Une fois son doctorat en poche, la virologue Susan Nasif a vite retrouvé ses crayons pour réaliser un rêve d'enfant : dessiner une BD. Le lien avec la virologie n'est pas très loin...
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Quelle ne fut pas notre surprise en voyant Marc Van Ranst, Johan Neyts et Ghislain Opdenakker débarquer sur Twitter en version dessinée. La virologue Susan Nasif en a fait les superhéros de sa première BD, défenseurs des vaccins contre les attaques des vilains virus. " Les virologues sont des superhéros au même titre que Batman, Wonderwoman et consorts. Ils effectuent un travail extraordinaire et sont rarement sous le feu des projecteurs. "le journal du Médecin: Vous avez pourtant choisi de quitter le monde de la virologie.Dr Nasif: Oui, mais cela constituait pour moi la suite logique d'une passion de toujours pour le dessin. A huit ans, j'ai réalisé ma première mini-BD, inspirée de l'univers de Jules Verne. Je me suis inscrite à deux reprises à un concours. A chaque fois, j'ai remporté un prix. Cela m'a confortée dans l'idée que j'avais du potentiel.Adolescente, je me suis ensuite passionnée pour la science même si, à l'époque déjà, je trouvais que la matière aurait été tellement plus divertissante en BD, et plus compréhensible aussi. A l'issue de mes études secondaires, j'ai voulu suivre une formation artistique, mais mes parents s'y sont opposés, arguant qu'un métier créatif n'avait pas d'avenir. Ils préféraient me voir passer un doctorat.Mais vous avez continué à dessiner.Oui, jusqu'à ce que la pression devienne trop importante. Toutefois, je gardais toujours cette idée que la science, et en particulier la virologie, pouvait être plus limpide sous forme de BD. Je comprends tout à fait les jeunes qui ont du mal à faire la différences entre les virus et entre leurs propriétés.Mon doctorat en poche, j'ai directement fait mes valises pour me rendre à Matera, en Italie, LA ville des artistes. Je n'avais pas vraiment de plan d'attaque, mais cela me paraissait être l'endroit idéal pour débuter une carrière de dessinatrice. De plus, la première histoire que j'avais en tête portait sur les vaccins, et le mouvement anti-vaccins était justement au coeur des débats en Italie.Comment se sont passés vos débuts de dessinatrice?Les premiers 18 mois ont été compliqués. J'ai contacté des librairies, des départements de santé, des associations médicales en Italie, en Belgique, mais sans succès. Mon nom n'était pas connu et la langue de la BD, en l'occurence l'anglais, s'est révélée être un obstacle. Pas question de baisser les bras pour autant, car je restais convaincue du potentiel de mon travail. Il y a encore beaucoup de malentendus autour des vaccins. Beaucoup pensent qu'ils sont dangereux. Je voulais justement montrer aux jeunes et à leurs parents que la vaccination est essentielle à la lutte contre les virus. J'ai donc persévéré. J'ai pris mon courage à deux mains et je me suis rendue dans les écoles, les universités et les hôpitaux d'Europe. J'ai même contacté l'Unicef... Là encore, sans succès. Je voyais en outre mon budget se réduire comme peau de chagrin.Il est vrai que l'Europe n'a pas une grande tradition de la BD éducative. Les bandes dessinées sont toujours considérées comme de la culture jetable. C'est pourquoi je me suis tournée vers les Etats-Unis, où elles sont utilisées pour enseigner la science. La combinaison virologue/dessinateur n'est cependant pas courante là-bas, pas plus que l'assurance d'une information scientifiquement correcte. C'est ce qui fait ma force. J'ai remporté le Science Hero Award. C'est alors que les centres médicaux, les hôpitaux pédiatriques, les écoles et les universités se sont mis à me commander la BD. Le hasard fait que mon affaire décolle non seulement là-bas, mais attire aujourd'hui le regard par ici aussi. Plusieurs écoles de la région de Louvain ont pris contact avec moi car elles souhaitent utiliser mon travail. L'étape suivante sera d'étudier l'efficacité des BD en tant que matériel d'apprentissage.Comment ont réagi vos parents à votre revirement?Pas bien, évidemment. Ils me voyaient finir comme Van Gogh, pauvre et avec une seule oreille (rires). (Susan reprend son sérieux) Bon, c'est vrai que c'est rassurant de toucher son salaire chaque mois, mais quand on croit en quelque chose, il faut pouvoir prendre des risques.Y aura-t-il une suite à cette BD ?La prochaine porte sur l'Ebola et devrait sortir en juillet. Si tout se passe comme prévu, je sortirai aussi un épisode sur le virus SRAS. En fait, j'entends réaliser deux volumes par an. En parallèle, je travaille à des films d'animation pour toucher un plus large public. Si je fais tout, toute seule? Non, ce serait impossible. Je réalise les esquisses et je veille à la justesse scientifique. Pour le reste, je me suis entourée de deux coloristes, trois illustrateurs, trois rédacteurs et une personne chargée de l'animation.Reviendrez-vous un jour à la virologie?(Décidée) Non. Être dessinatrice de BD, c'est mon rêve de toujours. Je n'abandonnerai pas. Je suis ambitieuse et travailleuse. Reste à espérer que ce dur labeur portera ses fruits.