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Dans cette série sur les médecins en politique, je pose toujours comme première question : en tant que médecin (en l'occurrence chirurgien abdominal dans votre cas), vous avez fait 13 ans d'études, qu'est-ce qui vous a poussé vers la politique ?De manière assez logique : à la fois dans le substrat qui était mon métier de chirurgien et aussi dans l'expérience internationale à travers Médecins sans frontières. À un certain moment, on se rend compte qu'indépendamment du travail qui est le travail concret, beaucoup de choses dépendent évidemment des problèmes d'organisation et aussi d'orientation politique. Celle-ci détermine l'organisation des soins de santé, son accessibilité, la manière dont les soins de santé sont gérés à l'international. Je n'ai pas besoin de vous décrire en ce moment combien la politique internationale pèse sur notre avenir. Donc, mon intérêt pour la politique est très ancien et très profond.Votre parcours est assez classique : vous démarrez comme président du Comité subrégional de l'emploi de Namur (1988-1994) et sénateur provincial de Namur (1990-1991) pour devenir ministre de l'Education et de l'audiovisuel (1994-1995)...En effet. J'ai été également bourgmestre de Gesves pendant six ans. Comme sénateur provincial, ça a duré peu de temps car il y a eu des élections et j'ai ensuite été sénateur élu direct pendant de nombreuses années. Le Sénat était plus important qu'aujourd'hui. On devait y siéger souvent. J'ai longtemps présidé le groupe PS au Sénat. Il y avait une activité législative débordante...Le Sénat, c'est un choix de votre part parce qu'on y parle d'éthique ?Je peux vous dire en tout cas que ça a pesé à une époque où le Sénat avait le pouvoir de changer les choses (qu'il a largement perdu). Mais nous avons obtenu des avancées très importantes dans d'autres domaines que l'éthique. L'initiative (et la liberté de conscience, NdlR) était laissée aux parlementaires. On n'était pas pris par le temps comme nos collègues de la Chambre.Peut-on dire que votre plus gros dossier, ce fut la dépénalisation de l'euthanasie ?C'est certainement un dossier extrêmement important avec, en parallèle, la loi sur les soins palliatifs. Et je pense que c'est important de joindre les deux sans oublier bien sûr les Droits du patient. Tout cela a modifié considérablement la manière d'appréhender la fin de vie.En tant que médecin, vous êtes plutôt dressé à sauver des vies et non pas à les abréger. Est-ce que ce dossier a provoqué en vous un " conflit éthique interne " ?Non, vraiment pas. Car il m'est apparu indispensable d'assurer aux patients le droit de recevoir cette aide à mourir et d'assurer une sécurité juridique pour les médecins. Nous avons d'emblée posé une série de conditions. Les personnes amenées à mourir l'étaient dans des conditions de douleur intolérable dans les cas de maladies incurables qui n'étaient justement pas éthiques. Tout cela nécessitait un travail législatif indispensable. Il fallait éviter aussi les dérives.Pour " l'équilibre ", un texte a été voté sur l'encouragement des soins palliatifs... Si ceux-ci devenaient d'une efficacité sans faille, est-ce que cela rendrait l'euthanasie caduque ?Les spécialistes en Belgique précisent que les soins palliatifs n'excluent pas des demandes d'euthanasie. Il ne faut pas les opposer. La Loi euthanasie d'ailleurs stipule que le patient doit être dûment informé de toutes les possibilités existantes.Un autre dossier très important fut votre tâche de rapporteur de la Commission parlementaire sur les 10 paracommandos assassinés au Rwanda et sur le génocide lui-même. Vous attendiez-vous, 50 ans après l'Holocauste juif, d'être confronté à un holocauste " contemporain " ?Il faut distinguer la période : celle du génocide tutsi lui-même et le lancement de la Commission sénatoriale avec pouvoir de commission d'enquête. Des révélations fondamentales se sont faites jour. Le retentissement a été important. Mais le caractère génocidaire n'a pas été reconnu tout de suite, et certainement pas son caractère abominable, son intensité atroce... Tout cela est apparu comme incontestable pendant les travaux de la Commission.Est-ce qu'on a pu conclure à des responsabilités ?Une responsabilité collective, oui. Les Nations-Unies n'ont d'abord pas reconnu le génocide, l'intention génocidaire en tout cas. Boutros Boutros-Gali, secrétaire-général à l'époque et Kofi Annan étaient en charge de ce sujet et n'ont pas obtenu une intervention militaire... Le retrait du contingent belge a eu évidemment des conséquences...Pourquoi avez-vous choisi le Parti socialiste dans votre engagement politique dès la première heure ?Le PS renvoie aux valeurs de liberté, solidarité, non-discrimination qui sont les miennes. Donc, mon engagement au sein de ce parti est logique. Dans les soins de santé, l'excellence des soins est importante mais celle de l'accessibilité l'est tout autant. Du point du vue de l'organisation des soins, la place du gouvernement, des soignants, des médecins et des mutuelles participent aussi de l'efficacité du système.Notre système est en effet loué à travers le monde comme un des meilleurs. En tant que médecin, vous considérez que la place du médecin doit y être centrale ou plutôt que le patient est central au sein d'une coordination entre soignants autour de lui ?Je fais remarquer d'abord l'importance du conventionnement. C'est fondamental car la convention prestataires/mutualités amène la sécurité tarifaire et donc remplit la fonction d'accessibilité. Dans l'organisation générale, tout le monde a un rôle à jouer parce que c'est lié au patient lui-même. Mais toute l'organisation tourne autour de ce que le patient vit et ressent. Au niveau des responsabilités, le médecin reste tout de même central. Il est directif. Mais les crises récentes ont montré toute l'importance également des soins infirmiers. Ceux-ci doivent être revalorisés et respectés, le temps de travail et la rémunération sont centraux également.J'ai interviewé récemment l'Ugib qui représente une quarantaine d'associations d'infirmiers dans tout le pays. Les soins infirmiers en tant que tels sont au bord du burnout généralisé. Si on ajoute les pénuries infirmières et de médecins, est-ce que notre système n'est pas à bout de souffle et au bord de l'implosion ?Vous venez de dire que notre système belge est parfois regardé depuis l'étranger avec un certain respect... Ce n'est pas rien. Mais quand des problèmes existent, il faut les résoudre de l'intérieur même du système et ne pas remettre en cause le système lui-même. Vous évoquez les soins infirmiers. La solution passe par la valorisation de leur travail et la révision de l'organisation de leur travail ainsi que le respect. Concernant la pénurie de médecins, elle n'est pas complètement étrangère au numerus clausus. Un accord récent (le concours d'entrée contre des numéros Inami en suffisance, NdlR) a permis de sécuriser les étudiants déjà dans le cursus mais le NC est-il d'une nécessité absolue ? Je ne le pense pas. Les choses sont différentes d'une spécialité médicale (on pense évidemment à la médecine générale) à une autre.Vous avez été actif au sein de la Mutualité socialiste également. Les rapports entre mutualités et médecins ont été, à certaines époques, très tendus (quand j'ai commencé comme journaliste en 1996 certainement). Pensez-vous que les rapports sont plus apaisés aujourd'hui ?On peut le dire car on vient d'une époque où on réquisitionnait les médecins qui officièrent un temps en uniforme militaire ! Aujourd'hui, plutôt que de tensions, il faut parler de divergences. Mais la plupart du temps, on aboutit à des solutions dans l'intérêt du patient, prioritairement.Vous êtes chirurgien abdominal et vous avez travaillé assez longtemps au CHR de Namur. Deux ministres successifs (De Block et Vandenbroucke) ont travaillé à deux réformes essentielles du financement des hôpitaux : la nomenclature et les honoraires/suppléments d'honoraires. Ceux-ci ne devraient idéalement plus renflouer la trésorerie, souvent dans le rouge, des hôpitaux. Votre commentaire...Une première chose, c'est qu'il faut trouver un système [de financement] qui reste à inventer ! Peut-on se passer des honoraires pour financer une partie du budget hospitalier ? Cela doit être possible. Mais le corollaire indispensable est la réforme de la nomenclature. Les deux problèmes sont liés...Frank Vandenbroucke termine son mandat. Il ne rempilera que si Vooruit fait partie du prochain gouvernement... Vous pensez que ces réformes vont aboutir ?Ecoutez, je ne vais pas m'avancer. On peut certainement dire que M. Vandenbroucke est un ministre volontariste et qu'il a eu des avancées significatives sans compter la gestion des crises. Aboutir est en tout cas indispensable. Le financement des soins de santé ne peut pas être mis en péril. Le gouvernement précédent a réduit de manière drastique le financement des soins de santé ce qui a abouti à des problèmes. Il faut calculer au plus juste les recettes nécessaires pour le faire bien fonctionner. Ensuite, il faut surveiller les dépenses. Et la nomenclature est étroitement liée aux dépenses...En médecine générale, Frank Vandenbroucke a proposé un New Deal, soit un système de rémunération triple : à l'acte/au forfait/à la prime. Lancé très récemment, il a peu de succès : une centaine de médecins se sont inscrits. S'agit-il selon vous d'un round d'observation ?Le plus important c'est l'entrée volontaire dans le système. On ne peut pas imposer les choses dans un cadre expérimental. En gros, il faut du temps. Un temps d'explication et un temps qui permet aux candidats de comprendre de quoi il s'agit.Quel bilan tirez-vous du mandat de Frank Vandenbroucke ? On lui reproche son manque d'écoute (notamment les infirmiers) et le saupoudrage des moyens disponibles...Dans les soins infirmiers hospitaliers et extra-hospitaliers, les décisions n'ont pas été prises. Elles en sont au stade de l'élaboration. Toute la partie des catégories, des différents modes de formation, est en discussion. Ce n'est pas simple car les compétences des unes et des autres ne sont pas les mêmes, ni au nord et au sud du pays. Comme il reste deux mois et demi [avant les élections], je ne pense pas qu'on aboutira. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne peut pas aboutir rapidement lors de la prochaine législature. On peut déjà préparer le terrain maintenant. Ouvrir le dialogue avec les infirmiers.Revenons à une de vos autres casquettes : l'enseignement. Trouvez-vous normal que la Belgique francophone soit structurellement en queue de peloton dans les études internationales, PISA et PIRLS alors qu'on consacre un budget à l'éducation supérieur à la moyenne européenne ? Qu'est-ce qui cloche ?Si je vous donnais une réponse définitive, ce serait très prétentieux : tout le monde se penche sur le problème depuis longtemps ... Mais il faut s'entendre déjà sur ce qu'est une " performance ", quels sont les critères d'évaluation du niveau de notre enseignement. Ce qu'on entend également, c'est l'adéquation des études avec le monde du travail. C'est fondamental. L'enseignement technique et professionnel en particulier doit déboucher sur un emploi. Il faut adéquation entre les deux. J'insisterais beaucoup sur cet aspect des choses.Ne pensez-vous pas que ce sont à peu près les mêmes programmes que dans ma jeunesse il y a trente ans et probablement la vôtre il y a cinquante ans... La même manière d'enseigner... Une classe, un tableau, une craie, un enseignement ex-cathedra. Ne faut-il pas un enseignement plus en adéquation avec la révolution digitale, la manière dont la jeunesse 2.0 s'informe et s'éduque ?Je pensais exactement la même chose que vous en même temps que vous élaboriez la question : le virtuel, l'informatique sont fondamentaux aujourd'hui dans l'enseignement. Avec toutes les garanties adéquates, il faut les intégrer dans le cursus. Mais qui dit digitalisation dit moyens suffisants affectés à cette nouvelle méthode d'enseignement.Dans votre parcours, surnage également l'International. Vous avez mené de nombreuses missions de par le monde... Le passeport belge, est, il est vrai, un peu passe-partout. Nous n'avons pas l'arrogance des Grandes Puissances... Vous voyez les choses comment en tant que " missionnaire " belge ?Mon intérêt pour l'International date de mon adolescence mais il est lié aussi à l'ensemble des missions menées, notamment pendant dix ans en tant que chirurgien avec MSF dans des zones de conflits. Cela vous sensibilise particulièrement. Cela explique pourquoi j'ai contribué à l'interdiction des armes à sous munition (" clusters bombs ", NdlR). Parce que j' ai vu les dégâts qu'elles font sur les hommes... On mesure là la taille de la Belgique. Au niveau de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, on a pu obtenir des avancées importantes également en matière de respect des Droits de l'homme.Il fut un temps où le PS était hégémonique. Vous allez sur vos 80 printemps. Vous avez connu le PS à 40% des voix. Aujourd'hui, la gauche se partage entre le PS, le PTB (premier parti à Bruxelles dans un récent sondage), Ecolo et plusieurs partis de centre gauche. Quel est l'avenir du PS ?Ecoutez, je l'espère le meilleur possible. Je mesure ce qu'il représente en tout cas à la fois en termes de valeurs et de volonté d'action, ce qui revient à ne pas se contenter de faire des constats. Par rapport aux inégalités, c'est la volonté de les réduire, de réduire voire d'éradiquer la pauvreté. En soins de santé, les problèmes d'accessibilité ne sont pas complètement résolus. Soutenir la recherche fondamentale, la recherche scientifique, est essentiel. Je ne peux que souhaiter que l'importance du PS soit la plus grande possible face à tous ces défis.