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Au soir de ce jeudi 10 avril, les négociateurs du Parlement et du Conseil européens sont parvenus à un accord provisoire sur la refonte des règles en matière de sécurité des jouets. Objectif: mieux protéger la santé et le développement des enfants. Le texte, qui doit encore être approuvé par le Parlement en plénière en deuxième lecture, étend notamment la liste des substances interdites dans les jouets.Ainsi, au-delà de l'interdiction, déjà, des substances cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR), l'accord interdit également les produits chimiques qui présentent des risques particuliers pour les enfants, comme les perturbateurs endocriniens, les substances nocives pour le système respiratoire, les produits chimiques toxiques pour la peau ou d'autres organes. Sur l'insistance du Parlement, ces nouvelles règles interdisent également les PFAS (substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées) et les catégories les plus dangereuses de bisphénols. Enfin, les parfums allergènes dans les jouets qui peuvent aller à la bouche des enfants âgés de moins de 36 mois seront également interdits.La Pre Anne-Simone Parent, endocrinologue pédiatrique responsable du département universitaire de pédiatrie du CHU de Liège, préside la Task Force européenne de la Société mondiale d'endocrinologie (Endocrine Society), qui se concentre sur les effets des perturbateurs endocriniens. À ce titre, elle est régulièrement impliquée dans des interactions avec l'Union européenne, interactions qui permettent aux experts scientifiques comme elle d'informer correctement les commissaires européens, leurs cabinets et les parlementaires en vue des futurs législations. L'accord sur les jouets s'inscrit en droite ligne avec les recommandations des médecins.Le journal du Médecin: Vous venez de mener une mission avec d'autres scientifiques, tous experts en perturbateurs endocriniens... Pre Anne-Simone Parent: Il s'agissait d'une action conjointe avec la Société européenne d'endocrinologie (ESE). Nous étions plusieurs représentants de chaque société scientifique. Nous interagissons et dialoguons beaucoup, et essayons désormais de faire les choses ensemble pour avoir plus d'impact. Il y avait la Pre Ana Soto (Tufts University, Boston, USA), le Pr Josef Köhrle (Charité, Berlin, Allemagne), la Dre Pauliina Damdimopoulou (Karolinska Institutet, Stokholm, Suède) et le Pr Angel Nadal (Université d'Alicante, Espagne). Nous avons rencontré Jessika Roswall, la commissaire suédoise à l'Environnement, puis le bureau de la vice-présidente de la Commission européenne, Teresa Ribera. On demande souvent aux médecins des recommandations quant aux perturbateurs endocriniens, notre message est surtout qu'il faut légiférer et retirer les perturbateurs endocriniens du marché parce que limiter son exposition, à l'échelle individuelle, n'est pas suffisant. Donc c'est l'industrie, et notamment l'industrie agroalimentaire, qui doit agir, davantage que les citoyens à leur petite échelle? Oui, et toute l'industrie, pas que l'agro-alimentaire, parce que les produits industriels passent dans les sols et les eaux. Nous sommes exposés par voies digestive, transdermique et respiratoire. Nous avons plusieurs messages, à commencer par un meilleur testing: il n'est pas adapté, il faut préciser et revoir la façon dont les substances sont évaluées avant même leur mise sur le marché.Il faut être plus rigoureux avec les doses autorisées?Autoriser certaines doses, c'est exactement ce que l'industrie veut: c'est définir une dose en dessous de laquelle nous ne serions pas en danger. En réalité, nous sommes exposés à des dizaines de substances, et qui n'ont pas un effet dose-réponse linéaire: on peut avoir un effet pour des doses faibles et un effet non présent pour des doses élevées. Et il y a des effets synergiques entre substances: prises séparément, elles n'ont pas d'effet, mais quand on les associe, elles ont un effet, aux mêmes concentrations. Viser la définition d'une dose non dangereuse n'est pas la méthode adaptée. Un perturbateur endocrinien va avoir des effets différents à des doses différentes selon l'organe étudié, le type cellulaire ou la fonction cellulaire étudiée mais aussi de la période à laquelle on est exposé. Ce n'est pas la bonne façon d'approcher les choses. Ce que l'on plaide, c'est de screener de façon adaptée et stricte pour détecter les perturbateurs endocriniens et les interdire dans les produits à destination du consommateur.Vous avez l'impression que les experts sont écoutés par les politiques?Oui, avec toute la difficulté de ces interactions-là, bien sûr. Après les élections européennes, qui ont engendré de nouvelles orientations politiques, nous nous demandions si nous allions encore être écoutés. La démarche est d'aller voir des gens relativement ouverts - les autres, souvent, ne nous accordent même pas de temps. Donc, ce sont forcément des gens qui s'intéressent au sujet. Notre démarche consiste à leur fournir des outils, des éléments à défendre. Ici, nos interlocuteurs ont posé beaucoup de questions, donc on a eu l'impression d'être écoutés - ce ne serait pas nécessairement le cas avec tous les commissariats... Y a-t-il un espoir, à notre niveau européen, d'arriver à interdire des perturbateurs ou à forcer l'industrie? Il y a des avancées - mais ça a pris dix ans - comme l'interdiction du bisphénol A, que l'on considère comme une victoire. Nous aimerions cependant pousser vers des restrictions basées sur des familles chimiques pour ne pas redécouvrir, pour chaque substance, le même problème: les produits qui remplacent le bisphénol A, comme le bisphénol S, ont les mêmes caractéristiques chimiques. Des études sont publiées, qui montrent des effets de perturbation endocrinienne. Ça prend dix ans pour chaque substance...Il y a aussi le règlement CLP (31 mars 2023), qui impose sur les emballages des informations claires et où l'on retrouve une définition des perturbateurs endocriniens. C'est une victoire dans le sens où l'on peut l'utiliser pour dire: 'Regardez, vous avez réussi à définir ce qu'était un perturbateur endocrinien, utilisons-le pour légiférer...'C'est un combat de très longue haleine...Ça fait quatre ou cinq ans que j'ai rejoint la Task Force de l'Endocrine Society, mais ça fait des années que le combat est en place. C'est extrêmement long. Mais j'ai l'espoir qu'on puisse y arriver, par petits pas. Le message doit aussi venir de la base, par le vote, en informant la population et les politiciens. Il faudra un mouvement de l'industrie: pour le moment, on est face à des lobbies qui s'opposent, une partie de l'industrie a compris qu'il y a une possibilité de chimie verte, une autre l'utilise comme argument business, et puis une troisième y est strictement opposée. Quels conseils les médecins peuvent-ils donner à leurs patients? Protéger les femmes enceintes et les jeunes enfants est une priorité. De manière plus générale, limiter le nombre de cosmétiques, se débarrasser des poêles non adhésives, ne pas réchauffer au micro-ondes dans des emballages ou contenants en plastique, ne pas emballer la nourriture dans le plastique comme du film fraîcheur, ouvrir les fenêtres quand on balaie ou aspire car les poussières chargées de perturbateurs pénètrent par le système respiratoire... Mais le message est que les perturbateurs sont partout et qu'il faut légiférer. Quelles sont les prochaines échéances au niveau scientifique? On essaie d'être à tous les niveaux en termes d'information des cliniciens et des chercheurs. Un congrès est organisé à Copenhague [1], qui est vraiment à la pointe en termes de recherche. Il rassemble, tous les deux ou trois ans, les chercheurs impliqués dans le domaine des perturbateurs endocriniens. Le congrès conjoint de l'ESE et l'ESPE, cette année [2], va également adresser la question des perturbateurs endocriniens pour les cliniciens. Il existe aussi un congrès annuel organisé par la Commission européenne, un forum (Annual forum on endocrine disruptors, le sixième s'est déroulé fin octobre 2024 à Bruxelles, NdlR), qui rassemble sur deux jours les législateurs, les scientifiques et les gens de l'industrie pour permettre à tout le monde de se parler. Il faut sortir d'une vision dichotomique et tendre à ce que mondes scientifique et industriel discutent et échangent sur les résultats.