Alors que les troubles psychologiques touchent de plus en plus de Belges, l'accès aux soins reste insuffisant. Les délais sont longs, les professionnels manquent et les antidépresseurs restent souvent la seule réponse. Malgré des avancées, notamment avec la convention des soins psychologiques, de nombreux patients passent encore à côté d'une prise en charge adaptée. Faut-il aller plus loin pour garantir un accès réel et durable à ces soins essentiels ? Oui, répond Solidaris au jdM.
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La santé mentale occupe les esprits depuis plusieurs décennies. Comment expliquez qu'une importante et croissante proportion de Belges (par extension de vos membres) connaissent des problèmes de santé mentale ? Avez-vous des enquêtes qualitatives sur ce sujet ?À l'instar de l'enquête menée dans le cadre de cette étude, nous avons réalisé lors de ces 13 dernières années différentes enquêtes qui se penchent sur l'état de santé mentale de la population francophone ainsi que sur les besoins et la perception de l'offre. Ces enquêtes ne se penchent pas sur les raisons de la dégradation observée de l'état de santé mentale.Par contre, en parallèle à ces enquêtes spécifiques à la santé mentale, nous réalisons chaque année depuis 10 ans un baromètre " Confiance et bien-être ". Les résultats de notre 10ème édition ont été médiatisés fin de l'année dernière.Que disent, en gros, les données dont vous disposez?En ce qui concerne les évolutions globales à long terme (sur 10 ans), on peut soulever quelques évolutions importantes : Un premier constat est une détérioration à long terme de la perception de notre système de soins de santé. En effet, on compte davantage de Belges francophones qui estiment qu'il y a trop de temps d'attente pour être admis à l'hôpital (de 49,2% en 2015 à 63,4% cette année, soit + 14,2 points) et pour avoir un rendez-vous chez un spécialiste (de 75,9% à 83,3%, soit + 7,4 points) alors qu'ils sont moins à estimer qu'il y a suffisamment de structures hospitalières (de 82% à 74,3%, soit - 7,7 points) et de professionnels de la santé dans leur région (de 76% à 51%, soit - 25 points). Ensuite, sur la question du travail, on note quelques évolutions marquantes allant dans le sens d'une détérioration : une baisse de la part de ceux qui estiment que leur travail est une source de bien-être (de 61,9% à 40,3%, soit - 21,6 points) ; une baisse de la part qui déclare avoir suffisamment de temps pour faire des choses en dehors de son travail (de 54,2% à 42%, soit - 12,2 points) et une baisse de la part qui réussisse à concilier le rythme de de travail avec les contraintes de la vie privée (de 60,5% à 52,4%, soit - 8,1 points). En outre, concernant les évolutions sur des aspects personnels, on observe une détérioration à long terme sur plusieurs items : une baisse de ceux qui estiment être souvent reconnus à leur juste valeur (de 62,3% à 50,4%, soit - 11,9 points) ; une baisse de la part de personnes qui déclarent parvenir à réaliser leurs projets (de 60,2% à 51,2%, soit - 9 points) et une diminution de la part qui estime avoir réussi sa vie (de 70,3% à 61,5%, soit - 8,8 points).D'un point de vue plus sociétal, on compte moins de Belges francophones qui trouvent que les inégalités sociales sont insupportables dans notre société (de 72,8% à 63,8%, soit - 9 points) et que les inégalités dans l'accès à l'emploi sont importantes en Belgique (de 67,2% à 59,3%, soit - 7,9 points). On en compte moins qui trouvent qu'il y a trop d'immigrés dans notre société (de 52% à 40%, soit - 12 points) et davantage qui estiment qu'il y a trop de racisme et de xénophobie (de 66,2% à 74%, soit + 7,8 points). Par ailleurs, il y a une hausse du pessimisme face à l'évolution de la société (de 44,8% à 56,7%, soit + 11,9 points) et une baisse de la confiance vis-à-vis des avancées de la science en tant que source de solution aux problèmes que nous rencontrons aujourd'hui (de 71,7% à 54,7%, soit - 17 points).En revanche, concernant la sécurité, deux diminutions importantes sont à noter : d'une part, la baisse de la crainte des risques terroristes sur le territoire belge (de 58% à 36,3%, soit - 21,7 points) et d'autre part, la baisse du sentiment d'insécurité (de 38,6% à 31,3%, soit - 7,3 points). Sur l'UE et les institutions européennes, on note une baisse de Belges francophones qui pensent que la population belge vivrait mieux sans les institutions européennes (de 42,5% à 33,7%, soit - 8,8 points).Enfin,on note que la confiance envers la presse et les journalistes diminue de 8,9 points entre 2015 et 2024 (de 29% à 20,1%).L'éloignement géographique avec un cabinet de psychologue ou psychiatre dans les campagnes n'est-il pas insoluble ?L'offre de la convention soins psychologiques s'inscrit dans une approche intégrée des soins de santé mentale, c'est-à-dire une approche centrée autour du patient, au sein de son lieu de vie (par exemple dans les lieux de " rencontre " : CPAS, écoles, etc.) et en collaboration interdisciplinaire entre les différents acteurs concernés (entourage, médecin généraliste, psychologue). En ce sens, la dimension intégrée de la convention vise précisément à réduire l'éloignement géographique des patients avec les prestataires.Si la première mouture de la convention (2021-2023) a vu une représentation très importante des consultations de psychologie de première ligne individuelles en cabinet, la convention renouvelée (2024-2026) a encore davantage renforcé l'approche communautaire, ancrée dans les lieux de vie des patients, afin d'améliorer l'accès aux publics vulnérables les plus difficiles à atteindre. Notamment, la nouvelle convention (2024-2026) a accentué l'offre des séances de groupe, afin d'étendre davantage l'accès aux soins psychologiques à un plus large public.Solidaris salue les efforts menés en ce sens dans le cadre de la convention actuelle, afin de pouvoir toucher des publics bénéficiant encore trop peu d'une prise en charge par un psychologue, en particulier les personnes âgées.Beaucoup de généralistes estiment que les antidépresseurs sont un pis-aller, certes, mais indispensables pour " briser " l'épisode dépressif qui, sinon, risque d'évoluer vers une incapacité de très longue durée, voire une non-guérison. Qu'en pensez-vous ? Nous constatons que 75% des initiations de traitements antidépresseurs sont prescrits par des médecins généralistes et nous sommes persuadés que ce recours aux médicaments est un outil indispensable pour aider ces patients en souffrance psychologique. Nous restons par contre interpellés par la proportion de patients pris en charge uniquement par ce biais. En 2023, seuls 22,3% des personnes ayant recours aux antidépresseurs ont vu un professionnel de la santé mentale. La situation s'est légèrement améliorée par rapport à 2021 (avant la mise en place de l'offre des psychologues de première ligne) où cette proportion était de 19,89%.L'offre de psychologues de première ligne a-t-elle eu un impact mesurable sur la réduction de la consommation de médicaments psychotropes ?Pour ce qui est de l'impact de la nouvelle offre sur la réduction de la consommation de psychotropes, nous pensons qu'il est trop tôt pour mesurer un impact significatif.L'étude note que les plus de 65 ans consultent très peu les psychologues malgré des besoins souvent accrus. Est-ce dû à un manque d'information, à un tabou persistant, ou à une offre inadaptée à leurs besoins ?Il s'agit en réalité d'une problématique complexe à multiples facettes. En effet, les besoins spécifiques en santé mentale des personnes âgées sont encore peu abordés et sont encore insuffisamment pris en considération. Les problèmes de santé mentale de ce public demeurent souvent associés ou interprétés sous l'angle d'un problème de santé physique. Par ailleurs, en raison de la perte progressive d'autonomie au fur et à mesure de l'avancée en âge, les personnes les plus âgées rencontrent plus de difficultés pour se déplacer, et peuvent subir un isolement important. En ce sens, Solidaris plaide pour une attention spécifique portée à ces publics dans le cadre d'offre intégrée de soins psychologiques au sein du milieu de vie des patients.Quels ajustements sont recommandés pour améliorer la saturation du système de santé mentale et réduire le sentiment de difficulté d'accès ? Quels seraient en particulier les effets d'une intégration totale des soins psychologiques dans la sécurité sociale sur le financement et la pérennisation de l'offre ?Nous pensons qu'au vu des besoins importants encore non rencontrés et exprimés par la population, il est nécessaire de renforcer et de pérenniser l'offre de la convention dans le paysage de la santé mentale en Belgique.Solidaris plaide pour une intégration renforcée de l'offre de la convention dans le système de la sécurité sociale. Cela permettrait en tout premier lieu de pérenniser une offre qui est actuellement renouvelée jusqu'en 2026, mais qui pourrait ne pas être prolongée après. Selon nous, cette intégration renforcée permettrait d'étendre l'accès aux soins psychologiques à un plus large public, alors que les contraintes qui pèsent actuellement sur l'offre disponible débouchent déjà sur une situation de saturation des soins psychologiques au sein des différents réseaux (conventionnement partiel des psychologues, volume de plages disponibles limité par réseau).Enfin, nous pensons que l'intégration renforcée des soins psychologiques dans le système de sécurité sociale pourrait nettement améliorer la lisibilité de l'offre pour le grand public, qui demeure encore fort complexe dans le fonctionnement actuel de la convention. En effet, les résultats de l'enquête menée par l'institut Solidaris ont montré que 4/5 personnes interrogées n'ont pas connaissance de l'existence de l'offre de la convention. De façon significative, cette méconnaissance est la plus importante chez les groupes sociaux défavorisés et les moins diplômés.