Un colloque Solidaris/Dulbea/Ciriec s'est penché la semaine dernière sur les expériences européennes en matière de décentralisation des soins. Championne de l'efficacité en la matière, la Finlande souffre cependant de problèmes d'accessibilité. L'efficacité ou l'efficience ne sont pas toujours au rendez-vous des expériences de régionalisation. Bien souvent, la décentralisation mène à des logiques de silos.
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La décentralisation répond à divers objectifs, rappelle Benoît Bayenet, professeur de finances publiques au Dulbea-ULB: politiques (plus proches des besoins locaux des citoyens) et économiques (efficience, coût-efficacité) pour ne citer que ceux-là. Plusieurs critères comme les effets de débordement, les effets d'externalité et les économies d'échelle sont pris en compte, de même que la mobilité des citoyens-patients qui selon la théorie peuvent risquer de "voter par les pieds" en choisissant la localité où la fiscalité est la plus basse, ou tenant compte de la réputation d'efficacité de telle ou telle entité fédérée (on pense bien sûr à Bruxelles et sa périphérie). Conséquence aussi: les Régions sont tentées de se faire concurrence en adaptant leur fiscalité. En est-il de même au niveau des soins de santé? Oui, sinon plus de par l'extrême complexité du système de soins de santé. On l'a vécu lors de la lutte contre la pandémie Covid-19: la politique s'est éparpillée entre de nombreux niveaux de pouvoir. Notre système a également pour particularité que les bassins de soins ne correspondent pas toujours avec les frontières administratives, voire linguistiques. En outre, toute décentralisation doit s'accompagner d'un financement décentralisé proportionnel (ce qui est généralement le cas en Belgique, confirme le patron de l'Inami, Benoît Collin, lire infra). "La décentralisation oblige à basculer d'un modèle de financement fédéral à un modèle fiscalisé au niveau local", fait remarquer Bayenet. Paradoxe: dans un pays très fédéral comme la Belgique (et ailleurs l'Allemagne), les velléités de décentralisation sont faibles et l'autonomie de gestion des entités fédérées assez faible également (le financement restant majoritairement dans les mains de l'Inami). Enfin, la décentralisation comporte de nombreux inconvénients: problème d'inéquité des prestations qui renforce les inégalités, concurrence entre les entités fédérées qui stimule l'efficience mais augmente les enchères électorales voire les déficits publics, risque de "déséconomies d'échelle" et risque de lobbying locaux et de blocage des réformes nécessaires. Jean-Pascal Labille, secrétaire-général de Solidaris (organisateur de l'événement), qui clôturait la matinée, pointera surtout le manque de clarté et l'extrême complexité de la décentralisation quel que soit le pays étudié. Citant Héraclite ("Rien n'est permanent sauf le changement"), Labille constate, citant cette fois le constitutionnaliste Marc Uyttendaele, que la Belgique souffre d'un "fédéralisme inachevé". Alors que la 6e réforme de l'État fut adoubée en janvier 2014 par le gouvernement Di Rupo, l'encre de cette réforme est à peine sèche et son implémentation fait face à d'énormes défis, qu'on parle déjà d'une 7e réforme de l'État, demandée par la Flandre et en particulier par la N-VA. La décentralisation à la belge se heurte en effet au mur des réalités (la santé mentale ambulatoire par exemple est défédéralisée mais son financement reste de la compétence fédérale), tout autant qu'à la hiérarchie des normes (les législations régionales étant chez nous à égalité avec la loi fédérale). La faille du système belge repose sur le fait que la régionalisation ne rime pas toujours avec décentralisation. Plusieurs réformes indispensables comme le financement hospitalier doivent se faire au niveau centralisé... La France offre à cet égard un exemple jacobino-colbertiste de décentralisation dont l'efficacité n'est pas évidente à en croire Patrik Jouin, conseiller à l'Agence régionale de la santé du Grand-Est, dont le tableau ci-contre (photo) résume les méandres typiquement français... Le Danemark a largement expérimenté la décentralisation au travers d'une réforme datant d'une quinzaine d'années. Le pays est passé de 271 municipalités sur 13 comtés à 98 étalées sur cinq régions. Celles-ci fonctionnent indépendamment en matière d'offre hospitalière notamment. Les soins hospitaliers sont délivrés localement aux municipalités qui ne paient pas les soins à l'État mais aux hôpitaux eux-mêmes. Ce qui doit les responsabiliser en principe à délivrer les soins adéquats aux patients locaux. Comme elles paient, elles devraient théoriquement ne pas jeter l'argent par les fenêtres. "Mais ont-elles les ressources suffisantes?", demande Lars Münter, directeur au Comité danois pour l'éducation à la santé. "Les moyens sont-ils alloués de manière plus optimale? Ce n'est pas sûr." S'il cite l'excellence des "community health nurses", sortes d'infirmières géographiquement réparties au niveau local qui ont pu notamment entraîner l'adhésion des patients à la vaccination contre le covid par la confiance tissée avec ceux-ci, tout n'est pas rose. Les déboires listés par M. Münter sont nombreux: création de silos loco-régionaux, inaction nationale, sur-confiance dans l'idée que "son" territoire est plus efficace, manque de vision de l'avenir, manque de leadership. "Les entités régionalisées ont tendance à réinventer la roue, ne se parlent plus entre elles..." Par ailleurs, le Danemark n'échappe pas à l'évolution vers des "super-hôpitaux" supra-régionaux. En Belgique, Benoît Collin, administrateur général de l'Inami, rappelle que, lorsqu'on transfère des compétences, on transfère les dotations qui y sont liées. Mais ces dotations ne doivent pas spécialement servir les mêmes compétences que celles transférées. Par exemple, de l'argent pour les maisons de repos peut servir pour... des autoroutes. Il n'y a pas de mécanismes de responsabilité (si l'argent manque, tant pis ; si on dépense moins que prévu, c'est tout bénéfice), et pas davantage de mécanismes de solidarité entre autorités fédérées. "Ce modèle devient aujourd'hui illisible. Assez complexe dans sa lecture (neuf ministres de poids très différent, trois régions et trois communautés), le système fonctionne quand même. Les compétences ne sont pas hiérarchisées, il n'y a pas de préséance: chacun a le même pouvoir, il n'y a pas de leader désigné dans le système, c'est celui qui "prend le pouvoir"."Notre système fonctionne de par l'existence d'un fort pouvoir financeur central (l'Inami). Si les soins sont généralement bons et financièrement accessibles, ce n'est sans doute pas le système le meilleur en termes de coût-efficacité (même si certains doutent de la pertinence de ce concept "économiste").