"Revenu de base inconditionnel", "revenu universel", "allocation d'existence"... Autant de termes qui reviennent ponctuellement dans le débat public sur l'avenir de l'État-providence. Tous désignent le même principe: un versement d'argent régulier, garanti et inconditionnel aux citoyens.
Le concept est loin d'être neuf - on l'attribue souvent à Thomas Paine à la fin du 18e siècle -, mais les preuves empiriques, notamment dans les pays riches, demeurent rares. Et elles sont souvent peu concluantes. Cela n'a pas empêché l'Allemagne de se lancer dans une expérience pilote grandeur nature entre juin 2021 et mai 2024, un essai contrôle randomisé mené par l'ONG Mein Grundeinkommen. Les résultats viennent de tomber.
La plus grande expérience de terrain d'initiative citoyenne
Quelque 1.687 personnes ont été sélectionnées parmi deux millions de candidats, toutes actives, âgées de 21 à 40 ans, vivant seules et disposant d'un revenu mensuel net de 1.100 à 2.600 euros. Parmi elles, 107 ont reçu un revenu de base inconditionnel (RBI) de 1.200 euros par mois pendant trois ans, les 1.580 autres servant de groupe contrôle. Des enquêtes étaient menées tous les six mois sur la santé mentale, la satisfaction de vie, le sommeil et les comportements sociaux.
Les impacts de cette expérience - "la plus grande au monde initiée par la société civile", se félicite l'ONG allemande - ont été analysés par des scientifiques de l'Institut allemand de recherche économique (DIW Berlin), de l'Université de Vienne (WU Wien), de l'Institut allemand pour la recherche sur le marché du travail (IAB), de l'Université d'Oxford, de la Frankfurt School of Finance & Management et de l'Université de Cologne. Les résultats permettent d'objectiver un peu mieux un débat qui ne manquera pas de revenir dans l'actualité politique.
Il serait souhaitable qu'à l'avenir, les débats scientifiques, politiques et sociaux soient davantage basés sur des faits", conseille le Pr Jürgen Schupp (DIW Berlin), qui a dirigé l'étude.
Pas de chômage volontaire
Premières conclusions, d'ordre général: les bénéficiaires du RBI n'ont pas arrêté de travailler pour la cause, ni même diminué significativement leurs heures de travail. Par contre, beaucoup ont continué à se former et se disaient plus satisfaits de leur vie professionnelle.
Les bénéficiaires ont augmenté leur épargne (jusqu'à un tiers du revenu mensuel épargné, après avoir réalisé quelques rêves de longue date dans un premier temps) et ont fait davantage de dons et aidé financièrement des proches (environ 125 euros par mois, soit le double du groupe contrôle). Le sentiment d'autonomie et de contrôle sur sa propre vie - pour la mener selon ses valeurs - était plus grand, les bénéficiaires étaient plus satisfaits de leur vie (+0.417 écart-type) et étaient plus épanouis dans leur vie sociale (+ 2h par semaine consacrées aux contacts sociaux par rapport au groupe contrôle).
De manière générale:
-72% des bénéficiaires du RBI ont mentionné une amélioration de leur sécurité financière.
-67% ont déclaré que le programme avait changé leur vie.
-63% ont donné davantage à autrui.
-25% ont mentionné une plus grande liberté de choix.
Des effets bénéfiques et durables en santé
L'étude montre une amélioration significative de la santé mentale (+0,347 écart-type), un meilleur équilibre émotionnel et psychologique, avec une diminution de la dépression et du stress mesurés à l'aide de l'index WHO-5 Well-being (dépression) et de l'échelle de stress PSS (Perceived Stress Scale).
Ces effets sont statistiquement significatifs et 81% persistent dans le temps, même six mois après la fin du programme, notent les chercheurs dans leur rapport. Les résultats sont nettement supérieurs (jusqu'à dix fois) à d'autres essais, notamment réalisés aux États-Unis (1.000 dollars/mois) ou après des gains à la loterie.
Par ailleurs, l'expérience RBI montre un effet sur le sommeil, tant sur sa durée que sur sa qualité: les bénéficiaires ont dormi en moyenne 2,3 heures en plus par semaine (soit environ 20 minutes par nuit), donc plus longtemps, mais aussi mieux (satisfaction du sommeil +0,290 écart-type). Différents mécanismes peuvent expliquer cette amélioration du sommeil: moins de stress (notamment financier) et d'isolement social, un meilleur équilibre vie professionnelle / vie privée, plus de loisirs, de voyages et d'investissement dans son bien-être personnel grâce au revenu garanti et régulier.
Une piste pour lutter contre l'absentéisme ?
On le sait, le surmenage, le stress chronique et les maladies psychiques sont des motifs majeurs d'arrêt maladie. "Un RBI peut conduire à des économies massives dans le système de santé et de sécurité sociale", assure Klara Simon, présidente du comité directeur de l'ONG Mein Grundeinkommen car "les personnes mentalement stables peuvent travailler de manière plus productive et innovante".
L'ONG allemande mettra à nouveau en jeu un demi-million d'euros en RBI à l'occasion de la prochaine Fête du travail (Tag der Arbeit) du 1er mai.