Jean-Noël Godin, directeur du Groupement belge des Omnipraticiens (qui s'exprime à titre personnel) évalue notre système sanitaire à l'aune de la crise pandémique historique que nous connaissons. Au menu : vision à court terme, éparpillement des compétences de santé, menace de confédéralisme et salaires trop bas.
Après des années de mondialisation effrénée, après une explosion démesurée des inégalités sociales, notamment salariales au sein d'une même entreprise, malgré la prise de conscience de menaces de plus en plus lourdes pour l'avenir de la planète, force est de constater que l'humain, et donc le progrès de l'humanité, n'est pas toujours la priorité de nos gouvernants.
La crise provoquée par la pandémie du Covid-19 y changera-t-elle quelque chose ?
Enseignement, justice et santé sont particulièrement les mal-aimés de nos politiques, qui, trop souvent, privilégient l'économie et la rigueur budgétaire.
Soignants et enseignants ont les salaires parmi les plus bas eu égard à leur responsabilité sociétale. Terrible paradoxe que de constater que ces travailleurs parmi les plus importants pour le bien-être et le progrès de la société sont parmi les moins bien payés. Et pourtant nous leur confions nos enfants et nos malades.
En santé particulièrement, la priorité a trop souvent été, pour beaucoup de politiques, la réduction des dépenses publiques, considérées comme des dépenses improductives.
Effectivement, par définition, le non-marchand n'a pas vocation à être rentable si on envisage la rentabilité comme un return à court terme, en termes de dividendes pour des actionnaires.
La rentabilité de la santé est d'un autre ordre : investir dans le non-marchand c'est tabler sur un rendement en termes de bien-être, de bonheur et d'épanouissement humain. Comme lorsqu'on investit dans la culture ou l'enseignement. Et, cerise sur le gâteau, investir correctement dans la santé (c'est à dire dans l'éducation à la santé, la promotion de la santé, les déterminants de la santé, les soins de première ligne, etc.), c'est en plus bénéficier à terme (mais pas tout de suite il est vrai) d'un coût global moindre. Et on dispose alors de réserves qui peuvent être réinvesties dans de nouveaux projets sociétaux, de santé et autres.
Le problème c'est que l'éparpillement belge des compétences de santé, amplifié depuis la 6ème réforme de l'Etat, a eu pour effet d'annihiler toute velléité d'instaurer une vraie politique globale de santé en lieu et place de politiques juxtaposées de prévention (Communautés), de gestion des infrastructures (Régions) et de remboursement des soins (Etat fédéral).
Et comme, au sein de chaque entité fédérale et fédérée, chaque Ministre défend son pré carré, les chances d'organiser une politique concertée de santé qui tiendrait compte des déterminants de la santé tels que l'enseignement, le logement, la mobilité ou encore l'environnement sont vouées à l'échec. Réfléchir et élaborer une politique de santé nécessitent des budgets pluriannuels et transversaux (plusieurs compétences et plusieurs niveaux de pouvoir), ce qui est tout simplement inconcevable dans l'organisation actuelle de notre système politique.
Car, en Belgique, on raisonne en budgets annuels, et donc à court terme. On raisonne tout au plus en vue des prochaines élections. Aujourd'hui, on raisonne surtout en fonction des médias, des tweets, auxquels il faut réagir dans l'heure par des positions ou des opinions forcément non réfléchies.
Cet éparpillement des compétences en santé rend les choses beaucoup plus compliquées. Les exemples sont nombreux. Ainsi en médecine générale, le financement des prestations est fédéral, la fixation des sous-quotas permettant de disposer d'un nombre suffisant de généralistes relève des Communautés et l'organisation de la médecine générale (Cercles, Postes médicaux de garde, primes Impulseo...) relève des Régions. Aujourd'hui, quatre Ministres, de partis bien différents, sont donc compétents pour la médecine générale en Belgique francophone. Comment élaborer une politique globale dans ces conditions ?
Et certains politiques au nord voudraient aller plus loin, vers le confédéralisme... Ont-ils déjà lu le préambule de la Constitution suisse, "le" modèle confédéral par excellence ? Il y est notamment question de " vivre ensemble ses diversités dans le respect de l'autre et l'équité ", mais aussi de " la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres "...
Cela nécessite, et la Suisse peut à nouveau être citée en exemple, des partis politiques à nouveaux nationaux, des politiques qui font tous l'effort, et ont le plaisir, de parler nos deux langues nationales principales, des équilibres politiques qui ne laissent personne sur le côté trop longtemps. Ainsi, en Suisse, 4 des 5 principaux partis, présents dans la plupart des cantons, se partagent les 7 sièges du Conseil fédéral et ce, depuis l'instauration de la 'formule magique' en décembre 1957.
En Belgique, les partis politiques sont dispersés, s'adressent à des électorats différents, via notamment des médias qui n'ont plus la même vision du pays. Et beaucoup privilégient la défense du sol et de la langue plutôt que celle des acquis sociaux et la revendication d'un pays plus durable et plus équitable.
A ce triste tableau s'ajoutent la perte de pouvoir des piliers traditionnels (couplée, en santé, à une remise en question des mutuelles), le dénigrement du monde associatif et du monde de la culture (surtout par certains au nord du pays), un syndicalisme ne parvenant pas toujours à s'adapter aux réalités nouvelles, une absence cruelle du moindre projet pour la nation " Belgique " et un regard anormalement tourné de manière quasi permanente quasi-exclusivement vers la France côté francophone, ou vers les Pays-Bas et le monde anglo-saxon pour les néerlandophones.
Il est donc temps et urgent de repenser notre démocratie, aujourd'hui déconnectée de la population. Les pistes de démocratie participative et collaborative sont parmi les plus sérieuses.
Il est surtout urgent de revoir l'organisation des soins de santé entre les différents niveaux de pouvoir, particulièrement en Belgique francophone, où l'éparpillement des compétences est encore plus grand qu'en Flandre.
Le travail ne manque pas et il doit être transversal : ainsi, on ne peut pas isoler la santé des autres enjeux, sociaux (l'emploi est très important dans le secteur), économiques (la politique des médicaments entre autres), sociétaux (l'organisation de la cité) et climatiques.
On ne doit surtout pas oublier les professionnels de la santé qui peuvent faire le lien entre ces enjeux, parce qu'ils abordent leurs patients dans leur globalité : dans leur détresse mais aussi toute leur humanité
C'est le rôle essentiel, mais trop peu mis en valeur en Belgique francophone, des médecins généralistes et des autres soignants de première ligne.
Ces réflexions doivent être menées rapidement. Si la pandémie Covid-19 peut être le détonateur d'une telle réflexion, ce serait déjà transformer notre échec à avoir insuffisamment prévu et préparé cette crise en une belle opportunité de rebondir pour envisager une autre manière de gouverner...
Après des années de mondialisation effrénée, après une explosion démesurée des inégalités sociales, notamment salariales au sein d'une même entreprise, malgré la prise de conscience de menaces de plus en plus lourdes pour l'avenir de la planète, force est de constater que l'humain, et donc le progrès de l'humanité, n'est pas toujours la priorité de nos gouvernants.La crise provoquée par la pandémie du Covid-19 y changera-t-elle quelque chose ?Enseignement, justice et santé sont particulièrement les mal-aimés de nos politiques, qui, trop souvent, privilégient l'économie et la rigueur budgétaire.Soignants et enseignants ont les salaires parmi les plus bas eu égard à leur responsabilité sociétale. Terrible paradoxe que de constater que ces travailleurs parmi les plus importants pour le bien-être et le progrès de la société sont parmi les moins bien payés. Et pourtant nous leur confions nos enfants et nos malades.En santé particulièrement, la priorité a trop souvent été, pour beaucoup de politiques, la réduction des dépenses publiques, considérées comme des dépenses improductives.Effectivement, par définition, le non-marchand n'a pas vocation à être rentable si on envisage la rentabilité comme un return à court terme, en termes de dividendes pour des actionnaires.La rentabilité de la santé est d'un autre ordre : investir dans le non-marchand c'est tabler sur un rendement en termes de bien-être, de bonheur et d'épanouissement humain. Comme lorsqu'on investit dans la culture ou l'enseignement. Et, cerise sur le gâteau, investir correctement dans la santé (c'est à dire dans l'éducation à la santé, la promotion de la santé, les déterminants de la santé, les soins de première ligne, etc.), c'est en plus bénéficier à terme (mais pas tout de suite il est vrai) d'un coût global moindre. Et on dispose alors de réserves qui peuvent être réinvesties dans de nouveaux projets sociétaux, de santé et autres.Le problème c'est que l'éparpillement belge des compétences de santé, amplifié depuis la 6ème réforme de l'Etat, a eu pour effet d'annihiler toute velléité d'instaurer une vraie politique globale de santé en lieu et place de politiques juxtaposées de prévention (Communautés), de gestion des infrastructures (Régions) et de remboursement des soins (Etat fédéral).Et comme, au sein de chaque entité fédérale et fédérée, chaque Ministre défend son pré carré, les chances d'organiser une politique concertée de santé qui tiendrait compte des déterminants de la santé tels que l'enseignement, le logement, la mobilité ou encore l'environnement sont vouées à l'échec. Réfléchir et élaborer une politique de santé nécessitent des budgets pluriannuels et transversaux (plusieurs compétences et plusieurs niveaux de pouvoir), ce qui est tout simplement inconcevable dans l'organisation actuelle de notre système politique.Car, en Belgique, on raisonne en budgets annuels, et donc à court terme. On raisonne tout au plus en vue des prochaines élections. Aujourd'hui, on raisonne surtout en fonction des médias, des tweets, auxquels il faut réagir dans l'heure par des positions ou des opinions forcément non réfléchies.Cet éparpillement des compétences en santé rend les choses beaucoup plus compliquées. Les exemples sont nombreux. Ainsi en médecine générale, le financement des prestations est fédéral, la fixation des sous-quotas permettant de disposer d'un nombre suffisant de généralistes relève des Communautés et l'organisation de la médecine générale (Cercles, Postes médicaux de garde, primes Impulseo...) relève des Régions. Aujourd'hui, quatre Ministres, de partis bien différents, sont donc compétents pour la médecine générale en Belgique francophone. Comment élaborer une politique globale dans ces conditions ?Et certains politiques au nord voudraient aller plus loin, vers le confédéralisme... Ont-ils déjà lu le préambule de la Constitution suisse, "le" modèle confédéral par excellence ? Il y est notamment question de " vivre ensemble ses diversités dans le respect de l'autre et l'équité ", mais aussi de " la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres "...Cela nécessite, et la Suisse peut à nouveau être citée en exemple, des partis politiques à nouveaux nationaux, des politiques qui font tous l'effort, et ont le plaisir, de parler nos deux langues nationales principales, des équilibres politiques qui ne laissent personne sur le côté trop longtemps. Ainsi, en Suisse, 4 des 5 principaux partis, présents dans la plupart des cantons, se partagent les 7 sièges du Conseil fédéral et ce, depuis l'instauration de la 'formule magique' en décembre 1957.En Belgique, les partis politiques sont dispersés, s'adressent à des électorats différents, via notamment des médias qui n'ont plus la même vision du pays. Et beaucoup privilégient la défense du sol et de la langue plutôt que celle des acquis sociaux et la revendication d'un pays plus durable et plus équitable.A ce triste tableau s'ajoutent la perte de pouvoir des piliers traditionnels (couplée, en santé, à une remise en question des mutuelles), le dénigrement du monde associatif et du monde de la culture (surtout par certains au nord du pays), un syndicalisme ne parvenant pas toujours à s'adapter aux réalités nouvelles, une absence cruelle du moindre projet pour la nation " Belgique " et un regard anormalement tourné de manière quasi permanente quasi-exclusivement vers la France côté francophone, ou vers les Pays-Bas et le monde anglo-saxon pour les néerlandophones.Il est donc temps et urgent de repenser notre démocratie, aujourd'hui déconnectée de la population. Les pistes de démocratie participative et collaborative sont parmi les plus sérieuses.Il est surtout urgent de revoir l'organisation des soins de santé entre les différents niveaux de pouvoir, particulièrement en Belgique francophone, où l'éparpillement des compétences est encore plus grand qu'en Flandre.Le travail ne manque pas et il doit être transversal : ainsi, on ne peut pas isoler la santé des autres enjeux, sociaux (l'emploi est très important dans le secteur), économiques (la politique des médicaments entre autres), sociétaux (l'organisation de la cité) et climatiques.On ne doit surtout pas oublier les professionnels de la santé qui peuvent faire le lien entre ces enjeux, parce qu'ils abordent leurs patients dans leur globalité : dans leur détresse mais aussi toute leur humanitéC'est le rôle essentiel, mais trop peu mis en valeur en Belgique francophone, des médecins généralistes et des autres soignants de première ligne.Ces réflexions doivent être menées rapidement. Si la pandémie Covid-19 peut être le détonateur d'une telle réflexion, ce serait déjà transformer notre échec à avoir insuffisamment prévu et préparé cette crise en une belle opportunité de rebondir pour envisager une autre manière de gouverner...