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"Cher confrère,J'ai le regret de vous informer que les médecins traitants ne sont plus les bienvenus dans les hôpitaux et institutions de soins. Ce vendredi 9 août 2024 à 8h00, dans un grand hôpital bruxellois, j'ai été victime d'une mésaventure très déplaisante. Une de mes patientes de longue date, Mme Maria N., âgée de 94 ans, était hospitalisée en gériatrie depuis plusieurs semaines. Sa fille unique m'avait contacté à plusieurs reprises, inquiète de son refus de s'alimenter et de sa respiration irrégulière. De plus, elle pensait que sa maman serait heureuse de me voir.Je me suis donc rendu au service de gériatrie (...) Après avoir dû insister pour qu'une infirmière daigne m'ouvrir, j'ai été accueilli par des reproches sur le dérangement que je lui causais. J'ai alors décliné mon identité en l'informant du but de ma visite. Je voulais réconforter une patiente mourante en lui rendant visite une dernière fois. Il s'agissait d'une démarche de compassion envers sa fille, qui était paniquée à l'idée de perdre sa maman. L'infirmière me somma de quitter le service, en ajoutant qu'elle n'avait aucune preuve de ma qualité de médecin. Je me suis interrogé si elle savait de quelle patiente il s'agissait. Bien qu'elle aurait pu facilement vérifier dans le dossier si j'étais bien le médecin traitant, elle avait une attitude menaçante et a appelé la sécurité pour m'expulser du service et de l'hôpital.Heureusement, j'avais déjà eu une expérience similaire dans un hôpital universitaire. Le refus d'une infirmière de me laisser consulter le dossier d'une patiente m'avait contraint à téléphoner aux urgences de la clinique pour qu'un médecin des urgences intervienne. J'ai donc fait la même démarche. J'ai été mis en contact avec le gériatre de garde, qui n'était pas dans l'hôpital mais me promettait de joindre son infirmière.Entre-temps, le garde de sécurité était arrivé. Malgré mes explications, il me demanda de sortir du service, ce que je fis avec calme. Je suppose qu'il n'a pas jugé nécessaire de m'expulser de la clinique parce que je l'avais informé que j'attendais la réaction de l'infirmière après mon appel téléphonique au gériatre de garde. Pendant les interminables minutes d'attente sous la surveillance de l'agent de sécurité, j'avais l'impression d'être un repris de justice. L'infirmière est revenue et a chuchoté à l'oreille du garde : "Bien qu'il y ait un cluster de Covid, le médecin gériatre a donné l'ordre de laisser le médecin traitant rester le temps qu'il voudra auprès de sa patiente."Soulagé, je me suis soumis aux normes de protection demandées : j'ai mis un masque, enfilé une blouse de protection et des gants. En un ultime geste vexatoire, l'infirmière m'a proposé de mettre un bonnet de protection. Je l'ai remerciée en lui signalant que ce n'était pas nécessaire. Je lui ai demandé de me laisser seul avec ma patiente pour qu'elle puisse retourner à ses occupations. Je suis enfin entré dans la chambre. Après avoir constaté l'état désespéré de la patiente, je lui ai pris la main avec des gants de latex et lui ai caressé la joue. J'ai téléphoné à sa fille pour la rassurer, et lui dire que sa maman était paisible et confortable. Elle m'a remercié avec beaucoup d'émotion.À 13h55, j'ai reçu un message de remerciement et l'annonce du décès de sa maman. J'ai eu une journée fort épuisante et une nuit d'insomnie. Je n'ai pas reçu de nouvelles de la clinique, ce qui me laisse un goût d'amertume, car nous sommes peu de choses en fin de compte. Je vous écris car je suis très inquiet de l'évolution de notre profession. Je vous demande de rester vigilants face aux manquements d'humanité des institutions afin qu'elles prennent conscience de leur rôle de protection des individus dans notre société. L'évolution de notre société ne doit pas être uniquement économique ou sécuritaire, il existe d'autres valeurs. Avoir un peu de considération envers les médecins traitants, les patients et leurs familles ne peut être que bénéfique.Salutations confraternelles,"Dr Antonio Di Mascio