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Un profil professionnel énumérerait une série de qualifications et un répertoire de comportements "génériques" garantissant que tout professionnel a les connaissances et aptitudes pour prester correctement dans la pratique. Les normes d'aptitudes génériques devraient être respectées par toutes les professions à côté de profils spécifiques complémentaires.Le visa serait à l'avenir donné sur base du diplôme pour 5 ans. Ensuite, le praticien serait soumis à des contrôles aléatoires par les inspecteurs d'hygiène, en collaboration avec le service de contrôle de l'Inami. En cas d'évaluation négative, le visa pourrait être, soit retiré, soit suspendu, soit soumis à condition, l'inspecteur pouvant aussi actionner l'Ordre pour des sanctions.Quelles seraient alors ces normes de compétences contrôlées ?Le ministre imposerait les CanMeds (Canadian Medical Education Directives for Specialists) comme exigences génériques transversales de toutes les professions. Ces CanMeds ont été établies au Canada par les médecins eux-mêmes. Une centaine de fellows du "Royal College of Physicians and Surgeons", créé par le Parlement canadien pour la promotion de la qualité des formations des spécialistes, les ont rédigées. Ces normes ont été approuvées par une vingtaine d'associations médicales. Ces règles visent des critères largement déontologiques et de qualité, mais cela ne donne au "Royal College" ni le pouvoir de délivrer la licence d'exercice ni celui de prononcer des sanctions qui appartiennent aux "Medical Councils" (sauf au Québec) comparables à l'Ordre des médecins belge. Les CanMeds définissent le profil d'aptitude à l'activité, de compétence, de connaissance, de comportement, de caractère, de déontologie permettant d'exercer une profession de santé. Elles seraient édictées en Belgique par la Ministre avec l'avis d'un Conseil de Professions de soins de santé, comprenant notamment à cet effet une "chambre de déontologie". Un autre conseil, le Conseil pour la qualité de la pratique des soins de santé, comprendrait une chambre d'avis chargée des droits des patients et de l'organisation de la pratique reprenant les compétences des organes de concertation actuels et, surtout, une chambre de surveillance reprenant les missions des commissions médicales provinciales considérablement étendues. C'est elle qui vérifierait l'aptitude des professionnels, la qualification par rapport à leurs prestations et leur respect des normes sur base des rapports des inspecteurs d'hygiène.Vu que ces normes constitueraient désormais la bible conditionnant la survie du professionnel, il serait essentiel que chacune de ces normes ait été précisée, commentée et concertée au sein de la profession, puisque c'est là qu'elles ont vu le jour au Canada.On peut relever divers types de normes réparties en 7 compétences et 28 directives. Certaines visent les connaissances que l'on croyait prouvées par le seul fait du diplôme. "Le praticien écoute attentivement et recueille efficacement les informations pertinentes sur le patient" ... "Il retrouve facilement les informations nécessaires et les utilise correctement."... "Il utilise la technologie informatique pour des soins optimaux, le perfectionnement et la formation continue."Certains CanMeds insèrent des règles de comportement dans le droit et méritent de ce fait de s'interroger sur leur impact juridique. Prenons la CanMED 6.1 : "Le praticien organise le travail de manière à mettre en place un juste équilibre entre le travail et la vie privée". Ce texte crée à la fois un droit et une obligation du médecin à limiter son exercice professionnel, ce qui donnera lieu aux débats juridiques sur l'évaluation concrète de cet équilibre. On se référera sans doute à la directive sur le temps de travail de l'UE, soit 48h/semaine, gardes comprises, qui serait appliquée à tous les médecins indépendants comme salariés et, bien entendu, à ceux qui les emploient (gestionnaires et autres ..). En tant que norme de qualité, sa violation pourrait être sanctionnée et entraîner des répercussions sur la faute et sur sa couverture par l'assurance. Comme un autre CanMeds, le 7,1° exige que "le professionnel donne des soins dévoués", il faudra préciser les heures de dévouement et ce que ce mot signifie, notamment par rapport à l'idée de sacrifice.D'autres CanMeds ont trait à la qualification du professionnel. Ainsi, le CanMeds 1.2 "le praticien applique correctement l'arsenal diagnostique thérapeutique et préventif de la discipline dans une optique evidence-based". EBM devient ainsi une norme obligatoire conditionnant le maintien de la qualification. Il faudrait que le commentaire de l'article soit circonstancié. Simultanément, selon le CanMeds 4, "le professionnel évalue les informations médicales de façon critique".Comme règle éthique et scientifique, cette instruction est normale. Mais, quel sera le débat devant une juridiction vis-à-vis d'un médecin "critique" ayant contesté une guideline ? Le CanMeds 1,3° n'est pas neutre. "Le praticien fournit des soins aux patients efficaces et socialement acceptés" Supposons que le mot "efficace" ne soit pas utilisé dans le sens d'une obligation de résultat. Un commentaire pourrait quand même utilement définir les limites de la responsabilité du professionnel par rapport à ses résultats et y lier une application générale de la responsabilité sans faute. N'oublions pas qu'on transpose des normes professionnelles en lois contraignantes. "Socialement acceptés" constitue une révolution de l'éthique. Celle-ci commandait de faire primer l'intérêt du patient sur celui d'une société versatile et dont l'acceptation varie dans le temps avec une rapidité sidérante. En moins de 10 ans, la société a considéré successivement comme crime l'avortement puis a condamné l'entrave à ce même avortement. Il serait peut-être nécessaire d'abord de déterminer par qui et selon quels critères et quelle méthode l'acceptation par la société est décidée.Un rappel permet de saisir les dérapages possibles de ce concept. On se souvient de l'euthanasie forcée des handicapés mentaux et incurables pour libérer des lits en Allemagne pendant les années 40. Cela se passait dans une dictature mais aux USA, à la même époque, le Journal of the American psychiatry proposait bien de "tuer" les enfants attardés en tant qu'erreurs de la nature et fit marche arrière devant la réprobation à l'égard des programmes nazis. La loi allemande de 1933 sur la stérilisation visant les personnes souffrant de maladies génétiques, y compris cécité et alcoolisme, fut mise en oeuvre grâce à la collaboration de l'association médicale allemande, aidant par un manuel les médecins à désigner les patients visés[1]. Aux Etats-Unis, dans les années 20, 15 000 pensionnaires d'asiles ou prisonniers ont été stérilisés.Il faut juste se rappeler que, pour la société des bien-portants, les soins sont une charge. Dans l'intérêt de la société en crise, le droit à l'euthanasie et l'inhumanité de l'acharnement thérapeutique pourraient se confondre avec un devoir civique d'euthanasie. Ce n'est pas faire un procès d'intention que de demander aux auteurs de ce projet de réforme ce qu'ils visent par le concept "soins socialement acceptés" et, dans le commentaire, de donner l'interprétation du Canada d'où nous vient ce concept.Remarquons, en passant, que le système de soins au Canada est basé sur le rationnement par la limitation de l'offre. En plus, les subsides de l'Etat aux Provinces sont liés à l'interdiction de soins privés même si le patient est à même de les payer, sauf pour 3 interventions suite à un recours au Québec. Le concept de soins "acceptés" est délicat parce qu'il fait la confusion entre les soins dont la décision et le choix sont un droit du patient et leur couverture financière par la société qui est un droit d'assureur en fonction des recettes dont il dispose.Nous avons donné, juste pour en faire saisir la matière, une idée de ces CanMeds qui sont en fait des règles déontologiques internes à la profession. En les insérant dans la loi pénale qu'est l'AR 78, la ministre leur donne une portée dépassant celle de simples règles de comportement professionnelles. Les sanctions touchant à l'exercice d'une profession et, en particulier, le retrait d'agrément, sont considérés comme relevant du volet civil de l'art 6 de la Convention des Droits de l'Homme qui proclame "le droit de toute personne à un procès équitable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle". Toute procédure dans laquelle le droit de pratiquer est en jeu est soumise au contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH Lecompte, Van Leuven et De Meyere c/Belgique 23.681-A43). La procédure et la décision doivent être prises en toute indépendance et impartialité avec contrôle possible d'un organe extérieur (CEDH, Albert et Le Compte c/ Belgique10.2.1983-A58) et dans le respect du principe de proportionnalité.On ne va pas faire de procès d'intention à la ministre qui n'a présenté que les grandes lignes de son projet. Mais, en l'état, on constate un régime où c'est elle qui rédigerait les normes de déontologie devenues profils professionnels légaux de capacité et déciderait elle-même des sanctions. Il semble important de rassurer en précisant ce que serait la procédure visant au retrait. Parce que toutes les infractions doivent être établies par la loi, il serait important de donner des éclaircissements sur les concepts du projet, compte tenu du caractère extraordinairement général des normes.Le système de santé belge est classé au 4ième rang sur 35 pays. Les soins en Belgique sont de qualité, accessibles et les droits des patients y sont assurés par la liberté thérapeutique et le libre choix du médecin et, cela, pour un coût inférieur à celui des pays voisins (sauf RU). La ministre n'a pas communiqué son éventuelle analyse SWOT. On remarque dans les faits que le changement fondamental réside dans le passage des professions de santé sous les pouvoirs de l'administration, y compris, en ce qui concerne la déontologie et les compétences actuelles des commissions de concertation. L'objectif annoncé est de simplifier le travail des fonctionnaires et réduire la concertation des professionnels et scientifiques à un simple avis dans un organisme impuissant. Le projet ne situe pas les droits et devoirs essentiels qui se trouvent actuellement dans l'AR 78 : la continuité des soins, la liberté de choix des moyens nécessaires pour le diagnostic et la thérapeutique jusqu'à la nullité de plein droit des clauses et règlements qui y porteraient atteintes, l'interdiction de partage des honoraires sans service correspondant notamment par le gestionnaire à prix coutant, etc. On suppose que l'AR 78 ne sera pas atteint dans ses valeurs fondamentales qui sont la base de la qualité découlant de la rencontre d'une confiance (du malade) avec la conscience (du médecin).[1] Annas et Grodin "The Nazi doctors", New York, Oxford University Press 1992, p20 et 25