Le 21 août prochain sortira "La mort en face" (chez Kennes), troisième opus des récits du légiste liégeois Philippe Boxho, devenu viral ces derniers mois, avec notamment plus de 300.000 exemplaires de ses deux premiers livres écoulés. Des best-sellers bientôt traduits en quatre langues à la demande expresse de Susanna Lea, agent littéraire à... New York. Les capsules vidéo où il apparaît engrangent plusieurs millions de vues chacune, et ses fans - 396K de (jeunes) followers sur son compte TikTok - arborent t-shirts et tote bag à son effigie... Comment le président du Conseil d'administration du CHU de Liège, également membre de l'Académie royale de médecine et docteur en crimino, vit-il un tel engouement? Et comment se porte la médecine légale, dont il se fait le chantre?
Le journal du Médecin: Comment expliquer la "Boxhomania" de ces derniers mois?
Pr Philippe Boxho: ça a décollé avec la deuxième interview chez Guillaume Pley (chaîne Legend, sur YouTube) en janvier dernier: à partir de février, on voit clairement dans les statistiques que les livres se vendent de façon exceptionnelle - on ne s'y attendait pas du tout! Et le dernier enregistrement que nous avons fait avec Guillaume affiche 5,1 millions de vues.
L'année dernière était pourtant déjà pas mal, vous avez d'ailleurs été élu "Liégeois de l'année 2023" dans la catégorie "citoyenneté"...
Mais elle était discrète, finalement, par rapport à ce que c'est devenu! Aujourd'hui, je ne sais plus me promener sans être abordé, ni en Wallonie ni en France. Et ça se passe très bien, les gens sont super sympas, ils veulent me dire bonjour, dire qu'ils aiment bien mes livres. Des jeunes, beaucoup. J'étais à Paris, l'autre jour, arrive un car d'étudiants de Poitiers, des gamins de 17-18 ans qui me reconnaissent. C'était la folie! Et leur professeur me dit: "Mais vous êtes qui?"
Jusqu'où vous porte ce succès et comment gérez-vous le quotidien?
Jusqu'en France, beaucoup, et on m'a demandé de venir à Lausanne. Les livres vont être traduits en italien, espagnol, néerlandais et anglais. Mon éditeur gère tout. Faire la promotion des livres est dans mon contrat, donc je bloque une semaine par mois, notamment pour aller à l'étranger, et le reste du temps, je travaille normalement et je ne veux pas être dérangé. C'est une question d'organisation d'agenda: j'ai deux secrétaires qui s'en occupent avec moi, et ainsi j'arrive à garder la même pratique qu'avant. Les expertises, le dossier de fusion CHR/CHU de Liège, mes étudiants... Je n'ai rien lâché du tout.
Des t-shirts à son effigie à la demande du public
Le "phénomène Boxho" se décline même en t-shirts et sacs avec votre silhouette désormais...
Lors d'une conférence, fin mars, qui avait super bien marché, nous portions des t-shirts pour qu'on nous reconnaisse, et c'est parti de là: il y a eu plein de demandes pour pouvoir en acheter... Ça ne dépend pas non plus de moi, c'est l'éditeur et c'est un projet éphémère. C'est du commerce, je ne veux pas être mêlé à cela.
" J'écris des livres et je donne des conférences, je ne veux pas être mêlé au commerce "
Un succès tel que votre identité de médecin a été usurpée?
Oui, on a déposé plainte et la personne a été identifiée: c'est un Liégeois, qui a fait une fausse page "Le Soir" en me mettant en couverture et en vendant des médicaments à mon nom. Mais de nouveau, je ne m'occupe pas de ça, c'est mon éditeur qui gère. Tout ce qui a trait au commerce, ce n'est pas mon truc. Moi, j'écris des bouquins et je donne des conférences.
Votre troisième livre sortira le 21 août, aucun risque de lasser le public avec la mort pour sujet?
Le public se lasse de tout, toujours. J'imagine que ça va lasser à un moment. En tout cas, moi, ça va me lasser. Je n'ai pas quantité d'histoires à raconter, j'ai réussi à en faire trois livres, ce n'est déjà pas mal! Et sans devoir aller chercher ailleurs que dans ma mémoire. Une fois que je me souviens d'un cas, je vais rechercher les photos dans les caves pour être sûr de ne pas raconter de bêtises en matière d'autopsie médico-légale. Après, l'histoire autour est romancée pour ne pas qu'on reconnaisse le cas. Mais à un moment donné, je n'aurai plus d'idée. Ça ne m'ennuie pas encore, mais ça va venir.
Les deux premiers livres, écoulés à ce jour à plus de 300.000 exemplaires.
" Je ne suis pas un écrivain "
Comment faites-vous pour brouiller les pistes entre cadavres pour rendre les affaires non reconnaissables du public?
Je raconte une histoire, j'en prends une que je colle dans une autre, je ne mets jamais dans le même contexte pour ne pas que ce soit identifiable. Mais tout l'aspect médico-légal, lui, est totalement juste. Je tiens une fiche avec tout ce que je raconte pour chaque livre, et ce sont toujours des histoires qui ont plus de 20 ans - sauf une, plus récente, mais que le public ne connaît pas et ne peut donc pas reconnaître. Et je ne parlerai jamais des grandes affaires liégeoises car ce serait du voyeurisme.
Justement, où place-t-on la limite?
Je n'en ai pas. Mais je ne veux pas raconter des histoires que tout le monde connaît. Les attentats djihadistes, l'explosion de la rue Léopold à Liège... Jamais je ne raconterai ça. Ça n'a pas d'intérêt pour la société, ce n'est pas le travail médico-légal de base. Ce que j'essaie de montrer, c'est ce à quoi nous servons, à travers des missions de base, dans la médecine légale de tous les jours.
" J'essaie de montrer à quoi nous servons dans la médecine légale de tous les jours "
Vous mettez beaucoup d'humour aussi dans vos livres...
Je sais que j'ai du succès quand je raconte des histoires. Je ne savais pas que j'en aurais en écrivant. J'ai essayé d'écrire et de me trouver un style... que je n'ai jamais trouvé! Je ne suis pas un écrivain. Donc, j'ai laissé tomber et je suis parti sur un style où je raconte, comme je le fais en public. Un style "plus parlé", qui colle bien à ce que je fais dans mes conférences. Ce n'est pas très compliqué, mais quand il y a un élément médico-légal un peu compliqué, j'explique.
Que lisez-vous vous-même ?
Toujours des bouquins sur l'histoire et des sujets qui m'intéressent, très peu de romans.
Un autre de vos dadas, c'est la criminalistique, vous vous passionnez pour des faits historiques étonnants, comme le linceul de Turin, la châsse de l'évêque saint Lambert...
C'est un très beau sujet, le linceul : c'est une scène de crime en soi, quelqu'un est mort et a été couché dedans. J'ai découvert le sujet par hasard, cette pièce de tissu m'intriguait et j'ai commencé à lire et à réfléchir. En 2002, lors d'un congrès de médecine légale, j'ai rencontré Pierluigi Baima Bollone, professeur de médecine légale à Turin, qui a eu accès au linceul plusieurs fois, et nous avons sympathisé. L'ouverture de la châsse de saint Lambert, c'était à la demande de l'évêque de Liège et, comme j'aime l'histoire, ça m'intéressait... Un livre est prévu à ce sujet, je dois rédiger un chapitre. Mais plein d'autres sujets du genre m'interpellent, comme le voile de Manoppello, la tunique d'Argenteuil, le suaire d'Oviedo, ou encore cette dame qui, lorsqu'on lui dépose une hostie en bouche, la transforme en myocarde humain...
Sur les réseaux circule une photo de vous où un fan dit : " Vous pouvez mettre 100 vidéos de 2h chacune de cet homme, je vais toutes les regarder ". On aime votre sens de la formule, sans langue de bois, mais il y a avant tout de la pédagogie dans vos livres...
Le but est d'expliquer pourquoi on meurt. Expliquer comment fonctionnent les centres criminels, comment on agit sur le terrain, les principes sur lesquels une scène de crime est basée, comment on peut la perturber... Il a fallu plus de 100 ans pour concevoir la scène de crime telle qu'aujourd'hui. Donc oui, c'est d'abord didactique.
Ces scènes, vous les décrivez avec un regard extrêmement humain, mais aussi décalé et surréaliste, à la " Strip-Tease "...
Un journaliste, venu me voir, avait l'air de douter de certaines histoire que je raconte. Je crois que c'est Agatha Christie qui disait : " Quand tu fais de la fiction, tu es obligé d'essayer de coller à la réalité. Quand tu fais du non fictionnel et que tu observes ce qui s'est réellement passé, tu décolles de la réalité objective. " La fiction ne va pas aussi loin que la non-fiction, c'est incroyable.
Après autant de milliers de cadavres autopsiés, de drames horribles, d'expertises judiciaires dont, notamment, les charniers au Kosovo, on ne flirte pas avec le stress post-traumatique ?
Non, je fais bien la différence entre mon travail et la vie. Au Kosovo, on avait exposé les vêtements pour que la population puisse reconnaître, éventuellement, ses proches, dans les tombes. Ce qui est problématique, ce n'est pas la vision des morts : ils sont morts. Le chagrin des vivants est plus dur. Mais c'était important d'être là pour contribuer à faire en sorte que les auteurs de crimes contre l'humanité soient punis.
Y a-t-il un côté libérateur à sortir de la salle d'autopsie et se retrouver parmi les vivants, sur des plateaux TV " plus légers " ?
J'ai toujours été parmi les vivants : avec mes cours à l'unif, mes conférences... J'ai toujours vécu - et continue à vivre - tout à fait normalement. C'est marrant cette idée qu'il faudrait qu'on 'sorte' de ce milieu médico-légal. Mais non, on est très bien dedans, ce milieu n'est pas perturbant. Et les plateaux télé, j'y allais déjà avant, notamment aux JT, parce que je suis un bon client. Je suis à l'aise aussi en radio, j'en faisais avant les bouquins, comme chroniqueur chez Patrick Weber (" C'est pas fini ", sur Vivacité, NdlR). J'ai fait un " 28 minutes " pour Arte avec Elisabeth Quin, c'était très amusant, chez Hondelatte aussi, et Hanouna aussi, ça ne me stresse pas.
Les confrères médecins ? Silence radio
Ce passage dans l'émission polémique #TPMP, comment a-t-il été perçu ? Pas de critiques, de confrères, qui trouveraient que " Boxho, il en fait trop " ?
Je reçois pas mal d'encouragements de policiers et de juges. Du côté des confrères, c'est silence radio total. Je sais qu'un autre veut faire la même chose. Deux médecins ont écrit des livres du même genre en Flandre. En France, Sapanet et Charlier ont écrit beaucoup de livres, et en Suisse, Silke Grabherr, professeure à Lausanne, écrit aussi. Donc je ne suis pas le premier. Mais le premier pour qui ça marche à ce point-là, oui, incontestablement. Avant de publier, j'avais demandé leur avis à des spécialistes en droit pénal, civil, droits d'auteur, ainsi qu'en déontologie à l'Ordre. Tous m'ont donné un blanc-seing.
" Le secret médical et le secret professionnel sont totalement respectés dans mes livres "
Vous dirigez l'Institut médico-légal de Liège, voyez-vous une crise des vocations ?
Il y a un manque d'intérêt de la part des jeunes qui se rendent compte qu'en médecine légale, on ne fait que des gardes. Or la garde n'est pas à la mode. Et c'est un métier qu'on ne peut pas faire seul : il faut avoir une deuxième spécialité, nous sommes d'ailleurs la seule spécialité où on peut en avoir deux parce que la médecine légale n'est pas rentable. C'est très amusant de faire la médecine légale quand on est jeune, pas marié et sans enfant. Mais quand la vie se développe, ça devient compliqué, et c'est là que les légistes arrêtent. Ils partent travailler en mutuelles, à l'Inami, en psychiatrie ou en anatomopathologie, avec des horaires 8-17 h. Mais c'est pareil dans d'autres spécialités médicales. Et c'est difficile de régler cela car c'est un problème de mentalité.
Parce que les auditoires de médecine sont féminins ?
C'était sans doute vrai au début, mais plus aujourd'hui. Toutes les couches de la société sont touchées, tous veulent une vie de famille, et je les comprends. C'est une autre façon d'envisager la vie. Et on le voit dans tous les domaines. C'est l'air du temps, il faut s'y faire, mais ça ne convient à aucune pratique médicale. J'ai augmenté les salaires ici car c'était nécessaire, mais ça ne change rien.
Le mystère du ministère
La reconnaissance de l'IML à Saint-Luc, c'est une bonne chose ?
Pour Bruxelles, oui, avec l'IML de la KUL reconnu pour la périphérie de Bruxelles. Le ministre a été poussé par l'Europe qui voulait que la Belgique change car nous ne faisons que 1 à 2 % d'autopsies, alors que les autres pays européens sont à 10-12 %. Donc, nous avons un problème. Donc, il a fallu créer ce truc... que nous proposions depuis 15 ans ! Deux IML au nord du pays - les Flamands en voulaient trois -, deux au sud et un au centre. Le ministre a reconnu deux instituts à titre pilote (UCL et KUL pour Bruxelles et une partie du Brabant) pour voir si ça marche. Évidemment que ça va marcher ! Au sud, personne n'a encore été reconnu. Je pensais qu'on reconnaîtrait d'abord un IML au nord et un au sud, mais pas du tout. Il faudra voir qui, de Gand ou d'Anvers, sera reconnu côté flamand après la KUL... En Wallonie, nous ne sommes que deux, Liège et l'ULB à Charleroi, donc nous serons reconnus. Mais on ne sait pas quand. C'est le mystère du ministère.
Et cela permettra d'augmenter le taux d'autopsies ?
Pour arriver aux 10 %, il faut que les ILM soient dotés (le projet évoque 500.000 euros chacun par an). Il faudrait, en plus, que les procureurs du Roi décident de nous faire voir les corps. Or, pour l'instant, auprès des procureurs généraux, il n'y a aucun projet pour nous faire voir plus de cadavres. Il faut une autre politique criminelle. Pour le moment, les procureurs ont un droit d'opportunité pour envoyer - ou non - le légiste. Alors, qui envoie-t-on sur les lieux pour l'instant ? La police et un généraliste pour constater le décès. Or aucun des deux n'est compétent pour examiner un cadavre. Le policier dit : " Il n'y a pas d'effraction, on n'a pas fouillé la maison. " Fini. Le généraliste ne déshabille pas le corps et ne va pas l'examiner : " Je ne vois rien de suspect... " Je n'en veux à aucun des deux. Le généraliste à autre chose à faire, et qu'on ne me demande pas d'aller soigner des gens, ce n'est pas mon métier. Comme ce n'est pas celui du généraliste d'examiner un mort. Donc, on demande à deux personnes dont ce n'est pas le métier s'il y a quelque chose de suspect. Et c'est sur cet avis que le procureur du Roi se prononce. C'est le pays du surréalisme, la Belgique ! On demande d'un côté de réduire les frais de justice, puis le ministre dit : " On n'autopsie pas assez. " Mais qu'on donne les moyens de le faire ! Et que l'on dise aux procureurs d'envoyer le légiste pour toutes les morts suspectes ou violentes. Et c'est un serpent qui se mord la queue : moins on appelle le légiste, moins il y en a, et ils sont surchargés puisque moins nombreux. Il faut briser ce cercle vicieux. Mais les politiques ne sont là que pour quatre ans et les prisons sont pleines... On permet donc à des meurtriers d'exister, en toute impunité. Nous sommes dans un État de droit, la moindre des choses est de l'assurer.
Que rêvez-vous encore de faire ?
Je ne rêve de rien. Les choses, dans ma vie, arrivent à des moments bien en général, alors que je ne les ai ni espérées ni souhaitées, ni même envisagées. Je n'avais jamais pensé devenir président du CA du CHU de Liège, ni à écrire un livre.
Si vous pouviez choisir votre propre mort...
Je veux être conscient. Savoir qu'on est en train de mourir, c'est une expérience. Voir jusqu'au bout. Après le bout, il n'y aura peut-être rien. Ou il y aura quelque chose. Et là, je serai conscient d'être passé à travers quelque chose. Et c'est cela qui m'intéresse. On dit " la mort, ce n'est pas la vie ". Mais si : la mort est la dernière étape de la vie, justement, elle en fait partie intégrante, il ne faut pas la dissocier. Et c'est peut-être aussi pour ça que mes livres ont du succès: parce qu'avec moi la mort n'est pas cachée, elle est révélée.
Le journal du Médecin: Comment expliquer la "Boxhomania" de ces derniers mois? Pr Philippe Boxho: ça a décollé avec la deuxième interview chez Guillaume Pley (chaîne Legend, sur YouTube) en janvier dernier: à partir de février, on voit clairement dans les statistiques que les livres se vendent de façon exceptionnelle - on ne s'y attendait pas du tout! Et le dernier enregistrement que nous avons fait avec Guillaume affiche 5,1 millions de vues. L'année dernière était pourtant déjà pas mal, vous avez d'ailleurs été élu "Liégeois de l'année 2023" dans la catégorie "citoyenneté"... Mais elle était discrète, finalement, par rapport à ce que c'est devenu! Aujourd'hui, je ne sais plus me promener sans être abordé, ni en Wallonie ni en France. Et ça se passe très bien, les gens sont super sympas, ils veulent me dire bonjour, dire qu'ils aiment bien mes livres. Des jeunes, beaucoup. J'étais à Paris, l'autre jour, arrive un car d'étudiants de Poitiers, des gamins de 17-18 ans qui me reconnaissent. C'était la folie! Et leur professeur me dit: "Mais vous êtes qui?" Jusqu'où vous porte ce succès et comment gérez-vous le quotidien? Jusqu'en France, beaucoup, et on m'a demandé de venir à Lausanne. Les livres vont être traduits en italien, espagnol, néerlandais et anglais. Mon éditeur gère tout. Faire la promotion des livres est dans mon contrat, donc je bloque une semaine par mois, notamment pour aller à l'étranger, et le reste du temps, je travaille normalement et je ne veux pas être dérangé. C'est une question d'organisation d'agenda: j'ai deux secrétaires qui s'en occupent avec moi, et ainsi j'arrive à garder la même pratique qu'avant. Les expertises, le dossier de fusion CHR/CHU de Liège, mes étudiants... Je n'ai rien lâché du tout. Le "phénomène Boxho" se décline même en t-shirts et sacs avec votre silhouette désormais... Lors d'une conférence, fin mars, qui avait super bien marché, nous portions des t-shirts pour qu'on nous reconnaisse, et c'est parti de là: il y a eu plein de demandes pour pouvoir en acheter... Ça ne dépend pas non plus de moi, c'est l'éditeur et c'est un projet éphémère. C'est du commerce, je ne veux pas être mêlé à cela. Un succès tel que votre identité de médecin a été usurpée? Oui, on a déposé plainte et la personne a été identifiée: c'est un Liégeois, qui a fait une fausse page "Le Soir" en me mettant en couverture et en vendant des médicaments à mon nom. Mais de nouveau, je ne m'occupe pas de ça, c'est mon éditeur qui gère. Tout ce qui a trait au commerce, ce n'est pas mon truc. Moi, j'écris des bouquins et je donne des conférences. Votre troisième livre sortira le 21 août, aucun risque de lasser le public avec la mort pour sujet? Le public se lasse de tout, toujours. J'imagine que ça va lasser à un moment. En tout cas, moi, ça va me lasser. Je n'ai pas quantité d'histoires à raconter, j'ai réussi à en faire trois livres, ce n'est déjà pas mal! Et sans devoir aller chercher ailleurs que dans ma mémoire. Une fois que je me souviens d'un cas, je vais rechercher les photos dans les caves pour être sûr de ne pas raconter de bêtises en matière d'autopsie médico-légale. Après, l'histoire autour est romancée pour ne pas qu'on reconnaisse le cas. Mais à un moment donné, je n'aurai plus d'idée. Ça ne m'ennuie pas encore, mais ça va venir. Comment faites-vous pour brouiller les pistes entre cadavres pour rendre les affaires non reconnaissables du public? Je raconte une histoire, j'en prends une que je colle dans une autre, je ne mets jamais dans le même contexte pour ne pas que ce soit identifiable. Mais tout l'aspect médico-légal, lui, est totalement juste. Je tiens une fiche avec tout ce que je raconte pour chaque livre, et ce sont toujours des histoires qui ont plus de 20 ans - sauf une, plus récente, mais que le public ne connaît pas et ne peut donc pas reconnaître. Et je ne parlerai jamais des grandes affaires liégeoises car ce serait du voyeurisme. Justement, où place-t-on la limite? Je n'en ai pas. Mais je ne veux pas raconter des histoires que tout le monde connaît. Les attentats djihadistes, l'explosion de la rue Léopold à Liège... Jamais je ne raconterai ça. Ça n'a pas d'intérêt pour la société, ce n'est pas le travail médico-légal de base. Ce que j'essaie de montrer, c'est ce à quoi nous servons, à travers des missions de base, dans la médecine légale de tous les jours. Vous mettez beaucoup d'humour aussi dans vos livres... Je sais que j'ai du succès quand je raconte des histoires. Je ne savais pas que j'en aurais en écrivant. J'ai essayé d'écrire et de me trouver un style... que je n'ai jamais trouvé! Je ne suis pas un écrivain. Donc, j'ai laissé tomber et je suis parti sur un style où je raconte, comme je le fais en public. Un style "plus parlé", qui colle bien à ce que je fais dans mes conférences. Ce n'est pas très compliqué, mais quand il y a un élément médico-légal un peu compliqué, j'explique. Que lisez-vous vous-même ?Toujours des bouquins sur l'histoire et des sujets qui m'intéressent, très peu de romans.Un autre de vos dadas, c'est la criminalistique, vous vous passionnez pour des faits historiques étonnants, comme le linceul de Turin, la châsse de l'évêque saint Lambert...C'est un très beau sujet, le linceul : c'est une scène de crime en soi, quelqu'un est mort et a été couché dedans. J'ai découvert le sujet par hasard, cette pièce de tissu m'intriguait et j'ai commencé à lire et à réfléchir. En 2002, lors d'un congrès de médecine légale, j'ai rencontré Pierluigi Baima Bollone, professeur de médecine légale à Turin, qui a eu accès au linceul plusieurs fois, et nous avons sympathisé. L'ouverture de la châsse de saint Lambert, c'était à la demande de l'évêque de Liège et, comme j'aime l'histoire, ça m'intéressait... Un livre est prévu à ce sujet, je dois rédiger un chapitre. Mais plein d'autres sujets du genre m'interpellent, comme le voile de Manoppello, la tunique d'Argenteuil, le suaire d'Oviedo, ou encore cette dame qui, lorsqu'on lui dépose une hostie en bouche, la transforme en myocarde humain...Sur les réseaux circule une photo de vous où un fan dit : " Vous pouvez mettre 100 vidéos de 2h chacune de cet homme, je vais toutes les regarder ". On aime votre sens de la formule, sans langue de bois, mais il y a avant tout de la pédagogie dans vos livres...Le but est d'expliquer pourquoi on meurt. Expliquer comment fonctionnent les centres criminels, comment on agit sur le terrain, les principes sur lesquels une scène de crime est basée, comment on peut la perturber... Il a fallu plus de 100 ans pour concevoir la scène de crime telle qu'aujourd'hui. Donc oui, c'est d'abord didactique.Ces scènes, vous les décrivez avec un regard extrêmement humain, mais aussi décalé et surréaliste, à la " Strip-Tease "...Un journaliste, venu me voir, avait l'air de douter de certaines histoire que je raconte. Je crois que c'est Agatha Christie qui disait : " Quand tu fais de la fiction, tu es obligé d'essayer de coller à la réalité. Quand tu fais du non fictionnel et que tu observes ce qui s'est réellement passé, tu décolles de la réalité objective. " La fiction ne va pas aussi loin que la non-fiction, c'est incroyable.Après autant de milliers de cadavres autopsiés, de drames horribles, d'expertises judiciaires dont, notamment, les charniers au Kosovo, on ne flirte pas avec le stress post-traumatique ?Non, je fais bien la différence entre mon travail et la vie. Au Kosovo, on avait exposé les vêtements pour que la population puisse reconnaître, éventuellement, ses proches, dans les tombes. Ce qui est problématique, ce n'est pas la vision des morts : ils sont morts. Le chagrin des vivants est plus dur. Mais c'était important d'être là pour contribuer à faire en sorte que les auteurs de crimes contre l'humanité soient punis.Y a-t-il un côté libérateur à sortir de la salle d'autopsie et se retrouver parmi les vivants, sur des plateaux TV " plus légers " ?J'ai toujours été parmi les vivants : avec mes cours à l'unif, mes conférences... J'ai toujours vécu - et continue à vivre - tout à fait normalement. C'est marrant cette idée qu'il faudrait qu'on 'sorte' de ce milieu médico-légal. Mais non, on est très bien dedans, ce milieu n'est pas perturbant. Et les plateaux télé, j'y allais déjà avant, notamment aux JT, parce que je suis un bon client. Je suis à l'aise aussi en radio, j'en faisais avant les bouquins, comme chroniqueur chez Patrick Weber (" C'est pas fini ", sur Vivacité, NdlR). J'ai fait un " 28 minutes " pour Arte avec Elisabeth Quin, c'était très amusant, chez Hondelatte aussi, et Hanouna aussi, ça ne me stresse pas.Ce passage dans l'émission polémique #TPMP, comment a-t-il été perçu ? Pas de critiques, de confrères, qui trouveraient que " Boxho, il en fait trop " ?Je reçois pas mal d'encouragements de policiers et de juges. Du côté des confrères, c'est silence radio total. Je sais qu'un autre veut faire la même chose. Deux médecins ont écrit des livres du même genre en Flandre. En France, Sapanet et Charlier ont écrit beaucoup de livres, et en Suisse, Silke Grabherr, professeure à Lausanne, écrit aussi. Donc je ne suis pas le premier. Mais le premier pour qui ça marche à ce point-là, oui, incontestablement. Avant de publier, j'avais demandé leur avis à des spécialistes en droit pénal, civil, droits d'auteur, ainsi qu'en déontologie à l'Ordre. Tous m'ont donné un blanc-seing.Vous dirigez l'Institut médico-légal de Liège, voyez-vous une crise des vocations ?Il y a un manque d'intérêt de la part des jeunes qui se rendent compte qu'en médecine légale, on ne fait que des gardes. Or la garde n'est pas à la mode. Et c'est un métier qu'on ne peut pas faire seul : il faut avoir une deuxième spécialité, nous sommes d'ailleurs la seule spécialité où on peut en avoir deux parce que la médecine légale n'est pas rentable. C'est très amusant de faire la médecine légale quand on est jeune, pas marié et sans enfant. Mais quand la vie se développe, ça devient compliqué, et c'est là que les légistes arrêtent. Ils partent travailler en mutuelles, à l'Inami, en psychiatrie ou en anatomopathologie, avec des horaires 8-17 h. Mais c'est pareil dans d'autres spécialités médicales. Et c'est difficile de régler cela car c'est un problème de mentalité.Parce que les auditoires de médecine sont féminins ?C'était sans doute vrai au début, mais plus aujourd'hui. Toutes les couches de la société sont touchées, tous veulent une vie de famille, et je les comprends. C'est une autre façon d'envisager la vie. Et on le voit dans tous les domaines. C'est l'air du temps, il faut s'y faire, mais ça ne convient à aucune pratique médicale. J'ai augmenté les salaires ici car c'était nécessaire, mais ça ne change rien. La reconnaissance de l'IML à Saint-Luc, c'est une bonne chose ?Pour Bruxelles, oui, avec l'IML de la KUL reconnu pour la périphérie de Bruxelles. Le ministre a été poussé par l'Europe qui voulait que la Belgique change car nous ne faisons que 1 à 2 % d'autopsies, alors que les autres pays européens sont à 10-12 %. Donc, nous avons un problème. Donc, il a fallu créer ce truc... que nous proposions depuis 15 ans ! Deux IML au nord du pays - les Flamands en voulaient trois -, deux au sud et un au centre. Le ministre a reconnu deux instituts à titre pilote (UCL et KUL pour Bruxelles et une partie du Brabant) pour voir si ça marche. Évidemment que ça va marcher ! Au sud, personne n'a encore été reconnu. Je pensais qu'on reconnaîtrait d'abord un IML au nord et un au sud, mais pas du tout. Il faudra voir qui, de Gand ou d'Anvers, sera reconnu côté flamand après la KUL... En Wallonie, nous ne sommes que deux, Liège et l'ULB à Charleroi, donc nous serons reconnus. Mais on ne sait pas quand. C'est le mystère du ministère.Et cela permettra d'augmenter le taux d'autopsies ?Pour arriver aux 10 %, il faut que les ILM soient dotés (le projet évoque 500.000 euros chacun par an). Il faudrait, en plus, que les procureurs du Roi décident de nous faire voir les corps. Or, pour l'instant, auprès des procureurs généraux, il n'y a aucun projet pour nous faire voir plus de cadavres. Il faut une autre politique criminelle. Pour le moment, les procureurs ont un droit d'opportunité pour envoyer - ou non - le légiste. Alors, qui envoie-t-on sur les lieux pour l'instant ? La police et un généraliste pour constater le décès. Or aucun des deux n'est compétent pour examiner un cadavre. Le policier dit : " Il n'y a pas d'effraction, on n'a pas fouillé la maison. " Fini. Le généraliste ne déshabille pas le corps et ne va pas l'examiner : " Je ne vois rien de suspect... " Je n'en veux à aucun des deux. Le généraliste à autre chose à faire, et qu'on ne me demande pas d'aller soigner des gens, ce n'est pas mon métier. Comme ce n'est pas celui du généraliste d'examiner un mort. Donc, on demande à deux personnes dont ce n'est pas le métier s'il y a quelque chose de suspect. Et c'est sur cet avis que le procureur du Roi se prononce. C'est le pays du surréalisme, la Belgique ! On demande d'un côté de réduire les frais de justice, puis le ministre dit : " On n'autopsie pas assez. " Mais qu'on donne les moyens de le faire ! Et que l'on dise aux procureurs d'envoyer le légiste pour toutes les morts suspectes ou violentes. Et c'est un serpent qui se mord la queue : moins on appelle le légiste, moins il y en a, et ils sont surchargés puisque moins nombreux. Il faut briser ce cercle vicieux. Mais les politiques ne sont là que pour quatre ans et les prisons sont pleines... On permet donc à des meurtriers d'exister, en toute impunité. Nous sommes dans un État de droit, la moindre des choses est de l'assurer.Que rêvez-vous encore de faire ?Je ne rêve de rien. Les choses, dans ma vie, arrivent à des moments bien en général, alors que je ne les ai ni espérées ni souhaitées, ni même envisagées. Je n'avais jamais pensé devenir président du CA du CHU de Liège, ni à écrire un livre.Si vous pouviez choisir votre propre mort...Je veux être conscient. Savoir qu'on est en train de mourir, c'est une expérience. Voir jusqu'au bout. Après le bout, il n'y aura peut-être rien. Ou il y aura quelque chose. Et là, je serai conscient d'être passé à travers quelque chose. Et c'est cela qui m'intéresse. On dit " la mort, ce n'est pas la vie ". Mais si : la mort est la dernière étape de la vie, justement, elle en fait partie intégrante, il ne faut pas la dissocier. Et c'est peut-être aussi pour ça que mes livres ont du succès: parce qu'avec moi la mort n'est pas cachée, elle est révélée.