Valérie Victoor, secrétaire général de santhea, constate que de nombreux hôpitaux doivent faire appel au système D et aux bonnes volontés pour s'équiper en matériel de protection et en médicaments. Elle regrette que la task force "pénurie " n'écoute pas les acteurs de terrain.
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Les acteurs de terrain, hôpitaux et fédérations, sont-ils assez écoutés par les autorités dans la gestion de la pandémie ?Valérie Victoor : Pas assez ! Une task force " pénurie " a été créée il y a quelques jours par les autorités. C'est très bien mais cette structure ne peut pas exclure les gens de terrain, à savoir les hôpitaux et évidemment les fédérations hospitalières. En tant que fédération, c'est notre boulot de porter la voix du terrain. Or, ce groupe de travail nous a refusé le droit d'en faire partie.Ce refus paraît impensable ?C'est en effet incompréhensible. Nos membres trouvent d'ailleurs que cette exclusion est inadmissible parce qu'ils n'ont donc pas voix au chapitre puisque santhea ne peut relayer leurs demandes et leurs alertes. Le danger est de se retrouver face à des décisions d'experts qui ne visitent pas les hôpitaux et n'écoutent pas leurs dirigeants. Les fédérations hospitalières font depuis le début de la crise, 7 jours sur 7, des efforts pour alerter, en autres par les médias parce que nous n'avons pas d'autres moyens de le faire. Les experts doivent écouter les fédérations.Sur quelles informations se base la task force pénurie ?Sur des données récoltées auprès des hôpitaux généraux. Les institutions doivent fournir des informations sur leurs stocks à plusieurs services relevant des autorités (SPF Santé publique, AFMPS...) . Ces demandes ne sont pas centralisées. En plus, les données doivent être fournies dans des formats différents (tableau Excell, applications web...). Bref, les hôpitaux sont obligés d'encoder plusieurs fois les mêmes données. Cet enregistrement manque totalement de cohérence. En plus, les stocks varient d'heure en heure. Lorsque l'enregistrement est réalisé, il ne livre déjà plus une évaluation correcte des moyens disponibles pour les hôpitaux. L'encodage des données mobilise des professionnels de terrain - infirmiers et médecins - qui doivent pouvoir concentrer leur énergie à soigner les patients. Un médecin qui travaille aux soins intensifs n'a pas le temps de remplir plusieurs fois par jour des questionnaires.Que risquent les soignants s'ils n'encodent pas toutes ces données ?Ils arrivent qu'ils soient menacés de sanctions, par exemple, de la suppression du budget des moyens financiers. Il faut évidemment réaliser un monitoring le plus précis possible, mais en faisant confiance aux hôpitaux. Il ne faut pas croire qu'ils exagèrent leurs besoins. Les hôpitaux sont-ils véritablement en souffrance en raison de la pénurie de matériel de protection ? Terriblement en souffrance. La pénurie actuelle de matériel de protection - et principalement des blouses - occupe les hôpitaux et les fédérations hospitalières à temps plein. Les institutions sont passées de la meilleure qualité de blouse, hyperprotectrice, à des blouses de moins en moins performantes. Pour les rendre protectrice, les soignants sont obligés d'enfiler plusieurs couches. Ils utilisent des tabliers alimentaires ou de boucher, des combinaisons de désamiantage...Ce sont des pratiques des hôpitaux du tiers-monde...J'ai été choquée d'apprendre que des institutions commandent des sacs poubelles pour pouvoir les enfiler sur les dernières blouses. Santhea est en train d'acheter des tissus, dont on fait valider la qualité nécessaire par les hôpitaux, pour pouvoir confectionner grâce à Citydev (l'ex SDRB, ndlr) des équipements de protection par des couturières bénévoles. La demande est telle que nous n'arriverons pas à combler la pénurie. Certains hôpitaux n'ont plus que des stocks pour deux à trois jours... Santhea a livré hier 300 blouses à un hôpital. Nous sollicitons tous les secteurs pour trouver du matériel de protection. De nombreux hôpitaux ont ouvert des ateliers de couture pour fabriquer des masques. Quant au gel hydroalcoolique, la consommation de ces produits est actuellement vingt fois plus importante que dans une situation normale. Nous allons en produire en nous basant sur la formule proposée par l'OMS mais il faut de l'alcool. Qu'en est-il des masques de protection?Les autorités annoncent l'arrivée de millions de masques mais on n'en connaît pas les types et nous ne savons pas à qui ils sont attribués, selon quelle clé de répartition. Ces annonces perturbent les soignants qui s'attendent à recevoir du matériel et, sur le terrain, ne reçoivent rien durant des jours. Un hôpital a commandé 400.000 masques via la plateforme fédérale. On lui a annoncé qu'il n'en recevrait finalement qu'une partie. Un autre hôpital a menacé les autorités fédérales de transférer tous ses patients vers d'autres institutions s'il ne recevait pas dans la journée des masques de protection. Le Fédéral a puisé dans sa réserve stratégique pour lui en livrer en urgence. Nous voulons connaître la clé de répartition entre les différentes entités. Les soignants veulent savoir s'ils sont traités de façon équitable.Par ailleurs, plusieurs lots commandés par le Fédéral ne correspondent pas demandes ou aux standards de qualité. Ils n'ont pas la forme adaptée aux visages européens ou ont été entreposés dans de mauvaises conditions d'hygiène. Les hôpitaux manquent également de médicamentsNeuf médicaments commencent à manquer dans les hôpitaux. Principalement, le curare, qui est utilisé pour soigner les patients Covid-19. Certains hôpitaux, en manque, contactent l'AFMPS mais ne peuvent commander que pour trois jours de traitement lorsque leurs réserves sont de moins de trois jours. Malgré la pénurie internationale, les autorités belges doivent mobiliser les grands moyens pour obtenir ce qui se trouve encore sur le marché international. Nous avons contacté les fournisseurs des vétérinaires pour pouvoir fournir les hôpitaux. Entretien de Vincent Claes