Dans son livre "Protéger les vivants", le Pr Alain Fischer raconte son parcours de médecin, pédiatre, spécialiste des maladies du système immunitaire, et de chercheur à l'hôpital Necker de Paris. Il livre ses réflexions en tant que conseiller dans le cadre de la vaccination contre le covid et quant aux relations entre soins et recherche médicale.
Le journal du Médecin : Vous insistez, dans l'avant-propos, sur l'importance de l'unité de lieu entre soins et recherche...
Pr Alain Fischer : En premier lieu, conceptuellement, cela signifie que sur un même site on soit capable de soigner des patients et de réfléchir sur des questions scientifiques qu'ils posent : comprendre leur maladie, l'identifier, la prévenir, la traiter, offrir tout ce qui fait l'objet de la recherche biomédicale, l'unité de lieu, de temps et d'action, comme dans le théâtre classique.
D'un point de vue pratique, et de manière complètement consubstantielle par rapport à ce premier point, cela permet à des personnes telles que moi, au cours de leur carrière, d'exercer les deux métiers en même temps sans avoir à se déplacer. J'ai eu la chance de pouvoir passer du service clinique au laboratoire en moins d'une minute, ce qui me permettait d'effectuer des va-et-vient permanents entre disciplines. Ce qui est essentiel lorsqu'on est impliqué dans cette double activité, mais permet également de favoriser les liens entre les équipes de recherche et les équipes cliniques, de prendre le café ensemble, de se réunir, de se voir façon informelle... Ce n'est pas que c'est impossible dans le cas contraire - on peut notamment organiser des visioconférences et user d'autres alternatives -, mais cela se révèle moins naturel, moins spontané et exige de l'initiative, de la prise de rendez-vous, par exemple. La distance complique les choses. Et ce n'est pas par hasard si, dans un grand nombre de lieux de par le monde, se sont créés des laboratoires de recherche sur des sites hospitaliers de l'autre côté de la rue. Une démarche qui est à la fois conceptuelle et pratique.
Quel peut être l'apport que l'IA dans la thérapie génique de demain ?
L'IA est un outil désormais présent partout en recherche scientifique. On l'utilise notamment dans le cadre de l'analyse de génomes. Leur rôle n'est pas central dans le développement des thérapies géniques, mais c'est un complément utile pour faire progresser les connaissances sur la compréhension du développement technologique autour de la thérapie génique des vecteurs.
Quand l'écoute " soigne "...
À vous lire, l'homéopathie " guérit " par l'écoute ?
Oui, l'écoute, c'est l'effet placebo...
L'homéopathie remplace un manque d'écoute de la médecine " traditionnelle " ?
En France, en tout cas, les médecins généralistes sont surchargés et ne disposent donc pas du temps nécessaire à accorder à leurs patients, ce qui génère des frustrations chez certains d'entre eux. Compenser le manque d'écoute par une ordonnance, ce n'est pas forcément une solution adéquate. L'homéopathie représente dès lors une solution alternative à ce niveau : de ce fait, la " thérapeutique " peut fonctionner par effet placebo, le patient se sentant en confiance avec le médecin homéopathe. L'homéopathie ne fait donc que compenser une lacune du système de santé.
Selon vous, les fausses infos émanent toujours du milieu scientifique, de façon intentionnelle ou pas...
Oui, bien sûr, et pas qu'au niveau scientifique médical : prenons simplement l'exemple du réchauffement climatique. Mais dans le secteur médical, nous avons connu récemment en France le cas de Didier Raoult durant la crise du covid. Ailleurs, en Grande-Bretagne, le Dr Wakefield faisait le lien entre autisme et vaccination contre la rougeole. À l'époque, Peter Duesberg, biologiste de renom, s'est quant à lui opposé aux États-Unis à la théorie de l'origine virale du sida. Au départ, il y a toujours un médecin ou un scientifique qui, soit de façon sincère, en partie souvent pour des questions de psychologie et de psychopathologie, soit carrément de façon non sincère, pour des raisons financières dans le cas de Wakefield en Grande-Bretagne, développe des idées fausses relayées par les médias en s'appuyant sur leur " légitimité scientifique ". Laurent Mucchielli, sociologue du CNRS, a, durant la crise du covid, écrit toute une série d'articles faux sur la mortalité provoquée par la vaccination, même s'il ne disposait pas de beaucoup d'expertise pour évaluer l'efficacité ou la toxicité d'un vaccin.
Le 'grand' Raoult
C'est d'autant plus fâcheux quand un président de la République rend visite au Pr Raoult à Marseille...
Évidemment. C'était absolument dramatique ! Le Président ne le fait évidemment pas parce qu'il croyait dans les théories de Raoult, mais pour des raisons politiques : le professeur marseillais avait pris une telle importance médiatique, qu'il fallait le concilier et faire en sorte qu'il ne devienne pas un opposant politique. Mais cette démarche reste affligeante. Cela pose la question de la culture scientifique chez les politiques. Un homme politique qui a une conscience suffisante des questions scientifiques n'aurait jamais agi de la sorte. Cet épisode témoigne d'une méconnaissance assez profonde du politique envers l'univers scientifique.
Cela revenait à adouber Raoult, en quelque sorte...
Les choses ont ensuite très vite évolué, mais il est clair que ce jour-là, le président l'a clairement adoubé. Il le légitimait en agissant de la sorte.
"En France, 70 % de la population reste confiante dans la démarche scientifique, mais on note une montée en puissance de la défiance parmi une fraction." - Pr Alain Fischer
Comment expliquer la perte de confiance que l'on observe dans le public vis-à-vis de la science ?
En France, à peu près 70 % de la population reste confiante dans la démarche scientifique. La baisse n'est pas très importante. Par contre, on note une expression beaucoup plus forte des courants relativistes et une montée en puissance de la défiance dans une fraction de la population. Ce sont en fait l'irruption et la prévalence des réseaux sociaux et la médiatisation de ces expressions qui posent problème. Mais depuis la découverte des vaccins, il y a toujours eu des antivaccins. Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment beaucoup plus présent désormais en termes de proportion au sein de la population. Mais on peut sans doute légitimement s'inquiéter pour les jeunes générations. Les enquêtes d'opinion montrent que les 18-25 ans semblent disposer de moins de repères rationnels dans leur façon de raisonner.
Pensez-vous qu'en général, la vaccination à l'école soit une solution appropriée ?
Elle permet en tout cas de toucher tous les enfants, quelle que soit leur classe sociale. On sait que malheureusement, les milieux défavorisés ne sont pas les plus réceptifs aux vaccinations. C'est aussi l'occasion de faire de l'éducation sanitaire. Dans les pays où la vaccination se pratique régulièrement à l'école, ce qui n'est malheureusement plus le cas en France mais des pays comme l'Australie, la Grande-Bretagne, la Suède, où il y a une vaccination bien organisée à l'école, sont des pays où, d'une manière générale, le vaccination fonctionne le mieux, dans lesquels les mouvements antivax sont moins importants.
Vaccination et démocratie
En ce qui concerne le papillomavirus, la vaccination devrait-elle être obligatoire ?
J'espère que cela ne sera pas nécessaire. Les campagnes d'information sont suffisamment efficaces et intenses au niveau de la transmission de messages, et parviendront sans doute à vaincre les résistances qui existent encore. Mais si ce n'est pas le cas, pourquoi pas ? L'enjeu est d'importance : en France, on parle de 6.000 cas par an ; pas moins de 1.000 femmes meurent du cancer du col de l'utérus chaque année, 90 % de ces décès sont évitables par la vaccination.
L'attitude d'une population face à la science constitue-t-elle un baromètre de la démocratie ?
Je ne sais pas. Les populations chinoises ont probablement une confiance assez élevée en la science, ce n'est donc pas forcément lié. À l'inverse, un pays qui fait preuve de très grande défiance à l'égard de la science a très peu de chances d'être démocratique, en tout cas pas dans la forme démocratique telle que nous l'envisageons. Il faut encore envisager la forme de démocratie illibérale ou populiste à la hongroise ou à la Bolsonaro. Un très bon exemple de cette mouvance est l'Argentine. Le nouveau président est en train de détruire complètement la recherche scientifique en coupant les crédits. Ce populiste démocratiquement élu s'oppose à la science. On ne peut donc totalement lier les deux aspects. Mais néanmoins, j'estime qu'il n'y a pas de démocratie telle que nous la considérons sans une forme de rationalité suffisante : qui dit rationalité, dit sciences, connaissances scientifiques... donc recherche.
Pr Alain Fischer. Protéger les vivants. Des enfants malades à la crise du covid. Odile Jacob.
Le journal du Médecin : Vous insistez, dans l'avant-propos, sur l'importance de l'unité de lieu entre soins et recherche...Pr Alain Fischer : En premier lieu, conceptuellement, cela signifie que sur un même site on soit capable de soigner des patients et de réfléchir sur des questions scientifiques qu'ils posent : comprendre leur maladie, l'identifier, la prévenir, la traiter, offrir tout ce qui fait l'objet de la recherche biomédicale, l'unité de lieu, de temps et d'action, comme dans le théâtre classique. D'un point de vue pratique, et de manière complètement consubstantielle par rapport à ce premier point, cela permet à des personnes telles que moi, au cours de leur carrière, d'exercer les deux métiers en même temps sans avoir à se déplacer. J'ai eu la chance de pouvoir passer du service clinique au laboratoire en moins d'une minute, ce qui me permettait d'effectuer des va-et-vient permanents entre disciplines. Ce qui est essentiel lorsqu'on est impliqué dans cette double activité, mais permet également de favoriser les liens entre les équipes de recherche et les équipes cliniques, de prendre le café ensemble, de se réunir, de se voir façon informelle... Ce n'est pas que c'est impossible dans le cas contraire - on peut notamment organiser des visioconférences et user d'autres alternatives -, mais cela se révèle moins naturel, moins spontané et exige de l'initiative, de la prise de rendez-vous, par exemple. La distance complique les choses. Et ce n'est pas par hasard si, dans un grand nombre de lieux de par le monde, se sont créés des laboratoires de recherche sur des sites hospitaliers de l'autre côté de la rue. Une démarche qui est à la fois conceptuelle et pratique.Quel peut être l'apport que l'IA dans la thérapie génique de demain ?L'IA est un outil désormais présent partout en recherche scientifique. On l'utilise notamment dans le cadre de l'analyse de génomes. Leur rôle n'est pas central dans le développement des thérapies géniques, mais c'est un complément utile pour faire progresser les connaissances sur la compréhension du développement technologique autour de la thérapie génique des vecteurs.À vous lire, l'homéopathie " guérit " par l'écoute ? Oui, l'écoute, c'est l'effet placebo...L'homéopathie remplace un manque d'écoute de la médecine " traditionnelle " ?En France, en tout cas, les médecins généralistes sont surchargés et ne disposent donc pas du temps nécessaire à accorder à leurs patients, ce qui génère des frustrations chez certains d'entre eux. Compenser le manque d'écoute par une ordonnance, ce n'est pas forcément une solution adéquate. L'homéopathie représente dès lors une solution alternative à ce niveau : de ce fait, la " thérapeutique " peut fonctionner par effet placebo, le patient se sentant en confiance avec le médecin homéopathe. L'homéopathie ne fait donc que compenser une lacune du système de santé.Selon vous, les fausses infos émanent toujours du milieu scientifique, de façon intentionnelle ou pas...Oui, bien sûr, et pas qu'au niveau scientifique médical : prenons simplement l'exemple du réchauffement climatique. Mais dans le secteur médical, nous avons connu récemment en France le cas de Didier Raoult durant la crise du covid. Ailleurs, en Grande-Bretagne, le Dr Wakefield faisait le lien entre autisme et vaccination contre la rougeole. À l'époque, Peter Duesberg, biologiste de renom, s'est quant à lui opposé aux États-Unis à la théorie de l'origine virale du sida. Au départ, il y a toujours un médecin ou un scientifique qui, soit de façon sincère, en partie souvent pour des questions de psychologie et de psychopathologie, soit carrément de façon non sincère, pour des raisons financières dans le cas de Wakefield en Grande-Bretagne, développe des idées fausses relayées par les médias en s'appuyant sur leur " légitimité scientifique ". Laurent Mucchielli, sociologue du CNRS, a, durant la crise du covid, écrit toute une série d'articles faux sur la mortalité provoquée par la vaccination, même s'il ne disposait pas de beaucoup d'expertise pour évaluer l'efficacité ou la toxicité d'un vaccin.C'est d'autant plus fâcheux quand un président de la République rend visite au Pr Raoult à Marseille...Évidemment. C'était absolument dramatique ! Le Président ne le fait évidemment pas parce qu'il croyait dans les théories de Raoult, mais pour des raisons politiques : le professeur marseillais avait pris une telle importance médiatique, qu'il fallait le concilier et faire en sorte qu'il ne devienne pas un opposant politique. Mais cette démarche reste affligeante. Cela pose la question de la culture scientifique chez les politiques. Un homme politique qui a une conscience suffisante des questions scientifiques n'aurait jamais agi de la sorte. Cet épisode témoigne d'une méconnaissance assez profonde du politique envers l'univers scientifique.Cela revenait à adouber Raoult, en quelque sorte...Les choses ont ensuite très vite évolué, mais il est clair que ce jour-là, le président l'a clairement adoubé. Il le légitimait en agissant de la sorte.Comment expliquer la perte de confiance que l'on observe dans le public vis-à-vis de la science ?En France, à peu près 70 % de la population reste confiante dans la démarche scientifique. La baisse n'est pas très importante. Par contre, on note une expression beaucoup plus forte des courants relativistes et une montée en puissance de la défiance dans une fraction de la population. Ce sont en fait l'irruption et la prévalence des réseaux sociaux et la médiatisation de ces expressions qui posent problème. Mais depuis la découverte des vaccins, il y a toujours eu des antivaccins. Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment beaucoup plus présent désormais en termes de proportion au sein de la population. Mais on peut sans doute légitimement s'inquiéter pour les jeunes générations. Les enquêtes d'opinion montrent que les 18-25 ans semblent disposer de moins de repères rationnels dans leur façon de raisonner.Pensez-vous qu'en général, la vaccination à l'école soit une solution appropriée ?Elle permet en tout cas de toucher tous les enfants, quelle que soit leur classe sociale. On sait que malheureusement, les milieux défavorisés ne sont pas les plus réceptifs aux vaccinations. C'est aussi l'occasion de faire de l'éducation sanitaire. Dans les pays où la vaccination se pratique régulièrement à l'école, ce qui n'est malheureusement plus le cas en France mais des pays comme l'Australie, la Grande-Bretagne, la Suède, où il y a une vaccination bien organisée à l'école, sont des pays où, d'une manière générale, le vaccination fonctionne le mieux, dans lesquels les mouvements antivax sont moins importants.En ce qui concerne le papillomavirus, la vaccination devrait-elle être obligatoire ? J'espère que cela ne sera pas nécessaire. Les campagnes d'information sont suffisamment efficaces et intenses au niveau de la transmission de messages, et parviendront sans doute à vaincre les résistances qui existent encore. Mais si ce n'est pas le cas, pourquoi pas ? L'enjeu est d'importance : en France, on parle de 6.000 cas par an ; pas moins de 1.000 femmes meurent du cancer du col de l'utérus chaque année, 90 % de ces décès sont évitables par la vaccination.L'attitude d'une population face à la science constitue-t-elle un baromètre de la démocratie ?Je ne sais pas. Les populations chinoises ont probablement une confiance assez élevée en la science, ce n'est donc pas forcément lié. À l'inverse, un pays qui fait preuve de très grande défiance à l'égard de la science a très peu de chances d'être démocratique, en tout cas pas dans la forme démocratique telle que nous l'envisageons. Il faut encore envisager la forme de démocratie illibérale ou populiste à la hongroise ou à la Bolsonaro. Un très bon exemple de cette mouvance est l'Argentine. Le nouveau président est en train de détruire complètement la recherche scientifique en coupant les crédits. Ce populiste démocratiquement élu s'oppose à la science. On ne peut donc totalement lier les deux aspects. Mais néanmoins, j'estime qu'il n'y a pas de démocratie telle que nous la considérons sans une forme de rationalité suffisante : qui dit rationalité, dit sciences, connaissances scientifiques... donc recherche. Pr Alain Fischer. Protéger les vivants. Des enfants malades à la crise du covid. Odile Jacob.