenir en vie les victimes de traumatismes que nous soignons dans nos hôpitaux de guerre. Cela n'empêche pas MSF d'envisager de mettre sous oxygène des cas critiques dans une série de contextes, de repousser encore nos limites en utilisant des respirateurs artificiels. Nous devons surmonter cette fracture, ce " triage socioéconomique " qui fait que des minorités, des groupes vulnérables et parfois même des populations entières ne pourront être mises sous oxygène voire même avoir accès aux soins. Mais pour y arriver, les obstacles actuels doivent être surmontés. La liberté de circulation transfrontalière - pour le personnel médical et humanitaire - doit être facilitée. Il faut absolument mettre fin à l'embargo sur les exportations de produits médicaux vers les pays les plus vulnérables. Les nouveaux équipements médicaux, médicaments et équipements de protection individuelle indispensables au personnel de première ligne doivent être disponibles, au-delà des frontières nationales.Nous devons refuser les politiques qui abandonnent à leur sort la moitié des patients de notre planète, des patients qui, contrairement aux patients de l'hémisphère Nord, n'ont pas accès à l'oxygénothérapie ou à des soins intensifs de qualité pour affronter cette pandémie. Vous qui lisez ce texte, où que vous soyez, nous faisons appel à vous : nous vous demandons de dénoncer ces politiques qui voudraient que les pays de l'hémisphère Sud se contentent de savon et de brochures sur l'hygiène des mains. Unissons-nous pour refuser que des milliers de patients infectés par le Covid-19 meurent, faute d'oxygène.