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Le Dr Pierre Pili originaire de Marseille, exerce son métier de médecin secouriste depuis six ans. Mais ce médecin alpiniste est également passionné d'écriture. Dans son récit Chamonix-Langtang publié aux éditions du Mont Blanc, on retrouve le témoignage de son expérience en haute montagne. Ses meilleurs souvenirs sont des secours de longues durées traversant des paysages magnifiques, confie-t-il." Quand nous partons en secours en montagne et que l'hélicoptère ne peut pas décoller, nous devons y aller en " caravanes terrestres " c'est à dire à pied ou en ski de randonnée. Nous partons parfois pour des heures, notamment sur l'aiguille du Tour dans le massif du Mont Blanc. Nous sommes même partis une fois près de 24h à pied avec une équipe de secouristes. Les déplacements sont longs, techniques et il faut marcher sur le glacier. Une fois la victime récupérée, il faut redescendre de la falaise, s'abriter dans un refuge, avec toute une réflexion sur la logistique ; attendre l'hélico encore quelques heures ? Ou descendre avec la victime à pied au risque qu'elle se refroidisse ? Tous ces moments qui durent, empreints de réflexions logistiques, sont passionnants. Une grande complicité dans l'équipe se créé et tisse des liens très forts", raconte le médecin secouriste.Les accidents qu'il rencontre le plus souvent dans la région de Chamonix, sont ceux d'escalade, de ski, d'alpinisme mais aussi de parapente, de base jump et de wing suit flying (vol en combinaison ailée, ndlr). " Et puis une grande partie du secourisme en montagne reste la randonnée classique avec toutes les pathologies médicales rencontrées en plaine, comme les infarctus et tous les types de malaises qui se produisent sur le sentier. Nous intervenons beaucoup auprès des gens qui n'ont pas forcément une grande pratique de la montagne. Ensuite, il y a aussi la population des alpinistes. Passé les 3.000-3.500m, on trouve les pathologies dites d'altitude, à savoir les gelures et le mal aigu des montagnes qui recouvre aussi bien l'oedème pulmonaire d'altitude- des gens qui sont sous leur tente à 4.000 m et qui s'étouffent littéralement- que l'oedème cérébral, avec des signes neurologiques, comme l'accident vasculaire cérébral, l'épilepsie jusqu'au coma", explique-t-il. Et lorsque ce médecin secouriste n'est pas en montagne, il est aux urgences à l'hôpital du pays du Mont Blanc à Chamonix. Ce centre hospitalier est spécialisé dans les gelures. " Nous traitons des gens que nous récupérons du massif du Mont Blanc mais aussi des personnes rapatriées de l'Himalaya par exemple et de toute la région alpine. Nous avons une expertise dans la reconnaissance du stade de la gelure et dans le traitement, notamment avec un partenariat suisse qui nous permet d'utiliser un caisson hyperbare, facilitant la reconstruction des tissus et l'oxygénation des lésions ", ajoute l'urgentiste. Pour Pierre Pili, la peur est une information qu'il faut prendre en compte. " Si on n'a pas peur, il faut se poser des questions sur son analyse du risque. Mais elle ne doit pas être paralysante non plus. C'est une info qui doit nous permettre de se poser les bonnes questions ; est-ce lucide de pratiquer une intubation ou d'endormir un patient à un endroit exposé aux chutes de pierres ou de glace par exemple. "Mais la peur n'est pas présente tous les jours. " Elle arrive lors d'interventions importantes quand la météo et le vol en hélicoptère sont compliqués ", précise notre médecin. Comme dans l'une des anecdotes racontée dans son récit où un alpiniste septuagénaire est secouru en hélicoptère, mais la météo se dégrade... " Il y a la peur physique pour soi et puis il y a la peur de la pathologie pour le patient", ajoute-t-il.Il est important de verbaliser la peur dans l'équipe pointe le médecin secouriste. " Cela nous arrive notamment quand il y a un secours de nuit avec des gens bloqués, que l'hélico ne puisse pas décoller et que les conditions de neiges soient risquées. Alors on se réunit autour d'une table pour voir par où on va passer, si on attend que le soleil se lève ou si on y va directement. Les gens de l'équipe acceptent de plus en plus de s'exprimer sur leurs sentiments, notamment lorsqu'ils ne sont pas en confiance dans le cas de gros risque d'avalanche."La réunion de corps de métier avec des gens qui viennent d'horizons très différents voilà ce qui le fascine. Être réuni avec un pilote, un mécanicien et un secouriste, avec des personnes qui ont des formations différentes et des points de vue divergents, mais qui à un moment donné vont se retrouver pour un objectif commun, celui de sortir un patient le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions possibles. " On met autour de la table des questions de logistiques, chacun va amener sa pierre à l'édifice. C'est ce travail d'équipe qui est fascinant, dans un cadre exceptionnel évidemment."En 2015, Lang Tang, le village où s'est rendu l'urgentiste et plusieurs de ses confrères un an plus tôt est dévasté par un séisme. Un chaos d'avalanches et un éboulement de roches et de blocs de glace a anéanti le village, raconte-t-il dans son livre. L'hôpital dans lequel il travaille à un partenariat avec les futurs secouristes népalais. " Ils se forment d'abord aux techniques alpines avec des guides de chez nous, et ensuite nous nous greffons à cette équipe pour leur enseigner la gestion d'un secours et la médicalisation." "Ce qui m'a frappé dans cette expérience, c'est que leurs secours sont d'une ampleur sans communes mesures par rapport à ce que nous pouvons vivre dans le massif du Mont blanc : tout est loin, très haut, difficile d'accès, et nos protocoles sont difficilement applicables là-bas.J'ai appris beaucoup pour nos caravanes terrestres où il faut faire avec de l'huile de coude et du bon sens pour essayer de récupérer une personne sans la technique de l'hélico. Quand on est privé de nos moyens techniques, on apprend que la montagne est un milieu fascinant qui nous dépasse. Et eux, dans leur façon d'appréhender le secours, ils nous apprennent l'humilité et que tout n'est pas faisable. Que l'hélico ne fait pas tout et que les protocoles médicaux ne font pas tout non plus. A 7.000 m, il est impensable de poser une perfusion dans le froid. Les produits vont geler, et on ne peut pas enlever ses gants pour faire le geste. Donc, à un moment le médecin doit revoir ses ambitions à la baisse."L'image que peuvent donner les documentaires télévisés sur le métier le met mal à l'aise. " On présente parfois le métier comme quelque chose d'héroïque. On voit des gens qui bravent leur peur avec des clichés qui me mettent mal à l'aise. Il y a d'un côté les gentils secouristes et médecins héroïques et de l'autre des alpinistes inconscients, qui ne prennent pas en compte les risques et l'environnement. Ce cliché-là me dérange car je me rends compte que dans mon métier, il y a beaucoup plus de nuance et de finesse que cela. D'un côté, les secouristes et les médecins peuvent avoir peur et se poser des questions, et de l'autre, les alpinistes sont quand même fréquemment bien équipés et au courant des conditions. Ils sont confrontés à ce que notre société a des difficultés à accepter : la fatalité. On ne peut pas tout contrôler et tout gérer et les gens ne sont pas de sombres inconscients et nous de gentils secouristes. Et puis nous sommes, nous médecins secouristes, aussi des alpinistes pratiquants qui peuvent aussi se retrouver de l'autre côté."Chamonix-Langtang, Pierre Pili, Les éditions du Mont-BlancCarole Stavart