Les médicaments de thérapie avancée (ATMP, Advanced Therapy Medicinal Products) constituent une avancée majeure dans le traitement de certaines maladies génétiques et cancers. Pourtant, leur coût exorbitant et la rareté de leur commercialisation posent un défi pour l'accès des patients. Explications avec Céline Pouppez, chercheuse au KCE qui a publié un rapport sur le sujet.
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Le journal du Médecin : Quelle est la genèse de l'étude du KCE ?Céline Pouppez : Cette recherche a été initiée par des organisations caritatives, notamment la Fondation contre le cancer. Elle vise à explorer la viabilité d'une approche universitaire pour la mise au point et l'exploitation des traitements innovants, en dehors des circuits traditionnels de l'industrie pharmaceutique.Quelle est la différence entre ces ATMP et les " médicaments orphelins " ?Le statut de médicament orphelin est défini par la législation européenne et est attribué aux traitements destinés à des maladies rares affectant moins d'un certain nombre de patients (par exemple, un sur 2.000 en Europe). Ce statut donne accès à des avantages réglementaires et commerciaux, comme des périodes d'exclusivité sur le marché. Les ATMP, qui regroupent les thérapies géniques, cellulaires et tissulaires, entrent souvent dans cette catégorie en raison de leur cible limitée et de leur complexité.Quels étaient l'objectif et les enjeux de votre étude ?Les organisations caritatives, à l'origine de cette étude, constatent que malgré leur financement, peu de traitements issus de la recherche académique parviennent aux patients. Par ailleurs, en Europe, des initiatives académiques émergent pour développer des ATMP de manière autonome ou en partenariat avec l'industrie, mais selon des conditions différentes de celles imposées par les grandes entreprises pharmaceutiques. L'objectif de l'étude est donc d'analyser la faisabilité de ce modèle en Belgique, à travers une évaluation des parcours académiques existants et des obstacles réglementaires et financiers.Quels sont les enjeux financiers de l'éventuel remboursement des ATMP ?L'un des aspects les plus délicats concerne le coût des ATMP. En Europe, seule une vingtaine de ces traitements ont été approuvés par l'Agence européenne des médicaments (EMA) et, parmi eux, seulement huit sont commercialisés en Belgique. Tous ces traitements bénéficient d'un remboursement par l'Inami, mais dans le cadre de conventions dont les prix restent confidentiels. Officiellement, les ATMP peuvent coûter de 350.000 euros à plus de 3 millions par patient, ce qui pose la question de la soutenabilité financière de leur remboursement à long terme. Le rapport du KCE n'aborde pas directement la viabilité économique du remboursement des ATMP, mais il souligne que la question de leur coût élevé et des avantages qu'ils procurent aux patients reste un sujet délicat pour les autorités de santé publique.La collaboration avec l'industrie pharma n'est-elle pas une nécessité (elle a besoin de data et les chercheurs ont besoin d'argent) ?La relation entre les académiques et l'industrie pharmaceutique est une question essentielle. La collaboration avec le secteur pharma est souvent indispensable, notamment pour financer la recherche et assurer la collecte de données cliniques à grande échelle. Toutefois, l'étude du KCE n'avait pas pour objectif d'examiner cette question en profondeur. Il n'y a pas de tabou sur une éventuelle coopération avec l'industrie ; la manière de l'organiser reste une question ouverte.Quelles sont les principales conclusions du rapport ? Quelles recommandations ?Le rapport met en avant plusieurs difficultés majeures qui freinent le développement des ATMP par les universités belges. Tout d'abord, le coût très élevé du développement de ces thérapies représente un obstacle de taille. Actuellement, aucun mécanisme clair ne permet aux académiques belges d'obtenir un financement coordonné de la part des pouvoirs publics. En raison de la fragmentation des compétences entre la recherche (régionale) et la santé publique (fédérale), les chercheurs doivent solliciter plusieurs autorités différentes, rendant le processus laborieux et incertain. Une première recommandation du KCE est donc de mettre en place un plan de coopération entre ces instances pour simplifier et renforcer le soutien aux académiques engagés dans le développement d'ATMP.Ensuite, le rapport souligne l'importance d'une meilleure coordination entre les institutions académiques elles-mêmes. Actuellement, chaque université tente de développer ses propres capacités techniques, ce qui disperse les ressources et limite la capacité du pays à se structurer efficacement dans ce domaine. Il serait donc préférable de favoriser des collaborations interuniversitaires afin d'optimiser les compétences et les infrastructures.Quel impact aura ce rapport ? Frank Vandenbroucke, qui a créé le KCE et rempile à la Santé publique, est sûrement à l'écoute...Certains rapports ont une influence immédiate sur les politiques publiques, tandis que d'autres servent surtout de référence pour de futures décisions administratives. Dans le cas présent, il s'agit avant tout d'une analyse préliminaire qui pourrait être exploitée ultérieurement par les autorités compétentes....