Les débuts

Au cours de ma spécialisation en psychiatrie (1992-1997), la santé mentale a commencé à être abordée au sein de l'organisation via le syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Les équipes ont dû en effet faire face à une série d'accidents critiques (enlèvements, attaques, meurtres) dont elles sont sorties bouleversées : l'immunité dont bénéficiaient auparavant les humanitaires n'était plus respectée et eux-mêmes, dans certains contextes géopolitiques, devenaient des cibles. Une cellule de soutien avec des psychologues et un réseau de prise en charge pour les SSPT ont été mis en place.

En 1996-1998, la réhabilitation de l'hôpital psychiatrique asilaire de Sokolac, en Bosnie-Herzégovine, a été l'un des premiers projets véritablement psychiatriques. Suite à la guerre, MSF a travaillé dans la région à la remise sur pied du réseau de soins : les autorités ont sollicité son intervention tant les conditions de vie des patients dans cet hôpital étaient devenues désastreuses. Ceux-ci, pour la plupart des internés (défense sociale), y mouraient littéralement de froid et de faim. La réhabilitation a été accompagnée d'un volet formatif à l'égard de l'équipe de soins infirmiers.

Les soins psychologiques au même titre que les soins classiques

La souffrance psychique et son cortège de manifestations anxieuses, dépressives, post-traumatiques et psychosomatiques se sont imposés aux acteurs de terrain au même titre que les pathologies chirurgicales et internistiques. Les guerres, les déplacements de population, les camps de réfugiés étaient autant de contextes qui ont généré ces pathologies particulières auxquelles l'organisation a dû s'adapter. Des psychologues ont commencé à être recrutés et envoyés sur le terrain. Les réseaux de soins en santé mentale étant alors soit inexistants, soit désorganisés, ces psychologues ont mis sur pied des équipes de conseillers, qui sont au psychologue ce que l'aide-soignante est à l'infirmière, pour tenter de prendre en charge cette souffrance psychique criante.

Au début des années 2000, MSF s'est lancé dans l'appui à des services de santé mentale ambulatoires en Arménie et en Algérie, afin de soutenir des initiatives locales de soins extrahospitaliers et de tenter une prise en charge du patient dans son contexte de vie. Au-delà du contexte de guerre ou de catastrophe, il fallait dorénavant aux équipes de MSF aborder la souffrance psychique "ordinaire" et collaborer avec des psychiatres et psychologues nationaux, installés dans ces contextes et soutenir ces initiatives innovantes.

Les tragédies humaines contemporaines font non seulement apparaître des troubles psychiques consécutifs à ces bouleversements, mais elles mettent à mal les patients présentant déjà des troubles psychiatriques : troubles psychotiques, schizophrénie, troubles bipolaires, dépressions chroniques et sévères. La prise en charge de ces patients par des équipes généralistes est donc devenue un axe de travail pour MSF qui forme les médecins et responsables cliniques nationaux à ces pathologies, à leur traitement médicamenteux mais également à leur prise en charge psychologique et sociale, aussi bien dans des contextes particuliers (bidonvilles, camps de réfugiés) que dans des structures de santé périphériques permanentes (soins de santé primaires). L'examen clinique ne se contente dès lors plus de la palpation et de l'auscultation du patient ; il faut aussi encourager l'écoute des récits de vie et leur offrir une réponse appropriée.

Pathologies chroniques et assuétudes

Plus récemment, MSF s'est focalisée sur la prise en charge de pathologies chroniques comme le diabète, l'hypertension, l'épilepsie, l'asthme, le HIV, la tuberculose. La volonté actuelle est d'intégrer à cet éventail les pathologies mentales communes comme la schizophrénie, la dépression et les troubles anxieux. À ce titre, MSF suit une évolution parallèle à celle de l'Organisation mondiale de la Santé, avec la mise au point de lignes de conduite et de programmes d'action spécifiques à la santé mentale plus étoffés, comme le Mental Health Gap Action Programme (mhGAP). Ces outils constituent une base de travail précieuse dans la sensibilisation et la formation en santé mentale.

De la même façon que les assuétudes constituent un nouveau chapitre dans la dernière version du mhGAP, MSF a également pris position en faveur d'un engagement opérationnel à l'égard des patients alcooliques et toxicomanes, dont les pathologies étaient considérées jusqu'il y a peu comme difficiles à prendre en charge.

La comorbidité entre pathologies psychiatriques, assuétudes, pathologies somatiques chroniques et plus particulièrement la co-infection HIV-TB dans des populations précarisées et/ou marginalisées a ainsi réorienté le champ d'action de l'organisation.

De nouveaux profils au sein de l'organisation

Les soins de santé mentale sont maintenant considérés comme étant indissociables des soins médicaux et pouvant même en renforcer l'efficacité. C'est pour cela qu'aujourd'hui, la plupart des projets de MSF comprennent un volet psychologique.

Cette approche élargie de la santé en général, et de la santé mentale en particulier, a permis d'ouvrir de nouveaux profils au sein de l'organisation : en plus des psychologues et psychiatres, les assistants sociaux et anthropologues sont venus étoffer les équipes médicales et psychologiques et permettre une approche multidisciplinaire, communautaire et contextuelle des pathologies rencontrées et des agents en promotion de la santé sont formés dans le cadre des projets.

J'aimerais ajouter que MSF continue à chercher des psychiatres prêt(e)s à s'engager et partir travailler dans nos projets. Mon expérience sur le terrain a été particulièrement enrichissante et m'a permis de considérer ma pratique psychiatrique sous un jour résolument différent.

Au cours de ma spécialisation en psychiatrie (1992-1997), la santé mentale a commencé à être abordée au sein de l'organisation via le syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Les équipes ont dû en effet faire face à une série d'accidents critiques (enlèvements, attaques, meurtres) dont elles sont sorties bouleversées : l'immunité dont bénéficiaient auparavant les humanitaires n'était plus respectée et eux-mêmes, dans certains contextes géopolitiques, devenaient des cibles. Une cellule de soutien avec des psychologues et un réseau de prise en charge pour les SSPT ont été mis en place.En 1996-1998, la réhabilitation de l'hôpital psychiatrique asilaire de Sokolac, en Bosnie-Herzégovine, a été l'un des premiers projets véritablement psychiatriques. Suite à la guerre, MSF a travaillé dans la région à la remise sur pied du réseau de soins : les autorités ont sollicité son intervention tant les conditions de vie des patients dans cet hôpital étaient devenues désastreuses. Ceux-ci, pour la plupart des internés (défense sociale), y mouraient littéralement de froid et de faim. La réhabilitation a été accompagnée d'un volet formatif à l'égard de l'équipe de soins infirmiers.La souffrance psychique et son cortège de manifestations anxieuses, dépressives, post-traumatiques et psychosomatiques se sont imposés aux acteurs de terrain au même titre que les pathologies chirurgicales et internistiques. Les guerres, les déplacements de population, les camps de réfugiés étaient autant de contextes qui ont généré ces pathologies particulières auxquelles l'organisation a dû s'adapter. Des psychologues ont commencé à être recrutés et envoyés sur le terrain. Les réseaux de soins en santé mentale étant alors soit inexistants, soit désorganisés, ces psychologues ont mis sur pied des équipes de conseillers, qui sont au psychologue ce que l'aide-soignante est à l'infirmière, pour tenter de prendre en charge cette souffrance psychique criante.Au début des années 2000, MSF s'est lancé dans l'appui à des services de santé mentale ambulatoires en Arménie et en Algérie, afin de soutenir des initiatives locales de soins extrahospitaliers et de tenter une prise en charge du patient dans son contexte de vie. Au-delà du contexte de guerre ou de catastrophe, il fallait dorénavant aux équipes de MSF aborder la souffrance psychique "ordinaire" et collaborer avec des psychiatres et psychologues nationaux, installés dans ces contextes et soutenir ces initiatives innovantes.Les tragédies humaines contemporaines font non seulement apparaître des troubles psychiques consécutifs à ces bouleversements, mais elles mettent à mal les patients présentant déjà des troubles psychiatriques : troubles psychotiques, schizophrénie, troubles bipolaires, dépressions chroniques et sévères. La prise en charge de ces patients par des équipes généralistes est donc devenue un axe de travail pour MSF qui forme les médecins et responsables cliniques nationaux à ces pathologies, à leur traitement médicamenteux mais également à leur prise en charge psychologique et sociale, aussi bien dans des contextes particuliers (bidonvilles, camps de réfugiés) que dans des structures de santé périphériques permanentes (soins de santé primaires). L'examen clinique ne se contente dès lors plus de la palpation et de l'auscultation du patient ; il faut aussi encourager l'écoute des récits de vie et leur offrir une réponse appropriée.Plus récemment, MSF s'est focalisée sur la prise en charge de pathologies chroniques comme le diabète, l'hypertension, l'épilepsie, l'asthme, le HIV, la tuberculose. La volonté actuelle est d'intégrer à cet éventail les pathologies mentales communes comme la schizophrénie, la dépression et les troubles anxieux. À ce titre, MSF suit une évolution parallèle à celle de l'Organisation mondiale de la Santé, avec la mise au point de lignes de conduite et de programmes d'action spécifiques à la santé mentale plus étoffés, comme le Mental Health Gap Action Programme (mhGAP). Ces outils constituent une base de travail précieuse dans la sensibilisation et la formation en santé mentale.De la même façon que les assuétudes constituent un nouveau chapitre dans la dernière version du mhGAP, MSF a également pris position en faveur d'un engagement opérationnel à l'égard des patients alcooliques et toxicomanes, dont les pathologies étaient considérées jusqu'il y a peu comme difficiles à prendre en charge.La comorbidité entre pathologies psychiatriques, assuétudes, pathologies somatiques chroniques et plus particulièrement la co-infection HIV-TB dans des populations précarisées et/ou marginalisées a ainsi réorienté le champ d'action de l'organisation.Les soins de santé mentale sont maintenant considérés comme étant indissociables des soins médicaux et pouvant même en renforcer l'efficacité. C'est pour cela qu'aujourd'hui, la plupart des projets de MSF comprennent un volet psychologique.Cette approche élargie de la santé en général, et de la santé mentale en particulier, a permis d'ouvrir de nouveaux profils au sein de l'organisation : en plus des psychologues et psychiatres, les assistants sociaux et anthropologues sont venus étoffer les équipes médicales et psychologiques et permettre une approche multidisciplinaire, communautaire et contextuelle des pathologies rencontrées et des agents en promotion de la santé sont formés dans le cadre des projets.J'aimerais ajouter que MSF continue à chercher des psychiatres prêt(e)s à s'engager et partir travailler dans nos projets. Mon expérience sur le terrain a été particulièrement enrichissante et m'a permis de considérer ma pratique psychiatrique sous un jour résolument différent.