C'est maintenant établi : le 1er septembre prochain, tous les enfants belges, d'Ostende à Arlon, rentreront à l'école. Certes, avec des mesures de précaution particulières, mais sans masque et sans distanciation mécanique. Deux semaines plus tard, les étudiants du supérieur reprendront le chemin des auditoires, la part des cours par écrans ne dépassant pas le tiers.
Pour ceux qui ont pris la mesure, elle est garantie par l'observation que les enfants seraient majoritairement très peu porteurs du virus, que peu développent une forme sévère du virus et que les décès sont quasi inexistants en-dehors d'une forte co-morbidité.
Surtout, l'absence d'enseignement durant quasi quatre mois, suivi de deux mois de " vacances " dans tous les sens du mot est estimée dommageable pour la santé mentale de l'enfant. C'est ce qu'a rappelé un groupe de pédiatres - jusqu' alors inconnu- la Belgian Pediatric Covid-19 Task Force (lire leur tribune en entier sur www.lejournaldumedecin.com), rapidement soutenu par le principal syndicat médical, l'Absym. Pour ces pédiatres, il n'y a aucune raison médicale de ne pas rouvrir complètement les écoles à partir du 1er septembre et de permettre aux enfants de suivre un enseignement à temps plein. " La recherche scientifique montre que le risque de contamination par le Covid-19 à l'école est très faible. Si les portes de l'école restent fermées, c'est avec l'avenir de la jeunesse et de notre société que nous jouons ", argumentent-ils.
La recherche scientifique montre que le risque de contamination par le Covid-19 à l'école est très faible. Si les portes de l'école restent fermées, c'est avec l'avenir de la jeunesse et de notre société que nous jouons ", argumente la Belgian Pediatric Covid-19 Task Force.
" L'idée de faire redémarrer les écoles secondaires selon un scénario qui permettrait aux élèves d'accéder à l'école seulement quelques jours par semaine (NDLR : scénario orange) est très mauvaise. "
Pour les pédiatres, ne pas aller à l'école engendre une grande privation sociale chez les enfants et des risques psychosociaux, en particulier pour les groupes les plus vulnérables. Il y a le retard dans l'apprentissage et le rendu de la matière qui ne pourra plus être comblé. Les pédiatres voient dans des chiffres publiés par Sciensano " que le risque que les enfants et les enseignants contractent une infection à l'école est négligeable. Etant donné que personne ne peut prédire combien de temps durera la pandémie de Sras-CoV-2, nous n'avons, en tant que société, pas d'autre choix que d'ouvrir toutes les portes de l'école, sans aucune restriction, le 1er septembre ".
Les rassemblements étaient proscrits
Mardi 18 août, l'université de Caroline du Nord à Chapel Hill a annoncé le passage aux cours en virtuel pour près de 20.000 de ses étudiants après des dizaines de cas positifs, se résignant à un choix déjà fait par des centaines d'autres universités. La décision fait écho aux nombreuses villes américaines qui ont opté pour une rentrée hybride (quelques jours par semaine en classe) pour leurs écoles primaires et secondaires, ou 100% virtuelle dans le cas de grandes villes dont Chicago, Houston, Los Angeles et Washington. Le taux de positivité des tests réalisés sur le campus est passé de 2,8% à 13,6%. 349 étudiants ont été placés en quarantaine. Chapel Hill avait pourtant travaillé pendant des mois pour concilier pandémie et rentrée en présentiel. Elle avait distribué des kits contenant masques, gel hydroalcoolique, thermomètre et clé sans contact. Les cours avaient été espacés de 30 minutes. Le masque était obligatoire. La configuration des classes avait été aménagée pour permettre la distanciation. Les rassemblements de plus de 10 personnes en intérieur étaient interdits. Rien n'y a fait.
Les proviseurs italiens, déjà inquiets des conditions de la rentrée scolaire prévue le 14 septembre, exigent que leur responsabilité pénale ne soit pas engagée en cas de contagion par le Covid-19 dans leur établissement, ont rapporté mardi les médias italiens. "Il est urgent que le gouvernement insère dans un de ses prochains décrets un article révisant la possibilité de poursuivre les directeurs lors d'un éventuel cas de Covid dans un établissement", explique le président de l'Association nationale des proviseurs, Antonello Giannelli, cité par le quotidien Il Corriere della Sera.
De rares lavabos
Et pourtant, les conditions sanitaires dans les classes primaires et secondaires belges sont loin d'approcher ce niveau de contrôle. Il n'y a parfois qu'un lavabo pour plusieurs dizaines d'enfants.
En fait, deux points de vue s'opposent depuis la pandémie de grippe A/H1N1.
Pour une partie des chercheurs, comme Jennifer Nuzzo, chercheuse en santé publique au Johns Hopkins Center for Health Security, " si les enfants ne présentent pas de symptômes graves ni ne contribuent à la propagation du Covid-19, il est probable que les fermetures de classe n'auront que peu d'effet sur la propagation ". C'est ce qu'elle argumente dans une tribune parue récemment dans le New York Times, en précisant que la désorganisation économique et sociale liée à la fermeture des écoles pourrait faire plus de mal que de bien.
Pour d'autres chercheurs, ouvrir les classes est comme dégoupiller une grenade à fragmentation dans la société, un geste qui pourrait rendre l'épidémie complètement incontrôlable. Dans une interview à la revue scientifique américaine de référence Sciencemag, Nicholas Christakis, de l'université de Yale, penche au contraire pour un principe de précaution. Pour protéger les enfants au cas où, tout d'abord, mais surtout pour protéger les autres. Car les plus jeunes peuvent transmettre le virus à leur entourage. Toujours d'après l'OMS, " les données à ce jour suggèrent que 80% des infections pourraient être bénignes ou asymptomatiques ". Les enfants pourraient appartenir à cette catégorie de personnes qui ne présente peu ou pas de symptômes, comme une légère toux par exemple.
Difficile pour le moment d'évaluer leur nombre. Les premières études n'ont identifié que peu d'individus réellement asymptomatiques. Mais c'est aussi parce que, face à l'ampleur de la crise, tous les moyens sont concentrés sur le dépistage des patients présentant des symptômes conséquents, et il y a peu de test à grande échelle pour détecter des individus atteints par le virus mais qui n'en souffrent pas. Le nombre réel de personnes contaminées pourrait donc être sous-estimé.
Difficile d'appliquer les mesures barrières
Dans le doute, Nicholas Christakis incite à fermer préventivement les écoles dès que l'épidémie se rapproche. D'autant plus que les enfants ont du mal à respecter les mesures dites barrières. Se laver soigneusement et régulièrement les mains, tousser dans son coude, éviter de porter les mains au visage... autant de précautions complexes à intérioriser pour un enfant.
Autre argument en faveur de la fermeture des écoles : en période de pandémie, la stratégie est de limiter les contacts, pour freiner la propagation du virus. Or, l'école est l'un des points de passage les plus importants, quand les enfants jouent ensemble, quand ils échangent avec leurs professeurs ou les autres agents, ou encore quand les parents discutent entre eux à la sortie des classes.
" Les fermetures de classe dites proactives s'avèrent être l'une des mesures non-pharmaceutiques les plus puissantes " affirme Christakis, de Yale. Il s'appuie sur l'analyse des données de la grippe espagnole de 1918, où " les fermetures proactives ont sauvé un nombre substantiel de vies. Quand vous fermez les écoles, vous réduisez les échanges entre adultes, poursuit-il. Vous forcez efficacement les parents à rester à la maison. Obligés de garder leurs enfants, les parents se tournent vers le télétravail ou se résignent à poser des jours de congés. Par ricochet, ils évitent les contacts avec leurs collègues ou les passagers des transports en communs, autant de contaminateurs potentiels ".