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Journal du Médecin : Vous mentionnez l'importance d'améliorer la coordination entre les généralistes et les spécialistes pour le bien du patient. Quelles mesures spécifiques proposez-vous pour faciliter cette coordination, et quels obstacles anticipez-vous dans leur mise en oeuvre ?Dr Yannis Bakhouche : Le défi majeur est de redonner du temps aux soignants, notamment aux médecins, pour mieux coordonner et suivre le parcours du patient. Idéalement, le médecin généraliste devrait être en contact régulier avec le spécialiste, mais sur le terrain, ce n'est pas toujours le cas. C'est pourquoi je propose de faire évoluer le rôle du médecin en véritable coordinateur des soins, qui contacte l'ensemble des acteurs autour du patient. Pour cela, il faut allouer plus de temps aux médecins et améliorer le partage des données médicales entre médecins et prestataires de soins. Il est aussi nécessaire d'intégrer des consultations interdisciplinaires dans la pratique courante des médecins. Il ne s'agit pas seulement de contacter le spécialiste en cas d'urgence, mais de maintenir un contact régulier, et cela doit être imposé dans un futur proche.Les obstacles majeurs sont le manque de temps, la charge administrative croissante, et l'habitude des patients de consulter directement un spécialiste sans passer par le généraliste. Il est crucial de redéfinir le parcours de soins en instaurant un système de régulation, comme cela se fait en Suisse ou en France, pour renforcer le rôle central du médecin généraliste et éviter les consultations inappropriées. En fin de compte, il faut développer une vision partagée centrée sur le patient.La transition énergétique des hôpitaux est une de vos priorités. Pourriez-vous détailler les types de technologies ou de pratiques que vous envisagez pour réduire l'empreinte carbone des hôpitaux tout en maintenant ou en améliorant la qualité des soins ?Je suis très favorable à l'adoption du système BIM (Building Information Modeling) pour une nouvelle architecture des hôpitaux qui intègre une réelle transition énergétique et réduit les déchets. La construction d'hôpitaux et de centres médicaux est particulièrement complexe, car ces bâtiments doivent répondre à des exigences critiques et des normes d'hygiène strictes. La transition énergétique est aussi un enjeu de santé publique, car les impacts de la crise climatique sont nombreux : propagation de maladies contagieuses, risque accru de pandémies et pollution de l'air, augmentant les maladies respiratoires. Nous devons envisager la création d'un " fonds vert " pour soutenir les hôpitaux dans leurs initiatives de réduction des déchets et de dépendance aux équipements, ainsi que dans le développement de soins respectueux de l'environnement, la construction durable, la mobilité éco-responsable et la gestion efficace des déchets. Il est également crucial de sensibiliser les professionnels de santé à l'importance de l'environnement durable.Vous mentionnez l'intégration de l'IA dans les soins de santé. Quelles sont, selon vous, les applications de l'IA qui auront le plus grand impact sur l'efficacité des soins, et comment comptez-vous surmonter les défis éthiques et de confidentialité liés à l'usage de l'IA ?L'IA est clairement l'avenir pour optimiser la gestion opérationnelle des soins. Pour cela, elle doit être acceptée par tous les prestataires de soins, et garantir une sécurité sur les données médicales et leur partage. Nous devons rationaliser les systèmes de stockage de données, comme les coffres-forts numériques, pour améliorer la protection contre les cyberattaques. Il est de notre responsabilité politique de mettre en place une charte éthique pour l'utilisation des données et de rendre la formation sur les technologies médicales plus accessible.À mon avis, l'IA devrait être utilisée pour plusieurs raisons :· Réduire les charges administratives des médecins.· Faciliter la prise en charge des patients et la pratique des médecins.· Optimiser le triage des urgences, comme je le développe dans mon livre, en proposant des solutions pour éviter la surcharge des services d'urgence.· Accélérer la détection des maladies et réduire les délais de diagnostic.· Éduquer les patients atteints de maladies chroniques à travers le " gaming ", comme le fait la start-up Neuria, pour éviter les complications de conditions telles que le diabète de type 2 ou les troubles thyroïdiens.Vous proposez de rationaliser les structures hospitalières. Comment envisagez-vous de réorganiser ces structures pour atteindre une meilleure efficacité sans compromettre l'accès aux soins pour les populations éloignées ou vulnérables ?Grâce aux réseaux hospitaliers, il faut aller plus loin dans la réforme de leurs missions et donner la priorité à la rationalisation des services d'urgence. Il n'est plus viable de multiplier les services d'urgence pour garantir la soutenabilité financière du système de soins. Rationaliser ou fusionner ne signifie pas compromettre l'accès aux soins. Il est crucial de référencer les centres existants et de stopper la concurrence entre hôpitaux. Nous devons travailler ensemble pour l'intérêt du patient et de la population générale.Vous avez souligné l'importance de soutenir les startups dans le domaine de la santé. Quelles initiatives spécifiques proposez-vous pour encourager l'innovation et intégrer les solutions développées par ces startups dans le système de santé belge ?Comme je l'explique dans mon livre, notre écosystème n'est pas encore assez mature pour soutenir pleinement nos startups e-santé. Toutefois, des améliorations sont possibles, comme des investissements financiers pour soutenir les startups apportant une valeur ajoutée significative à notre système de santé. Notre système est complexe et les entrepreneurs ne le connaissent pas toujours en profondeur. Il est essentiel de soutenir les incubateurs pour accompagner les entrepreneurs, établir un plan d'innovation et intégrer les solutions de santé au sein de l'INAMI, en remboursant les solutions innovantes qui montrent des résultats significatifs pour le soin des patients. Le dernier budget de 3 millions est une avancée, mais il reste insuffisant pour rembourser les solutions mobiles d'e-santé.L'économiste Philippe Defeyt parle d'un fossé entre le MR et les Engagés. En particulier, la proposition des Engagés ferait grimper les dépenses de santé de 37,8 milliards en 2024 à 44,9 milliards en 2029, soit une augmentation de 18,8 % sur la législature. Le MR propose, en alignant la croissance des dépenses de santé sur les prévisions de hausse du PIB, une augmentation d'environ 1,4 % par an selon le Bureau du Plan, passant de 37,8 à 40,5 milliards (soit une hausse de 7 % sur la législature). Comment comptez-vous vous entendre en Région wallonne et aussi au niveau fédéral, où la N-VA aura probablement des exigences importantes d'économies ?Je pense qu'augmenter la norme de croissance n'est pas envisageable au vu du contexte budgétaire et du déficit public. Cela ne signifie pas que nous devons accepter passivement la situation actuelle. C'est une question de gestion politique de la santé qu'il faudra oser redéfinir. Certes, nous devons tenir compte des indicateurs tels que le vieillissement de la population, les maladies chroniques, et le coût des traitements dans l'élaboration du budget. Cependant, il est tout aussi crucial de comprendre qu'il faut aussi faire des efforts pour maîtriser cette norme, parallèlement à des politiques d'amélioration opérationnelle comme la réduction de la consommation excessive de certains médicaments (antibiotiques, antidépresseurs) et d'examens inutiles en établissant des protocoles cliniques clairs et en orientant précisément le parcours des patients. Nous devons négocier pour réduire les coûts des produits pharmaceutiques et encourager une concurrence accrue dans leur distribution. Il est également nécessaire d'envisager une réforme des administrations (Aviq, SPF, Inami) et de poursuivre les réformes des modes de financement des hôpitaux et des réseaux hospitaliers, ainsi que des procédures de remboursement des médicaments.