La sonnerie du téléphone interrompt une consultation qui s'alanguit : un patient âgé, au retour d'un lointain périple en Afrique du Sud, tient à témoigner sa gratitude pour l'avoir aidé à réaliser ce voyage inimaginable il y a quelques mois à peine. Il se porte actuellement fort bien et cherche avec émotion les mots pour l'exprimer. Ce témoignage ordinaire est un rayon de soleil dans la journée du médecin, donnant un sens à la prise de risque permanente que constitue toute prise en charge thérapeutique.
A sa sortie d'hospitalisation après une lourde intervention chirurgicale, ce patient âgé, fragilisé, s'interroge sur la faisabilité d'un projet de voyage lointain, reporté à de nombreuses reprises en raison d'une santé précaire. Sa vulnérabilité a été soulignée par le corps médical, ainsi que la nécessité d'une vie paisible, entrecoupée de contrôles en tous genres, la prise régulière de médicaments, un suivi diététique strict, une revalidation ambulatoire en centre spécialisé. Avec humour, il évoque ce qu'il est devenu, sauvé par une technique chirurgicale de pointe : la momie Rascar Capac immortalisée par Hergé, immobilisée en position foetale par des liens multiples dans une vitrine du musée d'Art Ancien. Il a troqué une existence d'invalide malade pour celle d'invalide guéri, et paraît bien le seul à ne pas s'en émerveiller. Son entourage le dissuade d'entamer un périple au Cap où vit sa fille, car il faut se montrer raisonnable quand les médecins ont tant fait pour vous ramener à la vie.
Agenda du médecin, agenda du patient ? Toute démarche thérapeutique est par essence funambule, périlleux équilibre entre un risque passé et un risque futur imprévisible, dans lequel la prise en compte des projets de vie que le patient nourrit encore devient un élément de guérison. Face au patient insécurisé, devenir un " architecte du possible " aménageant les conditions sécures d'un déplacement aérien, s'enquérant des infrastructures médicales sur-place, organisant un contact téléphonique régulier durant le séjour en famille, donne du sens à notre démarche médicale. Davantage qu'une guérison, d'autant plus précaire et imprévisible que l'âge avance, c'est un capital de temps qu'on accorde au patient, temps gagné sur la maladie, d'autant plus précieux que progresse un sentiment d'urgence et qu'il n'y aura pas toujours de deuxième chance. Quelques semaines pour partir à la découverte du lieu de vie d'un enfant expatrié, pour caresser le visage de petits-enfants nés au loin ou pour concrétiser un rêve toujours postposé peuvent avoir une saveur d'éternité. La prise de risque que sous-tend la réalisation de ces projets appartient bien sûr au patient, mais percevoir notre adhésion à sa démarche le sécurisera.
Le bénéficiaire de ce précieux capitaltemps nous surprendra parfois par ce qu'il souhaite en faire. Confronté à un diagnostic ne lui laissant qu'une survie fort limitée, un patient d'origine marocaine souhaita postposer le début de sa chimiothérapie afin de lui permettre d'aller régler une dette familiale dans sa région natale. Héritier de la vigne de son père, il l'avait négligée et souhaitait réparer le dol. Il décéda deux semaines après son retour, l'esprit apaisé. Le temps d'un projet peut d'ailleurs coïncider avec celui d'un voyage en soi-même : une patiente âgée décida ainsi à son retour d'hospitalisation de ne plus ouvrir sa télévision, au grand dam de ses proches et du personnel de soins de sa maison de repos. Elle souhaitait relire les huit volumes des Thibault de Roger Martin du Gard sans se laisser distraire par les nouvelles d'un monde qui ne l'intéressait plus. Agenda respectable qui lui permit de finir sa vie en retrouvant les images paisibles d'un temps révolu où elle avait été heureuse. J'admirai sa sagesse.
A sa sortie d'hospitalisation après une lourde intervention chirurgicale, ce patient âgé, fragilisé, s'interroge sur la faisabilité d'un projet de voyage lointain, reporté à de nombreuses reprises en raison d'une santé précaire. Sa vulnérabilité a été soulignée par le corps médical, ainsi que la nécessité d'une vie paisible, entrecoupée de contrôles en tous genres, la prise régulière de médicaments, un suivi diététique strict, une revalidation ambulatoire en centre spécialisé. Avec humour, il évoque ce qu'il est devenu, sauvé par une technique chirurgicale de pointe : la momie Rascar Capac immortalisée par Hergé, immobilisée en position foetale par des liens multiples dans une vitrine du musée d'Art Ancien. Il a troqué une existence d'invalide malade pour celle d'invalide guéri, et paraît bien le seul à ne pas s'en émerveiller. Son entourage le dissuade d'entamer un périple au Cap où vit sa fille, car il faut se montrer raisonnable quand les médecins ont tant fait pour vous ramener à la vie.Agenda du médecin, agenda du patient ? Toute démarche thérapeutique est par essence funambule, périlleux équilibre entre un risque passé et un risque futur imprévisible, dans lequel la prise en compte des projets de vie que le patient nourrit encore devient un élément de guérison. Face au patient insécurisé, devenir un " architecte du possible " aménageant les conditions sécures d'un déplacement aérien, s'enquérant des infrastructures médicales sur-place, organisant un contact téléphonique régulier durant le séjour en famille, donne du sens à notre démarche médicale. Davantage qu'une guérison, d'autant plus précaire et imprévisible que l'âge avance, c'est un capital de temps qu'on accorde au patient, temps gagné sur la maladie, d'autant plus précieux que progresse un sentiment d'urgence et qu'il n'y aura pas toujours de deuxième chance. Quelques semaines pour partir à la découverte du lieu de vie d'un enfant expatrié, pour caresser le visage de petits-enfants nés au loin ou pour concrétiser un rêve toujours postposé peuvent avoir une saveur d'éternité. La prise de risque que sous-tend la réalisation de ces projets appartient bien sûr au patient, mais percevoir notre adhésion à sa démarche le sécurisera.Le bénéficiaire de ce précieux capitaltemps nous surprendra parfois par ce qu'il souhaite en faire. Confronté à un diagnostic ne lui laissant qu'une survie fort limitée, un patient d'origine marocaine souhaita postposer le début de sa chimiothérapie afin de lui permettre d'aller régler une dette familiale dans sa région natale. Héritier de la vigne de son père, il l'avait négligée et souhaitait réparer le dol. Il décéda deux semaines après son retour, l'esprit apaisé. Le temps d'un projet peut d'ailleurs coïncider avec celui d'un voyage en soi-même : une patiente âgée décida ainsi à son retour d'hospitalisation de ne plus ouvrir sa télévision, au grand dam de ses proches et du personnel de soins de sa maison de repos. Elle souhaitait relire les huit volumes des Thibault de Roger Martin du Gard sans se laisser distraire par les nouvelles d'un monde qui ne l'intéressait plus. Agenda respectable qui lui permit de finir sa vie en retrouvant les images paisibles d'un temps révolu où elle avait été heureuse. J'admirai sa sagesse.