Le 2 avril, la ministre wallonne de l'Agriculture, Anne-Catherine Dalcq (MR), présentait dans Le Soir (1) son plan de réduction des pesticides. Objectif affiché : "dresser un état des lieux " des outils existants pour protéger les cultures sans "compromettre la santé, l'environnement et la sécurité alimentaire ". Une consultation sectorielle est annoncée pour septembre, sous forme "d'états généraux de la protection des cultures". Elle réunira producteurs de semences, industriels phytos, syndicats, centres de recherche et acteurs du digital farming.
Mais très vite, certaines de ses déclarations ont fait réagir. Notamment sa description des pesticides comme des "molécules trouvées dans la nature que l'on a modifiées un peu ", ou encore son insistance sur le rôle des toxicologues pour encadrer les usages. Dans les milieux scientifiques et médicaux, cette approche est jugée partielle, voire trompeuse.
Une réplique ferme de la médecine générale
La réaction ne s'est pas fait attendre. Dans une carte blanche publiée le 8 avril (2), la Société scientifique de médecine générale (SSMG), en collaboration avec le professeur Bruno Schiffers (Gembloux Agro Bio Tech / ULiège), prend clairement position : "Assimiler un pesticide à "une molécule trouvée dans la nature" est au mieux l'indice d'une sérieuse méconnaissance de ces produits [...], au pire, l'indice de la volonté de nier leur dangerosité pourtant avérée."
Les auteurs rappellent que la grande majorité des pesticides actuels sont des molécules de synthèse, chimiquement modifiées, persistantes et parfois bioaccumulables. Ils dénoncent également des lacunes structurelles dans le système d'autorisation européen : évaluations simplifiées en laboratoire, absence de tests en conditions réelles, effets secondaires découverts trop tard. Le retrait du Flufénacet (un herbicide), d'abord autorisé puis interdit après usage, en serait un exemple emblématique.
La SSMG conteste aussi une autre affirmation de la ministre : "Tous les paramètres de santé sont contrôlés par des toxicologues. " Les médecins répliquent : les essais initiaux "ne reflètent pas la complexité du vivant " et les interdictions tardives "n'empêchent pas les effets néfastes de perdurer ".
"Une dangereuse désinformation "
Contactée par Le journal du Médecin, Céline Bertrand, membre de la cellule Environnement de la la SSMG, détaille les motivations de cette prise de parole : "Dans la majorité des cas, un pesticide est une molécule chimique de synthèse. Ce n'est pas "trouvé dans la nature". Ces propos, relayés dans la presse, participent à une dangereuse désinformation. "
Elle déplore une forme de renversement du discours : "On prétend que ces produits sont nécessaires pour garantir la sécurité alimentaire, mais on oublie que leur usage massif détruit justement les pollinisateurs, altère les sols, et contribue à une perte de biodiversité qui menace les cultures elles-mêmes. "
Selon elle, l'évaluation sanitaire des pesticides reste largement imparfaite. "Les effets sont évalués en laboratoire, dans des conditions idéales. Ce n'est qu'après plusieurs années d'usage que l'on observe les effets réels, souvent irréversibles, sur la santé et l'environnement. " Et d'ajouter : "Aujourd'hui, on retrouve des pesticides dans le sang d'une majorité de Belges. Les femmes enceintes, les enfants, sont également contaminés et particulièrement vulnérables. Parmi les nombreux problèmes de santé mis en lien avec les expositions aux pesticides, les troubles neurodéveloppementaux pourraient être liés à ces expositions précoces."
Soignants en première ligne, pouvoirs publics absents
Face à ce constat, la SSMG regrette de ne pas être associée aux discussions préparées dans les "états généraux" : "Les entreprises phytos, les semenciers, oui. Mais pas les professionnels de la santé. Comment peut-on discuter des solutions en ignorant ceux qui soignent les victimes ? " Pourtant, Céline Bertrand souligne une mobilisation croissante des soignants : "Les médecins sont des figures de confiance. Lorsqu'ils s'informent et sensibilisent leurs patients, ça fait bouger les lignes. "
Mais la pression ne peut reposer uniquement sur la première ligne. Des mesures politiques concrètes sont attendues : protéger les zones de captage, interdire les épandages près des habitations, créer un réseau de surveillance des pathologies pédiatriques, et surtout, revoir en profondeur le principe d'autorisation : "Aujourd'hui, la procédure d'autorisation des produits phytopharmaceutiques est lacunaire à plus d'un titre. En plus de ne pas tenir compte de la complexité des systèmes naturels, elle ne tient pas non plus compte du fait que les citoyens et les publics vulnérables comme les femmes enceintes et les enfants sont exposés quotidiennement à des mélanges de plusieurs pesticides perturbateurs endocriniens qui peuvent avoir des effets cumulatifs ou synergiques ", estime Céline Bertrand.
Une ligne rouge scientifique ?
Au-delà des enjeux techniques, la SSMG alerte sur un possible glissement idéologique. "Les déclarations de Madame Dalcq nous ramènent à un discours post-vérité", confie Céline Bertrand.
La carte blanche concluait de la même manière : "Nous, professionnels de santé et scientifiques, affirmons que l'on ne peut impunément balayer d'un revers de main les données scientifiques. À l'instar de nombreuses autres sociétés scientifiques, il est de notre devoir de prendre position afin de protéger tous nos patients, et en premier lieu, les enfants, les agriculteurs et agricultrices, qui sont les premières victimes de ces pesticides. C'est pourquoi nous demandons à la ministre de l'Agriculture de sortir du déni et de prendre ses responsabilités. Nous plaidons pour une politique alimentaire vertueuse qui protège la santé et l'environnement, car c'est ce que nous avons de plus précieux. "
Une réponse semble-t-il appréciée du terrain, ce pourquoi la SSMG l'a ouverte à signatures pour les médecins, professionnels de la santé et scientifiques.
Pour consulter la réponse au ministre formulée par le SSMG et le professeur Bruno Schiffers :
Références :
Comprendre les pesticides : définitions et nuances
En ces temps de désinformations, quelques rappels, même basiques, peuvent être utiles.
Pesticide : Terme générique désignant toute substance destinée à tuer ou repousser un organisme jugé nuisible pour les cultures (insectes, champignons, herbes...).
Biopesticide : Pesticide d'origine biologique (micro-organismes, extraits végétaux...). Moins persistants, mais usage encore minoritaire.
Molécule de synthèse : Substance créée ou modifiée chimiquement en laboratoire. La majorité des pesticides en usage sont de synthèse.
Perturbateur endocrinien : Substance chimique capable d'interférer avec le système hormonal. Risques accrus en période de développement (in utero, enfance...).
Coformulants : Additifs des produits phytos (solvants, métaux lourds...) parfois eux-mêmes toxiques.
Effets cocktails : Interactions entre substances chimiques entraînant des effets accrus, mal pris en compte dans les évaluations actuelles.