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Dans un hôpital de campagne, un militaire est transporté sur une civière. Sa patrouille a été prise pour cible par l'artillerie ennemie. Sur sa cuisse, au-dessus d'une plaie béante au niveau du genou, un garrot a été appliqué. Des éclats d'obus provoqués par les explosions ont également causé des blessures à plusieurs autres endroits sur le corps de l'homme. Dès que l'équipe se rassemble autour de la table d'opération, l'infirmier qui a accompagné le blessé lors de l'évacuation énumère son état et ses paramètres vitaux. Le médecin chargé de l'opération répète ces informations et donne des instructions à l'équipe. Puis retentit le mot libérateur : " Fin de scénario ! ". Ce n'était qu'un exercice, et le " blessé " militaire peut aller retirer son maquillage.Nous sommes sur la base de Leopoldsburg, où la composante médicale de la Défense conclut l'exercice de grande ampleur Green Light 24. Du 4 novembre au 6 décembre, 290 membres de la composante médicale, soutenus par 25 autres militaires, ont participé à ces entraînements.L'objectif de l'exercice est de développer et d'améliorer les tactiques, techniques et procédures dans des scénarios aussi réalistes que possible, explique le lieutenant-colonel Aniek De Smet. Un médecin militaire ukrainien était invité lors de Green Light 24, ce qui a permis d'enrichir les scénarios de l'exercice avec les " leçons tirées " de ce conflit.Ainsi, les blessés ne peuvent pas être évacués par hélicoptère en Ukraine, car l'armée ukrainienne ne dispose pas de supériorité aérienne. Le transport terrestre est risqué en journée, les ambulances étant des cibles pour les drones, et se fait donc souvent de nuit. Cela rallonge considérablement le temps nécessaire pour atteindre un médecin.L'intense usage de l'artillerie sur le front modifie également la nature des blessures par rapport à des conflits comme celui en Afghanistan. Parmi les militaires ukrainiens blessés en opération, 94 % souffrent de traumatismes multiples causés par des explosions et des éclats, et seulement 5 % de blessures par balles. Plus de 25 % des victimes ont été blessées par un drone." L'aide médicale au front et à l'arrière se déroule en plusieurs étapes ", explique le colonel Pierre Rennotte. Sur le lieu où il est blessé, un militaire reçoit les premiers soins. Il est ensuite évacué vers un "Role 1", un poste de secours où il est pris en charge par un médecin urgentiste.Il est ensuite transféré vers un "Role 2 Forward", un hôpital de campagne mobile. Celui-ci est composé de quatre modules -- en réalité, de grandes tentes -- ayant chacun une fonction spécifique : triage, stabilisation, premiers soins chirurgicaux et soins post-opératoires. Un Role 2 Forward, avec tout son matériel, tient dans deux conteneurs et peut être installé en deux heures. De là, les blessés sont transportés vers un hôpital plus grand, le "Role 2 Basic".Dans sa configuration standard, un hôpital Role 2 Basic est constitué de sept modules : urgences, aide chirurgicale, soins post-opératoires, salle d'attente, diagnostic spécialisé, approvisionnement médical et compartiment pour le personnel. Il peut être complété par des modules supplémentaires, notamment pour l'imagerie, les laboratoires, la pharmacie, la stérilisation, les soins dentaires ou encore la prévention.À Leopoldsburg, où se déroule l'exercice, c'est une configuration étendue qui est installée, comprenant un total de 16 modules disposés autour d'un couloir central. Un module dédié à l'analyse de la qualité de l'air et de l'eau, ainsi qu'à la détection de pathogènes, est installé un peu à l'écart pour éviter tout risque de contamination.Sur le toit des tentes, la croix rouge qu'on associe habituellement à l'hôpital est absente. " Nous pouvons bien sûr l'ajouter ", explique un militaire. " Mais cela dépend de la situation sur le terrain. En Ukraine, les hôpitaux sont intentionnellement pris pour cible afin d'empêcher que ceux qui y sont soignés ne puissent retourner au front. Là-bas, la Convention de Genève n'est qu'un bout de papier. "L'exercice Green Light 24 permet à la composante médicale de tirer de précieux enseignements pour améliorer sa préparation en cas de conflit. Cependant, le principal défi auquel la Défense est confrontée reste le manque de médecins, souligne la colonel médecin An Van Rompay, conseillère médicale du Chef de la Défense.La Défense recrute directement des médecins, qui suivent ensuite une formation universitaire civile, mais peine à les retenir. " Une partie du problème réside dans le fait qu'en temps de paix, la Défense manque de pathologies pour maintenir les compétences de ses médecins à niveau. Ils doivent donc exercer une partie de leurs activités dans des hôpitaux civils, ce qui n'est pas toujours facile à organiser avec deux employeurs ", explique la Dre Van Rompay." Aussi, la formation de médecin s'allonge de plus en plus. En temps de paix, nous sommes soumis à la législation et ne pouvons employer des médecins qu'une fois leur diplôme obtenu et leur agrément de spécialiste accordé. En Ukraine, ce temps fait défaut : la formation des nouveaux médecins y a été raccourcie par nécessité. "Van Rompay souligne également le problème de l'hyperspécialisation en médecine : cette année encore, le titre de spécialiste en chirurgie a été subdivisé en chirurgie cardiaque, thoracique, vasculaire et viscérale. Les éclats d'obus, malheureusement, ne tiennent pas compte de ces distinctions : les médecins sur le front doivent maîtriser tous les aspects de la chirurgie. " Si nos militaires sont déployés dans des opérations impliquant de nombreux blessés - ou même si des victimes sont à déplorer en Belgique, ce qui n'est pas impensable dans le contexte géopolitique actuel -, alors les principes de la chirurgie de damage control seront nécessaires. Mais ces principes ne sont plus enseignés dans les formations de chirurgie. "" La répartition des compétences en Belgique nous pose également problème, non seulement pour les soins de santé, mais aussi pour l'enseignement ", poursuit Van Rompay. " Par exemple, en Flandre, la médecine d'urgence est un programme de formation postdoctoral, tandis qu'en Wallonie, il s'agit d'un master complémentaire. Cela rend cette formation moins attractive pour nos étudiants flamands, car elle est perçue comme ayant moins de prestige. Et c'est précisément cette spécialité dont nous avons besoin. "La Défense observe cependant une augmentation du nombre de médecins qui rejoignent ses rangs comme réservistes ou qui participent en tant qu'indépendants aux activités de recrutement et de sélection. " C'est encourageant de voir des collègues prendre conscience que notre sécurité n'est plus une évidence et vouloir contribuer à leur manière. Ils inspirent d'autres collègues à faire de même. Nous avons actuellement une cinquantaine de médecins réservistes, mais il nous en faudrait plus d'une centaine. "" Je comprends que ce n'est pas simple pour les hôpitaux de se passer d'un médecin pendant quelques semaines ou quelques mois par an. Mais pour nous préparer, il sera de plus en plus nécessaire de collaborer avec des institutions civiles. En Ukraine, on parle d'un Joint Medical Space. Ceux qui veulent la paix doivent se préparer à la guerre ", conclut Van Rompay.Les médecins et dentistes qui souhaitent plus d'informations peuvent écrire à comopsmed-amo@mil.be