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On connaissait déjà le cas de deux frère et soeur français qui souffraient de ce syndrome rare et très grave qu'on appelle analgésie congénitale. Le plus souvent de cause génétique, elle se caractérise par la perte du sens de la douleur sous toutes ses formes et sur tout le corps, avec conservation des autres sensations tactiles.Le frère et la soeur s'amusaient à se frapper jusqu'aux fractures et se brulaient quotidiennement dans la cuisine. Mais ils sont morts tous deux d'une infection intestinale non détectée... ou du moins trop tard. Car ce n'est pas la maladie qui tue mais l'absence du signe d'alarme qu'est la douleur.Cette fois, il est question de six membres d'une famille originaire de Sienne, les Marsili, une grand-mère de 78 ans, ses deux filles et ses trois petits-enfants, tous nés avec cette maladie héréditaire rare. En réalité, ils ressentent de la douleur, ou plutôt ils la perçoivent, mais cela ne dure qu'un bref instant et ils n'ont donc jamais mal.Au premier abord, cette situation peut sembler avantageuse mais elle peut aussi vite tourner au cauchemar car l'insensibilité à la douleur peut faire en sorte que les Marsili ne soient pas conscients de brûlures et de blessures graves qui pourraient nécessiter des soins médicaux importants.C'est le cas de Letizia qui a skié un après-midi entier après avoir chuté, sans se rendre compte qu'elle s'était fracturé la scapula et la clavicule de l'épaule droite. Elle ne se rendit à l'hôpital que le lendemain matin " parce que ses doigts picotaient ", rapporte la BBC.Un de ses fils Ludovico est footballeur amateur. Il reste rarement au sol, même lorsqu'il est renversé. Cependant, les rayons X ont montré qu'il possède beaucoup de micro-fractures dans les deux chevilles. Quant à son autre fils, Bernardo, il ne s'était jamais rendu compte qu'il s'était fracturé le coude lors d'une chute de vélo. Ce sont les calcifications mises en évidence lors de la radiographie qui l'ont révélé.Il s'avère aussi que cinq des six membres ne perçoivent pas normalement la chaleur et le froid. Ils présentent même une sensibilité très faible voire inexistante à une chaleur extrême. Autre particularité : tous sont peu sensibles, voire insensibles à la capsaïcine, un composant du piment qui produit une sensation de brûlure dans la bouche.Intrigués par la famille Marsili, des scientifiques de l'Université de Sienne et de l'University College London ont entrepris de découvrir l'origine de l'anomalie.Ils ont commencé par explorer la piste d'une absence de nerfs étant donné que ce sont eux qui apportent au cerveau les informations issues des récepteurs de la douleur. Mais cette hypothèse a rapidement été écartée car les six personnes concernées présentent une densité de fibres nerveuses tout à fait normale, ce qui signifie que leurs nerfs sont tous là même s'ils ne fonctionnent pas comme ils devraient.Par contre, le séquençage complet de leur génome a montré que tous portaient une mutation sur un gène appelé ZFHX2. Ce gène, que possèdent tous les humains ainsi que d'autres espèces comme les souris et les grenouilles, est connu pour contrôler l'activité de 16 autres gènes impliqués dans la sensibilité à la douleur.La mutation identifiée empêche le gène d'exprimer une protéine cruciale. Résultat : en dépit d'un réseau nerveux tout à fait normal, le signal de douleur n'est pas enclenché.Afin de vérifier que ce gène est bien à l'origine de l'étrange et super pouvoir des Marsili, les chercheurs ont réalisé deux expériences sur un modèle murin. Après avoir inactivé le gène ZFHX2, ils ont observé que ces souris ressentaient moins la douleur que les souris normales lorsque des stimuli douloureux leur étaient appliqués sur la queue mais aussi qu'elles étaient encore réceptives à des températures élevées.Les chercheurs ont ensuite provoqué chez des souris la même mutation que celle retrouvée chez la famille Marsili. Résultat : les petits rongeurs se sont avérés être beaucoup moins sensibles à des forts niveaux de chaleur.Désormais, tout en précisant que deux autres mutations susceptibles de causer cette maladie font aussi l'objet de recherches et même s'ils ne connaissent pas encore tous les paramètres de l'anomalie qu'ils ont épinglée, les scientifiques espèrent que la découverte de la variante du gène ZFHX2 va les aider à créer de nouveaux traitements pour lutter contre les douleurs chroniques, un fléau qui touche en moyenne une personne sur dix." Si nous trouvons un moyen d'imiter le phénotype de la famille Marsili en surexprimant le facteur de transcription muté, nous pourrions aboutir à une thérapie génique ", déclare le Dr Abdella Habib, premier auteur de l'étude.Ce dernier constat n'emballe guère la famille italienne. En effet, les Marsili ne souhaitent pas que l'on touche à leur mutation génétique. Malgré les risques bien réels qu'elle leur fait courir, ils se disent reconnaissants de ne pas avoir à faire face à la douleur, source de souffrance pour tant d'autres personnes." Au jour le jour, nous menons une vie très normale, peut-être meilleure que le reste de la population, car nous ne ressentons presque aucune douleur ", a déclaré Letizia.